Ma maison demain

Normandie et Antilles : bientôt des maisons en sargasse ?

L’agence In Situ Architecture, à Paris, a des airs de serre de jardin. “Regardez bien ces feuilles, invite l’architecte Nicolas Vernoux-Thélot, fondateur de l’agence, penché sur un crassula. Peut-être verrez-vous leurs cellules : un réseau de polygones, motif récurrent dans la nature.« 

Également botaniste, Nicolas Vernoux-Thélot a fondé en 2007 le Lab In Situ avec son frère. Teva Vernoux est lui directeur de recherche CNRS en biologie végétale à l’ENS Lyon. De leurs connaissances de l’architecture des plantes et des bâtiments sont nés des projets biomimétiques.

En 2018, un pavillon de bois, aux mailles polygonales – inspirées des feuilles des plantes vertes – assurant à la structure résistance et légèreté. Ou dix ans plus tôt la « maison spirale » à Malakoff (Hauts-de-Seine) imitant la phyllotaxie pour capter le soleil le long de sa course. Ou encore un projet en cours de « deuxième peau » pour un bâtiment du 15e arrondissement de Paris, aux stores semblables à des feuilles de charme. Ils s’ouvrent ou se ferment, selon la lumière et la chaleur extérieures, pour en limiter les impacts.

Et depuis deux ans, les frères s’intéressent à la sargasse. Une algue brune invasive qui échoue par tonnes sur les plages des Antilles françaises ou de la Normandie aux beaux jours. Elle envahit aussi les placards de l’agence : 40 kilos ramenés de Saint-Barthélemy fin septembre, pour en tirer un matériau de construction baptisé “terre d’algues”, inspiré du torchis.

Nicolas Vernoux-Thélot a exposé ce projet à Marseille le 7 septembre, jour d’ouverture de la sixième édition de Biomim’expo, le salon du biomimétisme. Il sera aussi exposant le 19 octobre, à la Cité des sciences et de l’industrie, pour la deuxième journée de Biomim’expo.

À LIRE AUSSI : Bientôt des murs en algues pour dépolluer Paris ?

La sargasse, une espèce invasive toxique

Omniprésente dans l’Atlantique Nord, la sargasse ne pose pas de problème sanitaire, au contraire. La mer des Sargasses, où naissent nos anguilles, en est l’exemple.

Mais quand, sous l’effet de sa masse, elle échoue sur les côtes des Antilles, du Mexique, de la Floride ou de la Normandie, explique Nicolas Vernoux-Thélot, elle occasionne de graves problèmes écologiques. Elle étouffe l’écosystème marin sur des dizaines de mètres. Sur le rivage, au bout de 48 h, elle se décompose et forme une sorte de boue marron et visqueuse. Elle dégage alors de l’H2S, un gaz sulfuré, toxique pour l’homme et l’animal inhalé à haute dose. Sans parler des pertes économiques de plusieurs millions d’euros dans les secteurs du tourisme, de la pêche et de l’aquaculture. Et il ne faut ni la brûler, ni l’enterrer. »

La solution : une terre de sargasse

Quelles solutions face à ce désastre sanitaire et économique ? “Nous allons rencontrer un problème de matériaux dans le bâtiment, reprend l’architecte. L’impact écologique du béton est négatif. Il consomme énormément de sable. Une ressource naturelle non renouvelable, et il très énergivore lors de sa phase de production.” Pour le remplacer, rien de mieux que des matériaux biosourcés ou géosourcés.

D’un côté, on a ces milliers de tonnes de sargasse et de l’autre de la terre en excès sur les chantiers de construction. Mélangés à des liants de composition naturelle, selon le procédé du torchis, ils pourraient constituer des briques ou des panneaux de terre d’algues, fabriqués là où les sargasses sont présentes. Le bilan carbone est positif. La sargasse capture et stocke du CO2 et le besoin énergétique est faible pour la transformer en matériau de construction.”

Échantillons de briques et panneaux de sargasse. (Crédit : Paola de Rohan-Csermak)

Tests encourageants

Des briques et panneaux constitués de 65 % à 85 % de sargasse passent actuellement une batterie de tests incendie, thermiques, mécaniques, hygrométrique en chambre de vieillissement accéléré, pour vérifier leur conformité aux normes en vigueur. D’un coût de 700 000 euros, ils sont financés à 60 % par l’Ademe, et à 40 % par un consortium mené par In Situ comprenant NOBATEK INEF4, CEREMA et TOX SEA IN.

Cette phase de tests se prolongera jusqu’en septembre 2022. Mais les résultats sont pour l’heure intéressants sur les plans thermique, hygrométrique, acoustique, estime Nicolas Vernoux-Thélot. Et bonne nouvelle pour les nez sensibles : séchée et mêlée à la terre, la sargasse perd son odeur.


Cet article a été réalisé grâce au soutien de Leroy Merlin
Retrouvez ici les épisodes Habitons Demain.
 

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