États-Unis : À Ithaca, une communauté autonome revisite le rêve américain

Dans le vaste salon de la maison commune, les cinq bénévoles de l’équipe de cuisine s’affairent. Bienvenue à Frog, quartier « historique » de l’écovillage d’Ithaca. Les cuisiniers amateurs pèsent, lavent et tranchent les kilos de légumes charnus, récoltés dans la ferme biologique d’à côté.
 

« Être là, ensemble autour des fourneaux et partager cette nourriture merveilleuse qui provient de notre terre : il n’y a pas meilleure façon d’apprendre à connaître ses voisins », assure Melissa, professeur de littérature qui a choisi de vivre ici il y a cinq ans.

Une cinquantaine de convives sont attendus pour le traditionnel dîner du lundi. Les tables sont dressées, prêtes à les recevoir. Dehors, pas un souffle de vent ne vient rider la surface de l’étang que l’on distingue en contrebas. Autour, des collines, des forêts, à perte de vue.

Avec ses maisons en bois patiné par le temps, le village se donne des airs de pionnier du Grand Ouest américain.

Séduire la classe moyenne et préserver les écosystèmes naturels

Oui, mais nous sommes plein Est et à seulement trois kilomètres du premier centre urbain : Ithaca, une ville universitaire de 30 000 habitants qui abrite la prestigieuse université de Cornell. C’est là, à quatre heures de New York, qu’est née en 1991 l’idée folle de créer un modèle de vie alternatif qui puisse séduire la classe moyenne américaine tout en préservant les écosystèmes naturels.

Aujourd’hui, l’écovillage d’Ithaca, c’est 90 maisons et 15 appartements économes en énergie, une vie sociale et solidaire, une gouvernance fondée sur la coopération et le consensus, 22 hectares d’espaces verts protégés, deux fermes biologiques qui permettent à la communauté de manger local… Un laboratoire à ciel ouvert pour inspirer une Amérique qui consomme un quart des ressources du globe tout en abritant 4,5 % de sa population.

Repenser l’habitat humain

« Le but de l’écovillage d’Ithaca est de repenser l’habitat humain », écrivaient ses fondateurs, en 1994, dans l’énoncé de leur mission. Ils envisagent alors une communauté de cinq cents habitants, « pour donner à voir des modèles de vie durables qui répondent aux besoins fondamentaux tels que le logement, la production alimentaire, l’énergie, l’interaction sociale, le travail et les loisirs, tout en préservant les écosystèmes naturels »

Vingt-deux ans plus tard, l’écovillage vient de terminer la construction de son troisième quartier, Tree, après Frog, en 1996, et Song, en 2002, ce qui porte le nombre d’habitants à 250. Chaque quartier possède sa maison commune. On y trouve cuisine, laverie, bibliothèque, chambre d’amis, salle de jeux, bureaux pour permettre le télétravail…

Ainsi les habitations peuvent rester de taille modeste et laisser la part belle aux espaces extérieurs. Les trois quartiers ont été construits selon le modèle de l’habitat participatif : les habitants restent les maîtres d’ouvrage pour la conception, la réalisation et l’aménagement de l’écovillage.

Une qualité de vie exceptionnelle

« Les gens viennent du monde entier pour visiter cet écovillage ! jubile Liz Walker, la cofondatrice. Beaucoup se disent qu’ils pourraient tout à fait vivre ici. Un étudiant de l’université de Rutgers a mesuré l’empreinte écologique de nos deux premiers quartiers. Nous utilisons 63 % de ressources en moins que la plupart des ménages américains pour la nourriture, le logement, le transport, l’énergie… Et pourtant notre qualité de vie est exceptionnelle ! »

Depuis près d’un quart de siècle, Liz Walker concrétise la vision fondatrice. Cette grande femme énergique de 61 ans a franchi un à un les obstacles : un incendie qui ravage le premier chantier, les contraintes budgétaires, la crise économique de 2008, au moment du lancement de la troisième phase, les difficultés de gouvernance par consensus ou la farouche opposition aux projets de développement de certains habitants avides de tranquillité…

Hypothéquer l’avenir de la planète

Jamais elle n’a capitulé, convaincue que le village deviendrait un modèle, invitant inlassablement étudiants et chercheurs, américains comme étrangers, à s’emparer de ce cas d’école, repartant sans cesse à l’affût de fonds pour agrandir le village et montrer à ses concitoyens qu’il est possible de vivre confortablement sans hypothéquer l’avenir de la planète.

« Il est clair, aujourd’hui, que nous n’irons pas au-delà de trois quartiers. Les habitants ne souhaitent pas que le village grossisse davantage. Mais notre taille est suffisante pour démontrer qu’il est possible de vivre autrement », insiste-t-elle.
Lire la suite de l’article dans We Demain n°14.

Texte et photos : Michèle Foin

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