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École : quand les élèves passent à l’acte

Aristote le disait déjà : « Ce que nous devons apprendre à faire, nous l’apprenons en le faisant. » Rebaptisé learning by doing, l’apprentissage par la pratique est devenu une pédagogie à part entière. Exit la seule théorie, place à l’expérimentation. Via, entre autres, la démarche scientifique ou encore… l’entreprise.

Le 02/01/2020 par Armelle Oger
Crédit : Konstantin Yuganov
Crédit : Konstantin Yuganov

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Stéphanie Breniaux en est convaincue : « On peut avoir de l’ambition pour tous les élèves si l’on engage ces derniers, si les jeunes sentent qu’ils sont actifs, qu’ils peuvent décider et faire par eux-mêmes. » Et pour cette enseignante à l’école élémentaire Les Rousses dans le Jura, la démarche scientifique représente une valeur ajoutée incontestable.

Transformés en petits chercheurs, ses 25 élèves de CM2 le lui prouvent chaque jour : observation et questionnement, hypothèse, expérimentation, évaluation – « le tout avec un vrai statut donné à l’erreur, vécue non pas comme un échec mais un nouveau départ » : l’investigation scientifique génère motivation, créativité, coopération. Encore plus si les notes anxiogènes sont remplacées, comme le fait leur maîtresse, par une évaluation des compétences.

Cette enseignante qui a toujours travaillé avec ses élèves autour de projets collaboratifs est accompagnée par les Savanturiers. Créé en 2013, ce programme éducatif développé par le Centre de recherches interdisciplinaires (CRI) a pour objectif de former les élèves à la créativité du questionnement, la rigueur de la recherche et la coopération au service de l’intérêt commun. « Sciences exactes mais aussi humaines et sociales, avec un accent particulier mis sur la climatologie », précise Ange Ansour, responsable de ce programme auquel 70 000 élèves, de la maternelle au lycée, en REP comme en zone rurale, ont déjà participé.

Une démarche scientifique utilisée de façon transversale. Avec La main à la pâte (fondation créée par l’Académie des sciences, les Ecoles normales supérieures de Paris et de Lyon), les élèves de CM1 de l’école Charpak à Nogent-sur-Oise ont ainsi présenté en juin dernier un spectacle, Le secret de la glace, aboutissement du dispositif Sciences en scène mettant en relation les sciences, la littérature et le théâtre.

Changer de posture

Les maths, le français, l’histoire, le débat philosophique, l’éducation civique, l’éducation aux médias : l’investigation scientifique peut s’appliquer à toutes les disciplines et plus encore peut-être à la vie de tous les jours !

À l’école Les Rousses, les enfants ont planché sur des sujets aussi différents que la protection contre les microbes dans le cadre du Défi Pasteur ou le quotidien des poilus dans le contexte du centenaire de la Première Guerre mondiale : « à partir de correspondances de poilus, l’aide d’une historienne mise à la disposition de la classe par les Savanturiers à laquelle les enfants ont pu poser toutes les questions qu’ils voulaient, ces derniers ont créé le compte Twitter d’un poilu, un livre numérique et un escape game : je suis certaine qu’aujourd’hui ils ont intégré, et à long terme, un peu de cette page d’histoire. »

Prochains thèmes : le saut à ski, dans le cadre des Jeux olympiques de la jeunesse 2020 et la modélisation du fort des Rousses. « Et cela en tenant mon programme, précise Stéphanie Breniaux. Et mes élèves ! Il faut changer de posture pour faire autorité en classe. » Acteurs et pas seulement apprenants, les élèves sont plus attentifs. L’enseignant ne se demande plus comment « les tenir » mais comment apprendre avec eux. De plus en plus de collègues ont ce même ressenti. Pédagogie par la science, le jeu, les classes inversées, mutuelles, ils échangent, partagent sur des plateformes comme le Forum apprenant, mis en place par l’académie de Bourgogne, ou le mook Vers une planète apprenante. »

Même implication, même conviction chez Matthieu Stein, qui enseigne les SVT au collège en REP Jean-Lurçat, à Saint-Denis. « Avec les Savanturiers nous sommes partis du projet Ocean Cleanup pour réfléchir sur les poubelles océaniques. Comment fonctionnent-elles ? Comment sont-elles transposables sur le canal Saint-Denis par exemple ? » Les collégiens ont aussi imaginé des poubelles robots pour la cantine. « Quand les élèves produisent, ils adhérent à la transmission de connaissance. Ils réfléchissent, questionnent. Ils sont aussi plus réceptifs au débat. Leur esprit critique se développe : sur une année j’ai vu la différence ! Parfois le débat s’élargit. Et c’est tant mieux. Je me souviens de ces profs qui interrompaient leurs élèves d’un « C’est pas le sujet” : c’était tellement frustrant ! »

Faire évoluer sa façon d’enseigner peut être déstabilisant mais nombreux sont les enseignants qui, Matthieu Stein en est persuadé, ont des idées, envie d’expérimenter. « Des enseignants qui apprennent ce sont des élèves qui réussissent (1). » Lui-même aimerait suivre une formation d’escape game. « Et certaines académies sont ouvertes à l’innovation. Comme dit Stéphanie Breniaux : il y a de quoi être optimiste, les choses bougent. »

Entreprendre pour apprendre

Inventé en 1919 par l’industriel américain Horace A. Moses, le concept de mini-entreprise se base sur l’apprentissage par l’action (learning by doing). La fédération Entreprendre pour apprendre (EPA) propose ainsi à des jeunes âgés de 9 à 25 ans de créer et de gérer une entreprise au cours de leur année scolaire.

Professeur de français au collège Saint-Joseph (Plouescat, Finistère), Anne-Sophie Moal accompagne pour la onzième année consécutive 25 élèves en classe de 3e dans leur projet de mini-entreprise. Dans cet établissement de 200 élèves, il s’agit d’une option, au même titre que le latin ou la culture bretonne. Tournois handisports, soirées cabaret, livres de cuisine, box saisonnier de produits locaux…, les projets des collégiens varient d’une année à l’autre. « Ce projet leur permet de donner du sens à leur scolarité, explique Anne-Sophie Moal, pour que plus tard ils ne subissent pas leur métier, mais qu’ils le vivent. »

En 2018-2019, accompagnés par 2 800 encadrants, 43 000 jeunes ont participé à une mini-entreprise en France. Un programme en trois parcours distincts. Proposition phare : un module de six à dix mois (60 heures minimum) au cours duquel les élèves doivent transformer une idée en produit ou service commercialisés et présenter leur projet final à un jury d’enseignants et de professionnels lors d’un salon régional. De l’étude de marché à la rédaction d’un cahier des charges, de la commercialisation à la gestion d’un budget, les élèves découvrent, une à une, chaque étape de la création et de la vie d’une entreprise. Si les élèves sont maîtres de leur projet, ils sont guidés et épaulés par un ou deux enseignants et accompagnés par un mentor issu du monde de l’entreprise. D’un point de vue pédagogique, les impacts sont multiples. « Le travail en équipe, le sens des responsabilités, la confiance en soi, l’aisance à l’oral… « , énumère Inès, 16 ans, élève de première au lycée Kléber à Strasbourg. Durant son année de seconde, elle a développé, avec quatorze camarades, Cot’n’Co, qui commercialisait des cotons lavables et réutilisables en matières 100 % recyclées et fabriqués par une personne en contrat d’insertion chez Emmaüs.

Autre avantage de la proposition d’EPA, son adaptabilité à des âges et des niveaux différents, des programmes scolaires et de formation, des disciplines et domaines d’étude. L’année dernière, pour la première fois, Jean-Baptiste Mehrand, enseignant en maçonnerie dans un établissement régional d’enseignement spécialisé (EREA) à Nantes, qui accueille des jeunes en grande difficulté scolaire et sociale, a proposé à sa classe la création d’une mini-entreprise. Ses huit élèves en deuxième année de CAP ont eu l’idée d’inventer des pas japonais phosphorescents, Les Pas nantais, qui leur ont valu en mai dernier le prix « Coup de cœur du jury » lors du salon régional à La Roche-sur-Yon. « Mes jeunes sont sortis transformés de cette expérience, avec une confiance en eux insoupçonnée, explique l’enseignant avec fierté. Ils savent maintenant qu’il peut y avoir une place pour eux dans une société d’adultes, une société à laquelle ils peuvent participer. »
 
1 – Titre de l’ouvrage de François Muller, éd. ESF SH, sept. 2018.

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