En Californie, Uber attaqué en justice par ses chauffeurs

Lancé en Californie en 2010, Uber n’avait encore jamais eu affaire à la justice de son État natal. Jusqu’au 1er septembre, lorsque cette dernière a validé le lancement d’une « class action » (action de groupe) initiée par des conducteurs. Ces derniers ne demandent rien de moins que la requalification de leurs contrats précaires.
 
Tout a commencé en juin 2014, lorsque quatre chauffeurs Uber décident d’attaquer en justice la plateforme, valorisée à 50 milliards de dollars. Il estiment que cette dernière les soumettrait à une série d’obligations qui, s’ils ne les respectent pas, pourraient être un motif de renvoi. Ce qui, selon eux, les assimile à des salariés, et oblige par la même la société à assumer leur couverture sociale (cotisations santé, chômage) et leurs congés, à l’instar des sociétés de taxis.

Embaucher sans embaucher

Pour faire valoir ce qu’ils estiment être leurs droits, les chauffeurs ont fait appel à l’avocate Shannon Liss-Riordan. Cette dernière est connue pour avoir remporté un procès contre Fedex, spécialiste de la livraison de colis, qui, lui aussi, embauche sans embaucher des travailleurs indépendants. Une issue qui pourrait se répéter dans le cas d’Uber, puisque le juge californien Edward Chen a accepté que la question fasse l’objet d’une « class action ».

Si la décision du juge ne porte pas sur le fond de la plainte, le service de réservation par Smartphone de voitures avec chauffeur pourrait cependant être obligé de reconnaître le statut de « salariés » à ses « employés, qui n’en sont pas » en Californie. Il remettrait alors en cause l’un des fondements de la plateforme controversée : son modèle économique, reproduit par une série d’autres start-up, qui repose sur l’extrême flexibilité des emplois sur lesquels il s’appuie.

Ces derniers ne bénéficient d’aucune protection sociale de la part de l’entreprise, un fonctionnement qui nourrit les débats autant Outre-Atlantique qu’en Europe. Dernièrement, la candidate démocrate à l’élection présidentielle américaine Hillary Clinton avait notamment promis « des mesures contre les patrons qui exploitent les travailleurs en les classifiant comme sous-traitants ».

Flexibilité et autonomie complètes



Mais pour Uber, « la montagne de preuves [que l’entreprise a soumis] au tribunal  – y compris les déclarations de plus de 400 conducteurs à travers la Californie -, démontre que deux plaignants ne représentent pas et ne peuvent pas représenter les intérêts de milliers d’autres conducteurs, qui apprécient leur flexibilité complète et leur autonomie comme travailleurs indépendants ». C’est du moins ce qu’a annoncé l’avocat d’Uber, Ted Boutrous, tout en faisant valoir que l’entreprise ferait « très certainement » appel de la décision.

« Il n’y a pas vraiment de conducteur type – la question clé en jeu -, et les partenaires (qui conduisent les voitures NDLR) utilisent Uber selon leurs propres conditions », a indiqué à l’AFP le porte-parole d’Uber dans un courriel.

 
Par ailleurs, la société s’est réjouie du fait que la justice n’ait validé « qu’une petite fraction de la classe (de conducteurs) que les plaignants désiraient » : en effet, le recours s’appliquera uniquement aux personnes ayant conduit depuis le 16 août 2009 en Californie pour plusieurs déclinaisons du service (UberBlack, UberX, et UberSUV) en étant inscrites sous leur nom individuel et payées directement par Uber.
 
Des centaines de conducteurs


Cela exclut notamment les cas où Uber est utilisé par des sociétés de voituriers, ou encore les conducteurs ayant accepté des restrictions de leurs possibilités de recours, intégrées aux contrats types d’Uber depuis juin 2014. Selon le juge, cela devrait tout de même inclure des centaines de personnes, sur les quelque 160 000 ayant conduit pour la société depuis 2009 en Californie.

Autre revers pour la plateforme de services : son argument principal, « l’absence de conducteur type », aurait déjà été l’argument utilisé pour tenter de bloquer le recours en nom collectif. Pour le juge, ce raisonnement serait « problématique ».

Les plaignants n’ont toutefois pas vu toutes leurs revendications validées : le recours collectif est validé pour la question de leur statut et pour celle de leur droit à toucher des pourboires, mais pas pour obtenir le remboursement auquel ils estimaient avoir le droit en tant que salariés pour certaines dépenses, comme les frais d’essence ou l’entretien du véhicule.

Si la procédure ne fait que commencer en Californie, en France, une première réponse judiciaire à l’affaire UberPop sera peut-être apportée par le Conseil constitutionnel le 15 septembre prochain. Suspendu en juillet par Uber France, il fera alors l’objet d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) requise par l’entreprise.

Uber considère en effet que la loi française (loi Thévenoud du premier octobre 2014), qui punit « le fait d’organiser un système de mise en relation de clients avec des personnes qui se livrent au transport de passagers à titre onéreux sans être des entreprises de transport, des taxis ou des VTC », porte atteinte au principe d’égalité et de liberté d’entreprendre.



En attendant, la loi Thévenoud continue d’être appliquée. Mercredi 2 septembre, cinq chauffeurs UberPop ont été condamnés à Bordeaux à des peines d’amende et à quatre mois de suspension de permis pour exercice illégal de la profession de taxi. Une décision qui, en France aussi, relance le débat sur l’opportunité de réguler les activités d’Uber. Et plus largement de la nouvelle économie qu’il incarne.

Lara Charmeil (avec AFP)
Journaliste à We Demain
@LaraCharmeil

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