Économie, politique : « La blockchain va changer beaucoup de choses ces 10 prochaines années »

« Une opportunité d’apprentissage formidable », c’est ainsi que Claire Balva, 23 ans et déjà à la tête d’une start-up, perçoit la blockchain. Basée sur des algorithmes, cette technologie permet d’échanger des données (argent, fichiers, titres de propriété…) de façon sécurisée et totalement décentralisée. Autrement dit, sans intermédiaires ni autorité centrale. Un exemple ? La crypto-monnaie bitcoin, qui s’échange entre particuliers sans l’intervention d’aucune banque. Mais la finance ne sera pas le seul secteur touché. Selon Claire Balva, la blockchain augure des « changements de paradigmes » dans de « nombreux secteurs », des institutions aux entreprises.

Blockchain France, la start-up qu’elle a cofondé avec trois anciens camarades d’école, Alexandre Stachtchenko, Antoine Yeretzian et Clément Jeanneau, n’a même pas un an. Mais déjà, des entreprises comme Total ou Engie font appel à ses conseils. L’hiver dernier, elle a organisé des conférences à l’école de commerce ESCP Europe et à l’Assemblée Nationale. Alors que les médias s’emparent de plus en plus du sujet, peut-on vraiment parler d’une « révolution technologique » à venir ? Où en sommes-nous en France ?

Dans le cadre du Positive Economy Forum, qui s’est tenu au Havre du 13 au 17 septembre et dont We Demain est partenaire, nous en avons parlé avec Claire Balva. Entretien.

We Demain : Tout est parti de votre blog, où vous écriviez des articles sur la blockchain. Comment un blog devient-il une start-up ?
Claire Balva : Parce qu’il y a une réelle demande aujourd’hui, de la part des entreprises surtout, et doucement de la part des politiques également. À mesure que nous publiions sur notre blog, nous avons été de plus en plus sollicités. Nous avons alors décidé de créer notre boîte de formation et de conseil sur le sujet. Aux États-Unis, cela fait plus longtemps que l’on entend parler de blockchain. En France, on peut dire que cela fait seulement un an que les médias se sont emparés du sujet et l’ont rendu « hype » – alors que la blockchain existe depuis 2008, avec la création du bitcoin. Mais cette nouvelle technologie promet d’être tellement disruptive que tout le monde cherche à la comprendre, puis à la maîtriser. L’enjeu est de taille : si on la domine, elle pourrait remplacer de nombreux intermédiaires dans tous les secteurs d’activité, et donc changer notre paysage économique global.

En France, où en est-on de son déploiement ?
Ça bouge vite. Désormais, presque toutes les entreprises y réfléchissent, même si leur intérêt est très variable. On est encore très en amont du bouleversement technologique promis, les choses sont seulement en train de se construire. La blockchain bitcoin, par exemple, est aujourd’hui encore limitée à sept transactions par seconde en moyenne théorique, contre une moyenne de 155 pour PayPal et 2 000 pour Visa sur le réseau VisaNet.

Il y a pourtant déjà des secteurs qui n’y réfléchissent pas seulement, mais qui s’en sont emparés. Notamment celui de la finance, notamment les banques, mais aussi des assurances.
C’est vrai. La BNP la teste par exemple pour permettre aux entreprises non cotées d’émettre des titres sur le marché primaire. La Banque de France aussi, qui a construit avec nous un « proof-of-concept spécifique « . Toutes les banques ont compris leur intérêt à se pencher sur le sujet : La blockchain permet notamment des transactions interbancaires ou entre particuliers à moindre frais, et avec des délais plus courts. Et plus largement, une traçabilité fiable des données, ce qui peut par exemple être intéressant dans le cadre d’une étude pharmaceutique, ou pour suivre la « vie » des produits, comme cette start-up britannique qui peut, grâce à la blockchain, suivre la filière du thon, de sa pêche en Asie à notre table. Des applications sont enfin développées dans le domaine de la production et de la distribution d’énergie, comme à Brooklyn.

Pourquoi n’y a-t-il pas encore de tels exemples chez nous ?
Parce qu’en France, les start-up se penchent surtout sur les sous-couches, ou sur-couches, comme on l’entend, de la blockchain, à l’image de Stratumn, qui améliore les « workflow » de la chaîne de blocs, ou de Ledger, qui cherche à sécuriser davantage le portefeuille des monnaies cryptées. Mais il y a tout de même quelques projets localisés, comme Lumo avec le Solarcoin, qui permet de certifier la circulation de l’énergie solaire. De même, Engie a conçu dans l’Yonne une infrastructure blockchain sur un réseau de compteurs connectés, qui permet de déclencher automatiquement l’appel d’un dépanneur en cas de fuite grâce à des « smart contracts  » (contrat intelligent, dans le jargon blockchain, NDLR). D’ici 2017, de nombreuses nouvelles applications locales verront le jour.

Quels obstacles reste-t-il à franchir ?

L’objectif premier reste encore de parvenir à créer une expérience utilisateur viable – c’est-à-dire à faire en sorte que les entreprises arrivent à se servir de cette technologie pour des applications concrètes, sans que les utilisateurs ne voient qu’il y a la blockchain derrière. Un peu comme avec Internet maintenant, tout le monde l’utilise sans savoir ni comprendre comment les protocoles TCP/IP, qui sont à son origine, fonctionnent.

Quelles sont ses applications possibles dans le domaine de la politique, en France ?
Les politiques sont loin d’être prêts à vouloir légiférer sur le sujet, même si Axelle Lemaire ou la mairie de Paris s’intéressent aux possibilités offertes par la blockchain. Car cette technologie permettrait de revisiter certaines fonctions de l’État et de la vie politique grâce à des organisations autonomes décentralisées, c’est-à-dire un assemblage de contrats qui fonctionnent de façon automatisée dans la blockchain.

Un exemple ?

On pourrait automatiser la gestion du budget de l’État, depuis le prélèvement à la source de l’argent des entreprises et des particuliers. On pourrait aussi imaginer de voter en ligne grâce à la blockchain. Ce fut déjà le cas en Grande-Bretagne à l’occasion d’élections municipales, grâce plusieurs start-up, dont Follow my vote. La blockchain étant un outil décentralisé et sécurisé auquel tout le monde peut faire confiance, chacun peut alors vérifier que son vote a été pris en compte. On pourrait aussi l’utiliser pour les votes par procuration, et pour consulter régulièrement les citoyens sur certaines questions, sans que leur avis ne soit manipulé. Dans les dix prochaines années, beaucoup de choses vont changer grâce à la blockchain. 

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