Partager la publication "À 54 ans, Antonio a retrouvé l’emploi en faisant visiter Paris"
Antonio n’est pas un guide touristique comme les autres. Au chômage depuis de nombreuses années, cet ancien cariste dans une imprimerie a retrouvé le chemin de l’emploi grâce à L’Alternative Urbaine. En permettant à des personnes sans domicile ou éloignées de l’emploi de devenir « guides touristiques », cette association les réinsère dans le monde du travail, tout en sensibilisant le public à la précarité et à l’exclusion. Les visites ont lieu dans des quartiers peu touristiques de Paris et rassemblent un public varié : des Parisiens, mais aussi des touristes en quête d’une façon originale de découvrir la capitale.
Première étape, la visite d’un bâtiment Art déco dont le sous-sol abrite un bal musette, La Java, qui a vu débuter Edith Piaf et Maurice Chevalier. Après avoir longé le canal Saint-Martin, nous gagnons les jardins de l’hôpital Saint-Louis, avant de prendre la direction de la gare de l’Est. La balade est ponctuée d’arrêts devant les nombreuses fresques de street art qui colorent les murs du quartier. Au détour de ruelles souvent méconnues du 10ème arrondissement, Antonio invite les promeneurs à lever la tête et à prêter attention aux contrastes architecturaux du Paris d’hier et d’aujourd’hui.
« Je ne suis pas guide mais éclaireur urbain » précise-t-il.
Antonio n’hésite pas à partager ses bonnes adresses, comme cette pizzeria où l’on vous équipe d’un ballon rose gonflé à l’hélium, afin de venir vous livrer votre repas sur les bords du canal. Ou encore cette épicerie polonaise connue pour vendre une liqueur d’œuf dont « le goût rappelle celui d’un gâteau », assure Antonio. Les participants à la balade, dont un jeune couple d’Allemands qui expérimente le concept pour la seconde fois, semblent conquis.
« Ce qui m’a encouragé à postuler à ce job, c’est avant tout le souvenir d’une visite exceptionnelle que j’ai eu la chance d’effectuer il y a plusieurs années. »
Un soir, alors qu’il se promène avec un ami dans les rues de Rome, il sympathise avec un homme qui les embarque le soir même dans une visite inattendue du Vatican, à deux heures du matin.
Avant d’animer sa première balade le 21 mars dernier, il a suivi une formation de plusieurs mois afin de s’approprier un itinéraire préalablement défini par des habitants du quartier membres de l’association. En parallèle de l’animation des balades, L’Alternative Urbaine accompagne Antonio dans son projet : devenir praticien en massage.
« La mission n’est pas de former au métier de guide mais d’utiliser les balades urbaines comme support pédagogique et de remobilisation pour les personnes très éloignées de l’emploi », peut-on lire sur une plaquette éditée par l’association.
Avec l’aide de bénévoles, l’association fournit un travail d’accompagnement vers l’emploi, qui comprend notamment divers ateliers personnalisés.
« L’Alternative urbaine n’est pas une fin mais un moyen« , explique Esperanza, cofondatrice de l’association au nom prédestiné.
Cette expérience, Antonio la vit comme un moyen de se restructurer, de renouer le lien social, et, surtout, de retrouver confiance en lui-même. Les ateliers de théâtre et de slam auxquels il participe, explique-t-il, lui permettent de s’affirmer davantage lorsqu’il prend la parole.
L’Alternative Urbaine a vu le jour en 2013 à l’initiative de Selma Sardouk. Après un master de tourisme solidaire à l’université de Barcelone, la jeune femme constate qu’il n’existe pas en France d’initiatives favorisant l’intégration par le biais de la culture et du tourisme. Des concepts qu’elle a eu l’occasion d’expérimenter pendant un an au Panama, en travaillant pour une agence de tourisme solidaire.
En décembre 2014, L’Alternative Urbaine remporte un appel à projet de l’incubateur social MakeSense. À la clé, un accompagnement de 6 mois. Depuis, l’association ne cesse de s’agrandir et de gagner en popularité : près de 1 000 personnes ont visité Paris accompagnées d’Antonio et de ses confrères depuis le début de l’année. Trois guides sont actuellement en exercice et deux autres devraient être recrutés d’ici fin 2015.
L’association, qui vit aujourd’hui de subventions – la Fondation de France lui a récemment octroyé 20 000 euros – et des dons (libres) des promeneurs, travaille désormais à exporter son concept ailleurs en France et à l’étranger. Mais aussi à développer des balades accessibles aux personnes en situation de handicap. Afin d’adapter les visites aux non-voyants, les « éclaireurs urbains » s’attellent, par exemple, à utiliser les mots justes pour décrire les lieux visités.
Antonio, quant à lui, est en pleine préparation d’une nouvelle excursion sur le thème de l’écologie dans le cadre de la conférence internationale sur le climat (COP21). Chaque samedi, à partir du 19 septembre, il conduira les visiteurs à la découverte d’initiatives locales et citoyennes qui invitent à repenser nos modes de vie. Si, pour cet ancien cariste, l’activité de guide pourrait être un tremplin vers un nouvel emploi, elle restera, quoiqu’il arrive, une phase de renouveau.
Juliette Bise