Partager la publication "À quoi servent les COP ? Chroniques d’une négociation climatique vitale"
Chaque année, la COP (ou Conférence des Parties) sur le climat réunit pendant deux semaines des délégués venus du monde entier. Pour les représentants des États, c’est l’occasion de négocier les accords climatiques, comme le protocole de Kyoto (1997) ou l’accord de Paris (2015). De multiples évènements parallèles réunissent experts, représentants de la société civile et acteurs du monde économique. À l’extérieur de l’enceinte officielle, les militants battent le pavé, avec leurs pancartes dénonçant l’inertie des dirigeants face à l’urgence climatique.
Hautement médiatisées, les COP attirent de plus en plus de monde : près de 10 000 personnes en 1997 à Kyoto pour mettre au point le protocole du même nom, plus de 30 000 à Paris en 2015. La barre des 40 000 a été franchie à Glasgow en 2021. À quoi servent ces grands-messes annuelles ? Pour mieux comprendre, opérons un petit retour en arrière.
Si le lien entre les rejets de CO2 et le réchauffement de la planète a été établi dès 1896 par le Nobel de chimie Svante Arrhenius, la question a ensuite été ignorée des politiques pendant près d’un siècle. La création en 1988 du GIEC, le Groupement intergouvernemental d’experts sur le climat, va totalement changer la donne.
Le premier rapport d’évaluation du GIEC paraît en 1990. Il présente les premiers scénarios climatiques qui anticipent, si rien n’est fait pour contrôler des émissions de gaz à effet de serre (GES), un réchauffement global de 4 à 5 °C à l’horizon 2100. Il recommande, sur le modèle de ce qui a été fait quelques années auparavant pour protéger la couche d’ozone, l’adoption d’une « convention cadre » et de « protocoles additionnels » pour coordonner l’action des États.
Deux ans après la publication du rapport, se tient en 1992 à Rio le « Sommet de la Terre », une conférence décennale des Nations unies sur l’environnement. Ce sommet historique débouche sur l’adoption de trois conventions internationales sur la biodiversité, la désertification et le climat.
La Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC, ou UNFCCC en anglais) est le traité international fondateur de la négociation climatique. Elle fixe un objectif ultime : stabiliser la concentration atmosphérique des GES à un niveau limitant les « perturbations anthropiques dangereuses du système climatique ». La Convention laisse toutefois le soin aux futurs textes d’application de préciser ce niveau.
Elle introduit le principe de la « responsabilité commune mais différenciée » face au réchauffement global. En ratifiant la Convention, chaque partie reconnaît porter une part de la responsabilité qui doit être différenciée suivant le degré de développement. La Convention liste en annexe les pays développés (pays occidentaux et Japon) qui portent la plus lourde responsabilité.
La Convention climat ne se contente pas d’énoncer des principes généraux. Elle met aussi en place une gouvernance, avec un secrétariat, des organes techniques basés à Bonn en Allemagne, et un organe suprême : la Conference of the Parties (COP) qui doit se réunir au moins une fois par an. Dans les COP, chaque pays, quelle que soit sa taille ou sa puissance économique, dispose d’une voix et les décisions se prennent au consensus.
Deux ans après la conférence de Rio, la Convention climat est ratifiée par un nombre suffisant de pays pour entrer en vigueur en mars 1994. La première COP sera convoquée à Berlin en décembre. Les négociations climatiques sont lancées.
C’est une jeune ministre de l’environnement, inconnue du public, qui préside la première COP : une certaine Angela Merkel, qui fait là ses premiers pas diplomatiques. Sa tâche est assez simple : la COP1 donne un mandat de deux ans à un groupe de négociateurs pour compléter la Convention de 1992 par un texte d’application.
En décembre 1997, c’est chose faite : la COP3 adopte le protocole de Kyoto, premier texte d’application de la Convention de 1992. Ce protocole introduit des engagements contraignants pour les pays développés et les pays de l’ex-bloc soviétique, qui doivent réduire de 5 % leurs émissions de GES entre 1990 et 2008-2012.
Pour faciliter l’atteinte de cet objectif, des mécanismes de flexibilité reposant sur des échanges de quotas ou crédits carbone sont introduits, sous la pression des négociateurs américains qui y voient une façon d’alléger la contrainte pesant sur les États-Unis.
Les négociations semblent alors être bien parties. Mais pour entrer en vigueur, le Protocole de Kyoto doit être ratifié par un nombre suffisant de pays représentant un certain volume d’émissions…
En mars 2001, le Président Bush, nouvellement élu à la Maison Blanche, annonce que les États-Unis ne ratifieront pas un protocole qui n’est pas contraignant pour la Chine et les autres pays émergents. Et c’est alors que la diplomatie climatique se complique.
Car sans la signature des États-Unis, il faut avoir celle de la Russie pour atteindre le quorum permettant à Kyoto d’entrer en application. Cela donne un grand pouvoir de négociation au Président Poutine qui ne va pas se priver de l’utiliser. La Douma finit par ratifier le protocole en novembre 2004 et le protocole de Kyoto entre en application début 2005.
Mais sans la participation des États-Unis et avec l’accélération des émissions de la Chine et des autres pays émergents d’Asie, il couvre désormais moins d’un tiers des émissions mondiales de GES. Il faut donc trouver les voies d’un élargissement des accords climatiques.
De 2005 à 2009, l’Union européenne préconise donc d’élargir le protocole de Kyoto aux pays émergents après 2012, ce qui permettrait un retour des États-Unis. Cette tentative échoue en 2009 à la COP15 de Copenhague.
Les grands pays émergents ne veulent pas d’un super-Kyoto, mais font une contre-proposition : un accord universel où chaque pays déposerait librement sa contribution avec un engagement de transfert financier des pays riches. Le Président Obama se rallie à ce schéma avec une promesse de transfert de 100 milliards de dollars par an de pays riches vers les pays pauvres.
En 2010, on renoue les fils de la négociation à la COP de Cancún sur ces nouvelles bases. L’année suivante, la COP17 de Durban confie un nouveau mandat à un groupe de négociateurs, de quatre ans cette fois, pour parvenir à un accord universel au plus tard en 2015 à la COP21.
Une grande incertitude pèse alors sur la possibilité de parvenir à un tel accord universel. À tel point que les candidatures ne sont pas légion pour héberger la COP21. La France se porte candidate. Sous la houlette de Laurent Fabius, le réseau du Quai d’Orsay est mobilisé. Son action est facilitée par l’engagement des Présidents Obama et Xi Jinping qui se prononcent à deux reprises à l’amont de la conférence en faveur d’un tel accord.
Nouveau texte d’application de la convention de 1992, l’accord de Paris est adopté le 12 décembre 2015. Sa forme juridique n’est pas un protocole, mais une annexe de la décision de la COP21, ce qui facilitera sa ratification, notamment par les États-Unis. Comme en témoigne le nombre des chefs d’État sur la photo de famille, c’est un beau succès diplomatique.
En matière climatique, l’accord précise en premier lieu les objectifs de long terme : limiter le réchauffement global bien en dessous de 2 °C en visant 1,5 °C. Pour y parvenir, l’article 4 précise qu’il faut atteindre rapidement le pic des émissions pour viser la neutralité climatique, conformément aux scénarios du 5ᵉ rapport d’évaluation du GIEC, publié en amont de la conférence.
Les objectifs de réduction des émissions de GES sont déclinés en « contributions déterminées au plan national » (NDC), que les pays déposent sur un registre des Nations unies et doivent réviser au moins une fois tous les cinq ans à la hausse, au vu d’un bilan global. Au titre de la différenciation de la responsabilité, les financements climatiques devront être accrus, les 100 milliards de dollars par an à partir de 2020 étant considérés comme un socle minimal amené à être fortement augmenté.
Contrairement au Protocole de Kyoto, l’accord de Paris entre très rapidement en application, le 4 novembre 2016. Moins d’un an après la COP21, mais… quelques jours avant l’élection présidentielle américaine. Nouvellement élu, Donald Trump retire les États-Unis de l’Accord de Paris en mars 2017. L’histoire serait-elle en train de se répéter ?
Pas tout à fait, car on sort de l’accord de Paris plus difficilement que du protocole de Kyoto. Il faut quatre ans pour que ce retrait soit acté : le temps d’élire un nouveau président ! L’une des premières décisions de Joe Biden à la Maison Blanche a été de signer un décret ramenant les États-Unis dans la maison onusienne.
Car l’épisode trumpien n’a pas fait dérailler l’accord de Paris. À la COP26 de Glasgow, retardée d’un an pour cause de Covid-19, la quasi-totalité des pays, États-Unis inclus, avait déposé sur le registre des Nations unies leur contribution à l’accord de Paris.
À la COP28 de Dubaï, les négociateurs vont examiner le tout premier bilan global de l’accord de Paris, préparé par le secrétariat de Bonn. C’est sur cette base que la négociation s’engagera avant le dépôt du prochain jeu de contributions nationales pour la prochaine période quinquennale démarrant en 2025.
Le rapport technique que vont trouver les délégations est sans équivoque. Si tous les pays mettent bien en œuvre leurs contributions nationales, les émissions mondiales cesseront de croître à partir de 2025 – voire diminueront même d’environ 10 % entre 2019 et 2030 dans le meilleur des cas (zone en rouge sur le graphique). C’est loin d’être suffisant pour rejoindre les trajectoires d’émission du GIEC limitant le réchauffement climatique en dessous de 2 °C.
Par ailleurs, au plan des financements climatiques, le bilan établi par l’OCDE est sans équivoque. Sur les 100 milliards promis de longue date par les pays riches, 10 manquent encore à l’appel en 2021.
Pour rattraper le temps perdu, il va donc falloir fortement rehausser l’ambition des NDC d’ici 2025 et surtout s’assurer des conditions de leur mise en œuvre. Cela implique de mobiliser davantage d’investissements proclimat et de diriger une plus large part de ces investissements vers les pays moins avancés. Simultanément, il faut tarir ceux dirigés vers les énergies fossiles et parallèlement renforcer les actions en faveur des forêts et de l’agroécologie.
Mission impossible dans le contexte actuel de dégradation des relations internationales ? Deux ans avant la COP21, peu d’observateurs pariaient sur l’adoption d’un accord universel comme celui de Paris, et pourtant. La COP28 peut-elle apporter quelques bonnes surprises ? Réponse mi-décembre à Dubaï.
À propos de l’auteur : Christian de Perthuis. Professeur d’économie, fondateur de la chaire « Économie du climat », Université Paris Dauphine – PSL.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
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