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« L’Afrique manque de moyens, mais a une expérience des épidémies »

Si l’Afrique manque de moyens financiers pour affronter la crise du coronavirus, elle bénéficie d’une certaine expérience dans la gestion des épidémies, analyse Jean-Théophile Banzouzi, directeur exécutif de l’ONG Médecins d’Afrique.

Le 27/03/2020 par Amaury Lelu
(Crédit : Fermes d'avenir)
(Crédit : Fermes d'avenir)

Si les Africains ont semblé un temps épargnés par la pandémie du coronavirus, la crise s’accélère sur le continent : une quarantaine de pays sont désormais touchés. Le 18 mars, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) appelait déjà l’Afrique à se « réveiller » et à « se préparer au pire. » Face à la faiblesse des systèmes de santé locaux, le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a annoncé le 24 mars qu’un « paquet financier » allait être mobilisé. 

Le docteur Jean-Théophile Banzouzi, directeur exécutif de Médecins d’Afrique, une organisation non gouvernementale qui accompagne le développement socio-sanitaire de 14 pays, revient sur les handicaps mais aussi les atouts du continent pour faire face à cette crise. 
 

  • Les mesures prises actuellement en Afrique sont-elles suffisantes  ?
     

 Dr Banzouzi : Oui, je pense. Le confinement en Côte d’Ivoire a par exemple été décrété sur tout le territoire lorsqu’il y a avait seulement 54 cas, avec une fenêtre horaire pour s’approvisionner en nourriture. Le pays a été très anticipatif ! Le gouvernement ivoirien a aussi décidé de systématiser les tests au niveau régional, ce qui n’a pas été fait dans les pays les plus riches au départ. Il a proposé des dépistages de masse.

Pour ceux qui sont déjà contaminés, des polycliniques sont réquisitionnées. Enfin, les transports urbains et interurbains sont en train d’être suspendus. Ces mesures sont aussi appliquées dans d’autres pays comme la République démocratique du Congo, le Burkina Faso, le Togo ou le Bénin.

L’Afrique peut aussi compter sur des relais communautaires. Quand une épidémie se déclenche, il y a des comités de concertation qui se mettent en place pour faire passer les messages à toute la population. La communication va très vite via les réseaux sociaux.
 

  •  Mais le confinement n’est-il pas difficile à mettre en place ?
 

On pensait qu’il était impossible à mettre en place en France, mais lorsque la situation est tragique, tout le monde est capable de se discipliner. C’est aussi possible en Afrique, car c’est une question de vie ou de mort.

Là où il y a un problème, c’est au niveau de l’approvisionnement en nourriture, parce qu’en Afrique tout se passe au niveau des marchés. Mais là aussi, il est tout à fait possible de les restructurer très rapidement. Au lieu d’avoir mille entrées, il faut des marchés à deux ou trois entrées en respectant la distanciation sociale.

 

  • Quelles sont les autres contraintes sur le terrain ?
 

En Afrique, il y a notamment le problème des églises et des nombreuses sectes. Les Africains sont très spirituels et se retrouvent en groupe pour prier. Mais l’Église catholique, protestante, ainsi que les musulmans commencent à prendre des décisions pour endiguer la pandémie, ce qui était complètement impensable ! Et désormais, la plupart des gens prient chez eux.
 

  • Une banque de la Ligue arabe a promis une aide de 100 millions de dollars à l’Afrique subsaharienne. La fondation du milliardaire chinois Jack Ma a livré du matériel médical. Qu’attendez vous des autres pays ?
 

Les premières réponses doivent être apportées par les Africains eux-mêmes et leurs gouvernements. Ils doivent encourager le confinement, l’application des gestes barrière, la mobilisation des soignants.

Il y a des médecins et des infirmiers présents. Cette ressource humaine doit rapidement être orientée vers une lutte acharnée, avec à la tête nos épidémiologistes. Il faut aussi développer la formation des équipes médicales pour démultiplier les centres de tests. 

Ce qu’on peut attendre des autres pays, c’est l’envoi d’intrants : les masques, les gants, les tenues de protection… Et aussi du matériel pour faire des tests en plus grande quantité. Il faut qu’on soit capable de faire 10 000 voire 20 000 tests par jour dans les pays touchés.
 

 
  • L’épidémie Ebola qui a frappé l’Afrique a t-elle permis au continent de se préparer à celle du Covid-19 ?
 

C’est vrai qu’avec la multiplication des épidémies comme Ebola, le VIH ou le choléra, de plus en plus de pays africains ont de très bons épidémiologistes. Ils ont une expérience de terrain extraordinaire, et sont souvent appuyés par des experts de l’OMS et des Nations unies.

Il y aussi dans, chaque pays, un laboratoire de référence chargé des épidémies et des pandémies. En Afrique francophone, c’est l’institut Pasteur qui coordonne ces  laboratoires, souvent situés dans les capitales. Ils doivent être déployés au niveau régional et mieux équipés, afin de soigner le plus grand nombre.

 
  • Au final, comment voyez-vous la suite de la crise sanitaire en Afrique ?
 

L’Afrique a vécu beaucoup de choses dans son histoire et elle est toujours debout. La population est jeune, débrouillarde, et a une très forte capacité de résilience. Les pays africains n’ont pas les mêmes moyens que les autres, mais s’ils prennent les bonnes décisions politiques et qu’ils diffusent rapidement les messages de prévention, ils parviendront eux aussi à enrayer la pandémie.
 

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