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Digitale academie : Et la fac viendra à toi

Là où l’enseignement supérieur parait lointain, la Digitale académie permet
à des jeunes de se raccrocher aux études, grâce à des centaines de formations diplômantes à distance et à un coaching personnalisé. Reportage en Seine-et-Marne, où est né ce dispositif qui compte aujourd’hui dix antennes en France.

Le 08/03/2021 par Michèle Foin
Brittany Angue, 26 ans étudiante de la Digitale Académie.
Brittany Angue, 26 ans étudiante de la Digitale Académie. (Crédit : Patrick Gaillardin.)
Brittany Angue, 26 ans étudiante de la Digitale Académie. (Crédit : Patrick Gaillardin.)

« Si tu ne vas pas à l’université, l’université vient à toi. » Le slogan s’affiche à l’entrée de la Digitale académie. Pour les jeunes de Montereau-Fault-Yonne et ses environs, dans le sud-est de la Seine-et-Marne, l’offre universitaire est faible : quelques BTS en maintenance industrielle dans un lycée local, quatre licences de droit à Melun – antenne de Paris-2-Assas –, une dizaine de DUT très sélectifs et une vingtaine de licences pro (gestion, sciences sociales, bâtiment, maintenance…) à Fontainebleau et Sénart, des campus de l’université Paris-Est Créteil.

Cet article a initialement été publié dans WE DEMAIN n°32. Un numéro disponible sur notre boutique en ligne.

Pour élargir le spectre, il faut voyager : Paris est à une heure, Créteil et Marne-la-Vallée, pourtant plus proches, à près de deux heures… via Paris. C’est pour faire face à ce vide universitaire qu’Yves Jégo, maire (UDI) de Montereau-Fault-Yonne de 1995 à 2017, a initié un « tiers lieu », 450 m2 d’algécos installés au cœur du quartier prioritaire de Surville.

Depuis 2017, les désenchantés d’une orientation subie, les déchus de Parcoursup ou les décrocheurs de la fac peuvent pousser la porte de la Digitale académie. Ils découvrent alors que des études leur sont accessibles près de chez eux, et surtout qu’ils peuvent choisir la voie qui leur plait.

Pour 25  euros par an plus le cout des formations en ligne, cette structure offre à une trentaine d’étudiants les conditions techniques – salles de cours, ordinateurs, internet haut débit – pour accéder à 150 diplômes à distance. En pratique, ils s’orientent surtout vers les 26 BTS (tourisme, comptabilité-gestion, communication…) accessibles via le Centre national d’enseignement à distance (Cned). Formations courtes, débouchant directement sur l’emploi. Enfin, et surtout, chacun bénéficie d’un accompagnement personnalisé.

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« Je me suis accrochée ! »

« Je passais devant la Digitale académie tous les jours, mais comme j’y voyais inscrit ‘université’, je pensais que ce n’était pas pour moi », se souvient Brittany Angué, 26 ans. La jeune femme a quitté le lycée à 16 ans. « Mes parents vivaient au Gabon, et ma tante ne me poussait pas. » Sans diplôme, elle suit une formation d’hôtesse de caisse, enchaine CDD et intérim, tout en regrettant ses choix. « Mes collègues qui avaient le bac étaient mieux payés que moi. » Brittany tombe enceinte à 22 ans.

Quand son fils qu’elle élève seule entre en maternelle, elle envisage de passer le bac en candidat libre. La mission locale l’oriente alors vers la Digitale académie.

Thérèse Lobreau, coach et aujourd’hui directrice, la reçoit et lui propose de passer un diplôme d’accès aux études universitaires (DAEU). Il s’agit d’assimiler en huit mois l’équivalent des programmes de première et terminale. « Ce n’était pas facile, mais je me suis accrochée ! » Son diplôme acquis, Brittany s’inscrit sur Parcoursup en licence de langues étrangères appliquées (LEA) à Paris, mais se retrouve sur une liste d’attente de plus de 4 000 personnes. « Je ne pouvais pas m’inscrire à Évry ou à Créteil, c’était beaucoup trop loin », explique-t-elle. 

Elle choisit donc de se réinscrire à la Digitale académie, cette fois en BTS « négociation et digitalisation de la relation client ». « Je m’attendais à une première année difficile. Finalement, j’étais plutôt à l’aise. Durant le DAEU j’avais appris à être autonome », se réjouit-elle. Elle entame aujourd’hui sa deuxième année de BTS. « Je veux continuer jusqu’à bac +5 ! » assure-t-elle, même si elle ne vit que du RSA et des allocations familiales.

Iris Gapundu, elle, a pu s’inscrire en licence de LEA à la Sorbonne après son bac S. Elle visait alors une formation en journalisme au Celsa, à l’issue de sa deuxième année de licence. À la fin du premier semestre, elle décroche. Mais le rêve du journalisme, qu’elle a « depuis toute petite », ne la lâche pas. Une amie lui conseille la Digitale académie. « Thérèse a pris le temps de discuter avec moi de ce que je voulais faire, mais aussi de ce que j’aimais faire », témoigne Iris, également passionnée de photo.

La coach lui propose alors un double cursus à distance, BTS communication et bachelor en photographie, qui lui permettra ensuite de présenter les concours d’écoles de journalisme. « C’est un peu lourd de suivre les deux programmes, mais avec l’aide des coachs, comme je suis motivée, ça va tout seul. En présentiel, je n’aurais jamais pu être à deux endroits en même temps. »

Présence obligatoire

La Digitale académie ne fait pas qu’orienter : elle accompagne aussi les démarches pour rechercher une école, obtenir une bourse, trouver un stage… Quand Mattéo Leite, 19 ans, s’est tourné vers cette structure, Parcoursup venait de lui refuser son seul et unique vœu : une licence en sciences et techniques des activités physiques et sportives (Staps). « J’avais 13 de moyenne en terminale S. J’étais sûr de moi ! » explique le jeune homme, qui n’avait prévu aucune alternative. « Mon frère venait de décéder. Psychologiquement, je ne me sentais pas prêt à quitter mes parents et mes amis. »

Au-delà du sport, Thérèse Lobreau cerne en lui l’envie de gérer une équipe et lui propose un BTS de management des opérations commerciales. Il pourra ensuite poursuivre en alternance dans une école de commerce spécialisée dans le sport, dénichée par la coach. « Au final, peut-être que j’aurai un meilleur diplôme que Staps avec la Digital académie ! » espère Mattéo. Il s’en est cependant fallu de peu qu’il ne décroche pendant le confinement.

« Ce que j’aime ici, c’est qu’on s’entraide. Ça me donne envie de travailler ! » Tout est fait pour créer une vie de campus. Une fois par mois sont organisés des cafés-débats, avec des intervenants extérieurs. Tous les matins, les jeunes commentent l’actu en anglais avec un coach. Et pour les préparer à la recherche de stage ou d’emploi, des mises en situation ont lieu chaque semaine. Un concours d’éloquence sera même organisé d’ici la fin de l’année universitaire pour les aider à la prise de parole.

En 2019, 75 % des étudiants de la Digitale académie ont réussi leurs examens. En 2020, avec le confinement, douze étudiants ont décroché et ne sont jamais revenus. « Une situation exceptionnelle » selon Thérèse Lobreau, même s’il n’est pas rare que certains obtiennent leur BTS en trois ans. « Nos élèves ont des prérequis assez faibles lorsqu’ils viennent d’un lycée professionnel », justifie-t-elle, précisant que la présence obligatoire est passée de 16 à 25 heures par semaine.

« Nous voulons faire comprendre à l’étudiant qu’il doit aussi s’impliquer à la maison. Chaque matin, son coach l’interroge sur ce qu’il a révisé la veille », ajoute la coach, qui cherche à les confronter à la réalité de l’enseignement supérieur. Son regret, c’est que les licences à distance soient désormais intégrées à Parcoursup avec une clôture des admissions mi-septembre. Bien trop tôt pour des jeunes souvent désorientés, qui peuvent frapper à la porte de l’académie jusqu’en novembre.

Depuis 2017, la Digitale académie a essaimé. Neuf nouveaux campus ont ouvert en 2019 sous la bannière du Réseau des tiers lieux de l’enseignement supérieur (RITLES), financés par les collectivités. 141 jeunes y ont été suivis en 2019-2020, dont 60 % ont réussi leurs examens. Le label des « campus connectés », lancé en 2019 par la ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal pour désenclaver les territoires éloignés des centres universitaires, s’inspire d’ailleurs de Montereau-Fault-Yonne. « C’est une opportunité en or qu’on nous offre ici ! » conclut Brittany, qui n’a qu’une crainte : un reconfinement qui l’empêcherait de poursuivre ses études.

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