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Électricité vs hydrogène : et si la guerre de la voiture du futur n’avait pas lieu ?

Pour décarboner nos déplacements, faut-il miser sur les voitures électriques à batterie ou à hydrogène ? We Demain a rencontré Pierre-Étienne Franc, vice président du groupe Air Liquide, pour qui ces deux technologies sont complémentaires.

Le 17/05/2017 par Sofia Colla

Demain, roulera-t-on à l’électricité ou à l’hydrogène ? À cette question souvent posée dans les débats sur la mobilité du futur, Pierre-Étienne Franc, vice-président chargé des marchés et technologies avancées du groupe Air Liquide, répond « les deux ! ».

Selon lui, il n’y a pas d’opposition entre le développement de la voiture électrique à batterie et le développement de la voiture électrique à hydrogène. Au contraire, ces deux technologies sont complémentaires, assure-t-il, vantant l’autonomie et le temps de charge de la voiture à hydrogène, sensiblement identiques à ceux d’une voiture classique.

Contrairement à certaines idées reçues, la voiture à hydrogène dispose d’une motorisation électrique identique à celle de n’importe quelle voiture électrique. La différence réside dans le mode de stockage de l’électricité. Dans la voiture électrique à batterie, l’électricité est fournie par une batterie qui est rechargée en la branchant sur le réseau.

Dans le cas de la voiture à hydrogène, l’hydrogène est stocké dans un réservoir sous pression (plusieurs centaines de bars) et l’électricité est produite par une pile à combustible qui transforme l’hydrogène en électricité. Il faut donc voir l’hydrogène, explique Pierre-Étienne Franc, non comme le combustible qui fait marcher la voiture, mais comme une forme de stockage de l’électricité. Toyota, Honda, Hyundai, ou Daimler construisent en série des voitures qui roulent à l’hydrogène.
 
Pour Pierre-Étienne Franc, l’hydrogène est même un chaînon essentiel de la transition énergétique. L’expert explique que si toutes les voitures électriques étaient à batterie, cela poserait un problème d’infrastructure de réseau électrique et de production. Ainsi selon lui, charger à l’aide de chargeurs rapides (« fast chargers ») un seul million de voitures électriques – soit 0,4 % du parc automobile européen – exigerait la production d’un réacteur nucléaire (notre calcul est plus optimiste, voir la note 1).
 
Permettant un temps de charge de seulement quelques minutes, l’hydrogène serait notamment un complément nécessaire dans l’optique d’un développement de l’automobile partagée.

L’avenir, selon le vice-président du groupe Air Liquide, pourrait prendre des formes similaires à ce que prépare Daimler, un SUV hybride électrique hydrogène qui peut être rechargé sur le secteur pour de petits trajets, mais qui offre une autonomie de 450 kilomètres avec une pile à combustible et un réservoir d’hydrogène.
 

De l’hydrogène fabriquée à partir du vent

L’hydrogène est présenté comme une solution écologique, c’est à dire faiblement émissive de CO2, mais le moyen le plus efficace de fabriquer de l’hydrogène reste de casser la molécule de gaz naturel. Ce qui nécessite de l’énergie. On tourne donc en rond…

Sauf, nous dit Pierre Étienne Franc, si on utilise du biogaz, ou si on capture et stocke le gaz carbonique émis lors de la transformation, ou si l’on utilise de l’électricité éolienne ou solaire pour fabriquer de l’hydrogène par électrolyse.

Cette dernière solution, bien que plus chère, permet de tirer profit de kilowattheures à très bas prix quand les éoliennes tournent à plein régime la nuit et de permettre ainsi de stocker l’énergie intermittente disponible, de plus en plus souvent, avec la hausse de la part d’énergies renouvelables dans le mix énergétique.
 
Mais dans ce cas, quelle quantité d’électricité consomme la voiture à hydrogène ? Réponse : il faut 1 kilo d’hydrogène pour faire 100 kilomètres, soit 50 à 60 kilowatt-heure d’électricité (2). C’est donc plus de deux fois la consommation d’électricité de la voiture électrique à batterie, toutes pertes comprises, de la production de l’électricité jusqu’au moteur de la voiture. Une différence énorme.
 

Mais, pour  Pierre-Étienne Franc, « ce chiffre est appelé à baisser dans les années à venir du fait de l’optimisation des modes opératoires et des coûts des équipements, de meilleurs couplages entre électrolyse et distribution, et des progrès dans les technologies PEM (Proton Exchange Membrane, voir note 3). La production d’hydrogène par électrolyse permettra aussi de gérer les contraintes induites par l’augmentation de la part des sources renouvelables intermittentes dans le mix électrique ».

Quel coût aux 100 kilomètres ?

L’autre question concerne le coût de l’énergie aux cent kilomètres parcourus. Selon Pierre-Etienne Franc l’analyse en euros de la production du kilo d’hydrogène produit par électrolyse pour parcourir cent kilomètres aboutit à un coût de dix et douze euros aux cent kilomètres.

En comparaison, une voiture à batterie consomme, à la prise, de l’ordre de quinze à vingt kilowatt-heure aux cent kilomètres, soit de l’ordre de deux ou trois euros d’électricité selon les tarifs.

Mais Pierre-Étienne Franc considère que la rentabilité aux différents points de la chaîne de valeur de la filière batterie reste cependant encore très incertaine et devra probablement à terme mieux rémunérer l’usage des bornes de recharge.

On voit aussi qu’il peut y avoir un modèle d’affaire intéressant pour l’hydrogène (acheter de l’électricité quasi gratuite pour la revendre sous forme d’hydrogène aux automobilistes). Mais, d’un point de vue environnemental, son efficacité énergétique est pour le moment mauvaise si l’hydrogène est produit par électrolyse à partir d’électricité renouvelable.
 

« L’approche par les rendements est technologiquement importante, mais moins quand on permet ainsi de récupérer des électrons disponibles et non consommés, convient Pierre Étienne Franc, et elle ne elle tient pas compte de la nécessité de trouver des solutions adaptées aux usages, ce qui constitue la grande avancée qu’apporte l’hydrogène à la mobilité électrique. »

 
Comprenez par là que l’hydrogène est incomparable en termes d’autonomie, de temps de recharge et de disponibilité du véhicule. Et qu’il ne génère aucune émission locale ni globale si produit à base d’électricité renouvelable.

Quid du climat ?

D’un point de vue environnemental, si l’électricité qui sert à produire l’hydrogène est renouvelable, la filière automobile à hydrogène est donc respectueuse du climat. Mais quel industriel résistera à la tentation de produire économiquement l’hydrogène à partir de gaz naturel, et non à partir d’électricité renouvelable, solution très gourmande en capital, peu efficace, et chère.

Selon Pierre-Étienne Franc, « le reformage de biométhane dans des unités industrielles permet d’atteindre des efficacités de conversion en hydrogène de l’ordre de 80 % et un faible contenu carbone ».

Mais sauf à réécrire les ouvrages de chimie, on produira toujours onze tonnes de CO2 pour fabriquer de cette manière une tonne d’hydrogène. Un volume certes inférieur à ceux nécessaires pour les motorisations classiques, mais encore trop important (4). 

Du côté de la filière automobile à batterie, c’est la même chose. Si les batteries sont chargées avec de l’électricité renouvelable, tout va bien. Mais on est encore loin du compte.

Alors qu’en Norvège la voiture électrique à batteries fonctionne à l’électricité hydraulique (95 % de la production électrique), en Chine, premier marché automobile mondial, elle marche au charbon (plus de 60 % de la production électrique). Même en Europe, région du monde où l’électricité est assez faiblement carbonée, la voiture électrique moyenne produit 90 grammes de CO2 par kilomètre.

Dans le monde, 66 % de l’électricité est encore produite à partir de combustibles fossiles et la voiture électrique à batterie « moyenne », ne sera pas avant longtemps plus « verte » qu’une automobile à essence optimisée (5).
 
Le risque est donc de ne considérer la voiture propre que comme un engin capable de réduire la pollution dans les villes, tout en déportant la pollution ailleurs et en mettant de côté le problème climatique. Il n’y aura pas de voiture électrique propre, quelle que soit la filière, sans un développement considérable de la production électrique renouvelable. 
 

Pour en savoir plus :
– Facebook : Ch2ange  
– Twitter : #cH2ange
– Le livre Hydrogène, la transition énergétique en marche, de Pierre Etienne-Franc (Manifesto / Gallimard)
 
Notes :
1) Un million de voitures multiplié par 15 000 kilomètres par an aboutit à la production de trois TWh (terawattheure) d’électricité (toutes pertes comprises), soit la production de 0,4 réacteur nucléaire de un GW (gigawatt). Il faudrait donc, en théorie, douze réacteurs nucléaires pour alimenter le parc automobile français, mais probablement aucun si on développait l’efficacité énergétique (notamment celle des bâtiments), les transports en commun, le covoiturage, et si on révolutionnait un urbanisme aujourd’hui pensé « autour » l’automobile.

2) L’hydrogène est fabriqué par électrolyse de l’eau, puis compressée à 700 bars pour tenir dans un volume raisonnable. Il est ensuite transporté dans les stations de recharge. Dans la pile à combustible il est transformé en électricité. Les rendements de ces différentes étapes aboutissent au chiffre d’électricité nécessaire en amont pour produire l’hydrogène permettant de parcourir 100 kilomètres. Source : Air Liquide.

3) Les électrolyseurs PEM, Proton Exchange Membrane, ou électrolyse à membrane de proton, sont des moyens de production d’hydrogène flexibles. Ils peuvent s’adapter à la seconde aux variations de demande de puissance électrique. Areva H2Gen a inauguré en juin 2016 la première usine de fabrication électrolyseurs de ce type aux Ulis (92).

4) Ce qui fait onze kilos de CO2 pour un kilo d’hydrogène, soit 110 grammes au kilomètre pour la seule production de l’hydrogène produite à partir du méthane.

5) Le projet abandonné (parce que trop cher) de la voiture hybride Volkwagen XL1 visait une consommation d’à peine plus de un litre aux cent kilomètres. Le nouveau projet XL3, prévu pour 2018, a pour ambition de ne pas dépasser les trois litres aux cent, soit (notre estimation) des émissions de l’ordre de 60 grammes de CO2 au kilomètre.
 

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