Partager la publication "Le destin brisé de M. Soleil, pionnier de l’énergie solaire thermique en France"
Sa maison de Trévignin, petit village savoyard situé sur les hauteurs d’Aix-les-Bains, est l’œuvre “la plus complexe” qu’il ait pu imaginer. Près de 50 m2 de capteurs solaires sur les toits, un bâtiment ancien rénové, une deuxième habitation accolée et réalisée à partir d’un ancien garage. Bienvenue chez André Jean, l’un des pères fondateurs de l’énergie solaire thermique, un vrai Géo Trouvetou.
Ici, hormis une chaudière à pellets et un insert qui servent d’appoint, tout est solaire, zéro CO2 : eau chaude, chauffage au sol, au plafond ou sur les murs selon les pièces, serre, future piscine… Un incroyable dédale de tuyaux partant de la chaufferie vers toute l’habitation et dans le jardin. Un lieu unique, à l’image de son propriétaire.
Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n°35, paru en août 2021. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne.
C’est après la première crise pétrolière de 1973 que cet ingénieur, passé chez Péchiney comme responsable technique d’usine et dans la chaudronnerie en tant que chef d’unité de production, se lance à la conquête du solaire. Dans son garage, il commence à concevoir des capteurs pour les installer sur le toit. L’homme fourmille d’idées. En 1979, il crée son entreprise, Clipsol, à Trévignin, avec pour objectif de rendre accessible cette énergie. “Les vertus de la chaleur solaire sont telles que les ignorer serait un affront au simple bon sens”, écrit-il dans une note prémonitoire au moment de la création de sa boîte.
“L’énergie que nous consommons dans nos pays européens l’est pour près de la moitié sous forme de chaleur. L’énergie solaire est parfaitement adaptée pour le chauffage, la production d’eau chaude sanitaire, pour différentes utilisations industrielles ou agricoles de la chaleur. Elle est disponible pratiquement sur toutes les zones de la planète investies par l’Homme, elle y arrive partout à domicile ! Ne serait-il pas stupide et dangereux pour l’humanité de s’en passer ?“, s’interroge-t-il alors.
La réussite est d’abord locale. Avec quelques autres passionnés, souvent des voisins savoyards, Clipsol multiplie les installations de capteurs dans le département. Pour chauffer l’eau du robinet, mais aussi l’habitation. “C’est une excellente région pour le solaire thermique. Car ce qui compte dans cette énergie, ce n’est pas tant la température qu’il fait dehors, c’est l’amplitude entre la température ambiante et celle que vous produisez. Et ce sont les premiers mètres carrés de capteurs qui se rentabilisent le mieux”, explique-t-il.
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À l’efficace, André Jean veut ajouter l’esthétique. Il dessine des capteurs montés in situ qui s’intègrent parfaitement dans les toitures. C’est beau et ça fonctionne. Le marketing est lui aussi performant : le bouche-à-oreille. Durant des années, les époux Jean organisent des journées de démonstration chez eux avec leurs enfants, notamment Boris, qui transmettra plus tard le virus à son fils. Et Clipsol engrange les commandes.
Cette technologie arrive alors aux oreilles de l’Agence française pour la maîtrise de l’énergie (AFME), ancêtre de l’Ademe (Agence de la transition économique), et du Conseil général de Savoie. Clipsol monte en puissance, d’autant qu’André Jean, qui s’épanouit “dans la recherche de la difficulté”, multiplie les innovations et les projets : chauffe-eau, plancher, chaudières solaires, installations dans les logements collectifs… Grâce au Minitel et à l’aide d’un voisin bricoleur, il met en place un système de télé-suivi pour habitation solaire.
Le véritable décollage survient avec le plan Soleil que lance l’Ademe en 1999 pour subventionner l’énergie solaire. Clipsol déménage à Aix-les-Bains. Sa croissance explose en 2005. Les embauches se multiplient, pour atteindre un effectif de plus de 130 salariés. De Michel Barnier (1993-1995) à Jean-Louis Borloo (2007-2010) en passant par Roselyne Bachelot (2002-2004), tous les ministres de l’Environnement viennent saluer ce fleuron de la technologie française. André Jean accumule les distinctions. Dans la presse, on l’appelle “Monsieur Soleil”.
“Là où on dépense un euro pour le nucléaire, on dépensera un euro pour les énergies propres“, se souvient-il avoir entendu de la bouche du Président Sarkozy en 2009. Et le Grenelle de l’Environnement consacre le solaire thermique en prévoyant plus de 4 millions de logements équipés en 2020. Banco !
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À l’époque, Clipsol accompagne aussi l’arrivée “incontournable” du solaire photovoltaïque – celui que l’on transforme en électricité. Pour cela, elle propose des intégrations en toiture des panneaux de Photowatt, l’entreprise voisine située à Bourgoin-Jallieu (Isère). Leader du solaire en France, Clipsol maintient son chiffre d’affaires et se dote d’un département “recherche et développement très important pour sa taille”, souligne André Jean. Pour accompagner sa croissance, elle a besoin de trésorerie. Gaz de France, devenue GDF-Suez puis Engie, remporte le morceau en 2008 en prenant 51 % des parts. “Au départ, il y avait une vraie volonté d’accompagner le solaire thermique, complémentaire du gaz.”
Mais cela s’est visiblement gâté. Le fondateur de Clipsol en est le directeur général, mais
il ne peut plus développer ses multiples projets : chauffe-eau solaire à thermosiphon, système auto-vidangeable, chauffage de piscine, intégration sur toit d’ardoises, séchoir à fruits, local technique solaire préfabriqué, etc. Le nouveau président, nommé par l’actionnaire majoritaire, privilégie le photovoltaïque, encouragé par le prix de rachat avantageux de l’électricité par EDF. La stratégie de l’entreprise consiste “à acheter en masse des panneaux photovoltaïques en Chine
pour les revendre plus cher en France”, résume l’ingénieur.
Et patatras. En 2010, le gouvernement Fillon dit stop et prononce un moratoire sur les nouvelles installations. Le secteur entraîne Clipsol dans la tourmente. La chute se poursuivra avec la RT 2012, réglementation thermique s’appliquant aux nouvelles constructions. Un temps envisagée, l’obligation du solaire thermique est repoussée. La France privilégie désormais l’électricité, principalement nucléaire.
Les chauffe-eau électriques thermodynamiques et les pompes à chaleur ont écrasé le solaire thermique domestique, qui s’est effondré jusqu’à un niveau historiquement bas. “On préfère chauffer l’eau avec de l’électricité produite par des panneaux photovoltaïques qu’avec des panneaux solaires thermiques, alors que cela nécessite une surface de panneaux trois à quatre fois plus importante”, regrette l’entrepreneur. Sans parler de la concurrence du gaz.
Le nouveau président de Clipsol délaisse le solaire thermique domestique, à tel point qu’André Jean, certain de l’efficacité et de la rentabilité de cette énergie, réclame “dès 2012” à GDF-Suez, puis à Engie, l’éviction de ce dernier afin que l’entreprise retrouve ses vraies racines… En vain. “Ils n’ont pas investi un kopeck. En fait, ils nous ont juste laissés crever !”, fustige-t-il. Refusant une offre de reprise “pourtant intéressante”, de l’aveu du fondateur, Engie acte la fin de Clipsol dans une vague qui emporte d’autres acteurs du solaire thermique au sein du groupe. La société créée par André Jean baisse le rideau en 2017 dans l’indifférence, hormis une manifestation à Chambéry. “Il faut dire qu’Engie a donné des primes de licenciement bien plus importantes que le minimum légal”, confie le fondateur de Clipsol.
Ce passionné qui s’est rémunéré a minima “pendant trente ans” a tourné le dos à des millions d’euros, ne cédant pas ses parts à EDF quand il l’aurait pu. Ayant tout perdu, il a abandonné ses activités. Le savoir-faire de Clipsol s’est éteint, sauf dans la mémoire de ses fils et petit-fils. Monsieur Soleil se consacre désormais à sa maison savoyarde.
Énergie rentable et illimitée une fois installée, l’énergie solaire thermique consiste à récupérer la chaleur des rayons du soleil grâce à des capteurs spécifiques qui contiennent un fluide caloporteur, de l’eau glycolée, par exemple. Celle-ci circule dans un système de tuyaux reliés à un chauffe-eau solaire individuel (CESI). Le CESI fournit de l’eau chaude en alternance avec une autre source d’énergie (bois, électricité…) car l’énergie solaire est intermittente. Cette chaleur solaire peut chauffer une habitation dès lors que l’on dispose d’un système de chauffage central. On parle alors de système solaire combiné (SSC).
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