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Pour une ville inclusive, « repartons de l’humain et de ses besoins »

Comment rendre la ville plus inclusive et agréable à vivre ? Nadia Sahmi, architecte spécialiste de l’accessibilité, invite à décloisonner l’architecture et l’urbanisme en prenant en compte les fragilités de chacun, qu’elles soient liées à l’âge ou au handicap.

Le 23/09/2020 par Pauline Vallée
L'architecte Nadia Sahmi est spécialisée dans les questions d'accessibilité. (Crédit : DR)
L'architecte Nadia Sahmi est spécialisée dans les questions d'accessibilité. (Crédit : DR)

À l’échelle de la ville ou du logement, l’expérience du confinement a révélé les nombreuses failles de nos lieux de vie et nous amène à repenser notre manière d’habiter.

Pour l’architecte spécialisée Nadia Sahmi, co-autrice de Construire pour tous : Accessibilité en architecture (ed. Eyrolles) et consultante en accessibilité et qualité de vie sur de nombreux chantiers dont celui du Grand Palais, l’heure est venue de prendre à bras le corps la question de l’inclusivité. 


  • WE DEMAIN : Trottoirs trop haut, trop étroits, signalétique visuelle et sonore insuffisante… Les villes sont régulièrement épinglées pour leur manque d’accessibilité.

Nadia Sahmi : Rien d’étonnant à cela. La ville telle que nous la connaissons est le résultat d’années passées à réfléchir uniquement en termes de rentabilité. La voirie et les transports ont été pensés pour être efficaces, c’est-à-dire amener la personne qui nous intéresse, en l’occurrence le stéréotype du travailleur trentenaire valide et hyperactif, de son domicile à son lieu de travail le plus vite possible.

Aujourd’hui encore, cela reste difficile de ramener dans la réflexion le lent, le fragile, le fatigable, le douloureux, le cassé… Ce sont des gros mots. On commence tout juste à accepter de les entendre.

  • C’est-à-dire ?

Nous ne sommes pas les mêmes que nos parents ou nos grands-parents. La priorité dans les années 70, c’était de loger tout le monde et mettre fin aux bidonvilles. Aujourd’hui, c’est la modularité. Nous devons intégrer la réalité du travail à domicile, du couple recomposé, du parent isolé.

Je pense que nous ne réalisons pas à quel point le geste architectural peut faire ou défaire la qualité de vie.

On voit bien les espaces qui marchent, ceux que les gens s’approprient, et ceux où il n’y a jamais personne. Nous ne sommes pas faits pour vivre toute la journée sous terre, dans des lieux avec de toutes petites fenêtres, dans du blanc, du gris ou du noir. On continue pourtant de bâtir des produits architecturaux que les gens fuient ou subissent quand ils n’ont pas les moyens de se payer mieux. À l’inverse, nous avons naturellement besoin de lumière, d’arbres, d’espace et de vivre-ensemble.

L’analyse sociologique et psychologique est donc nécessaire pour ne pas répéter ces erreurs. Repartons de l’humain et de ses besoins.

  • Pourquoi avons-nous autant de mal à prendre cette dimension en compte ?

En France, nous avons tendance à cloisonner les sujets plutôt que de travailler à l’horizontal. Il y a la loi de 2005 pour l’accessibilité des personnes handicapées, la loi de 2015 pour le vieillissement, une loi pour les étudiants, une pour les pauvres… C’est dommage, car on se prive de la possibilité de répondre à plusieurs besoins en même temps, en faisant des économies d’échelle, et sans générer de rejet. 

S’occuper d’un seul profil sans prendre en compte tous les autres, ce n’est pas créer de l’inclusion mais du rejet.

Prenez la rampe d’accès : elle est nécessaire pour les personnes en fauteuil roulant mais c’est une catastrophe pour une personne âgée qui a du mal à marcher. Il faut donc intégrer des escaliers et une rampe, les deux, pas l’un ou l’autre.

Autre exemple, si vous vous focalisez sur les utilisateurs en fauteuil roulant pendant des travaux et que vous cassez toutes les cloisons, l’acoustique sera abominable, ce qui va poser un problème pour une personne malentendante ou un aveugle qui utilise le son pour se repérer. 

Quand je proposais, il y a de cela vingt ans, de construire des immeubles avec des crèches en rez-de-chaussée et des appartements pour personnes âgées au premier étage, on me répondait que c’était impossible. Ce n’était pas les mêmes lignes budgétaires, pas les mêmes décisionnaires… Finalement aujourd’hui cela se fait, et ça fonctionne très bien.

  • Faudrait-il mieux former les architectes à prendre en compte ces problématiques ?

Je considère que nous sommes avant tout au service de l’Homme avant d’être au service de l’architecture. Notre travail est d’allier le beau et les usages. Il faudrait effectivement que les maîtres d’ouvrage réintroduisent des sociologues, anthropologues, philosophes et psychologues dans leurs équipes de réflexion. Ces professions seraient ravies d’apporter leur pierre mais elles ne sont jamais invitées à le faire.

Il faut ramener leurs compétences et connaissances, et puis effectivement réintroduire la psychologie dans la formation des architectes, dans les programmes et tous les grands textes comme l’ANRU qui se focalisent sur le fonctionnel. Le politique a aussi sa part de responsabilité. Il peut décider que ces données soient prises en compte dans tous les futurs grands projets d’aménagement, comme celui du Grand Paris.

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