Libre accès des oeuvres sur le net : les musées français ont encore des progrès à faire

Le 7 février, le Metropolitan Museum of Art (Met) de New-York a annoncé avoir placé 375 000 de ses œuvres sous licence Creative Commons Zero (CC0). Par cette décision, son directeur Thomas P. Campbell rend possible leur téléchargement par quiconque, en haute définition et sans aucune contrepartie financière ou restriction d’usage, même commerciale. Cela pourrait, par exemple, permettre de scruter le coup de pinceau de Cézanne dans les moindres détails ou d’utiliser l’un de ses tableaux pour lancer une ligne de vêtements.

Les initiatives pour un accès libre et gratuit aux œuvres d’art du domaine public essaiment. Avant le Met, le Rijksmuseum d’Amsterdam avait fait figure de précurseur en 2012, en plaçant 125 000 tableaux sous licence CC0. Des musées américains, le Los Angeles County Museum ou la National Gallery de Washington, l’avait imité, donnant au mouvement une envergure mondiale.

Internet est le théâtre d’un débat presque aussi vieux que sa création sur l’accès aux biens culturels sur ses réseaux. Les musées, touchés comme la presse et l’industrie musicale par la vague de numérisation affectant l’économie ne sont pas épargnés par cette question et doivent adapter leur mission à de nouvelles pratiques.

Images d’Art, l’accès libre à la française

Qu’en est-il en France ? Fin 2015, le lancement du site Images d’Art par le ministère de la Culture plaçait la France en bonne position dans la course au libre accès. Cela en permettant le téléchargement de 500 000 œuvres de 30 000 artistes, classées par période, auteur, technique ou musée. Mais contrairement à son homologue new-yorkais, Images d’Art n’autorise que les usages privés et pédagogiques, et non pas les usages commerciaux.

Il faut également déplorer en France l’absence d’un vrai travail de médiation culturelle prenant appui sur la numérisation. L’utilisateur du site qui veut approfondir la connaissance d’une œuvre est redirigé vers l’article correspondant sur Wikipédia, même pour les plus fameuses. À l’inverse, le Met autorisait en 2012 le téléchargement gratuit de 397 catalogues de ses expositions passées, plaçant la pédagogie au cœur de sa stratégie numérique.

Une jurisprudence peu propice à la libre circulation

La frilosité française à lancer ce genre d’initiative s’explique notamment par un cadre légal particulier. Le droit d’auteur protège non seulement les artistes mais peut aussi être revendiqué par ceux qui photographient leurs œuvres. Sur cette base, un débat juridique voit s’affronter ceux qui remettent en cause le droit d’auteur sur les photographies d’œuvres d’art, considérant qu’il n’y a pas là d’acte créatif « original », et ceux qui soutiennent l’inverse. Aujourd’hui, ce sont les derniers qui ont l’avantage dans la jurisprudence… Une réalité juridique qui constitue un frein à la libre circulation numérique des œuvres du domaine public.

Un élitisme bien français

Selon Didier Rykner, éditeur du site La Tribune de l’Art, les musées américains sont « davantage attachés qu’en France à leur rôle d’éducateur public ». Dans l’objectif de faire accéder à l’art toutes les classes sociales, le libre accès devient un moyen de diffusion à part entière. Didier Rykner salue la décision du Met qui favorisera, selon lui, la démocratisation de la culture. En plus d’affranchir l’institution new-yorkaise de la gestion des droits de diffusion commerciale.

La tradition centraliste française, vecteur d’élitisme culturel, est un autre obstacle au développement de l’art en libre accès. D’ailleurs, la Cour des comptes préconisait la réduction des fractures sociales et géographiques dans un rapport publié en 2011. Elle reprochait aux musées nationaux de ne pas avoir su profiter de leur hausse générale de la fréquentation pour diversifier leur public. De plus, le déséquilibre entre Paris et la province aurait été accentué par une distribution de subventions plus généreuse pour les institutions culturelles de la capitale. 

La question de l’accès numérique aux oeuvres du domaine public préfigure, plus généralement, de vives discussions sur l’avenir de la propriété artistique.

Les défenseurs du libre accès aux biens culturels sur Internet contestent le modèle juridique actuel, en décalage avec une certaine culture Internet basée sur la gratuité : les pratiques du mashup et du remix en attestent.

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