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Face à la crise, le revenu universel refait surface

Espagne, Allemagne, France… les voix s’élèvent dans de nombreux pays pour demander la mise en place d’un revenu de base afin d’amortir les conséquences de la crise économique. Réaction passagère ou tendance durable ?

Le 16/04/2020 par Pauline Vallée
Clément Chabot, Amandine Garnier et Quentin Mateus imaginent un Monde d'Après coronavirus plus responsable. (Crédit : Low-tech-Lab)
Clément Chabot, Amandine Garnier et Quentin Mateus imaginent un Monde d'Après coronavirus plus responsable. (Crédit : Low-tech-Lab)

Il était un peu tombé dans l’oubli depuis la présidentielle de 2017. L’instauration d’un revenu universel, alors mesure phare du candidat socialiste Benoît Hamon, revient en force dans le débat public en cette crise sanitaire. Il est envisagé – du moins provisoirement – par de nombreux pays  afin de pallier la perte de revenus subie par une grande partie de leur population.

Au Royaume-Uni, 170 parlementaires demandaient dès le 19 mars au gouvernement britannique de mettre en place un « revenu universel d’urgence” le temps de la pandémie.

D’autres propositions similaires ont émergé aux Etats-Unis ainsi qu’en Allemagne, où un article du Frankfurter Rundschau suggère le versement d’un revenu de base inconditionnel de 1000 euros par mois pendant six mois, afin de “maintenir le pouvoir d’achat des consommateurs”. Le pape François lui-même évoquait, le 12 avril, dans une lettre publiée par le Vatican, la création d’un “revenu minimum universel”.

L’idée fait aussi son chemin en France, où les tribunes  se multiplient pour la défendre. Un collectif de 19 présidents départementaux socialistes ont ainsi appelé, dimanche 12 avril dans les colonnes du Journal du Dimanche , à la généralisation du revenu de base pour « amortir le choc social qui risque de faire basculer nombre de [citoyens] dans la précarité ». Un autre texte, rédigé par Benoît Hamon et publié ce jeudi dans Le Monde, fait de la  mesure un « antidote social » contre les crises à répétition.

Combler les trous du filet de la protection sociale

Rien d’étonnant à cela, estime Nicole Teke, coordinatrice du Mouvement Français pour un Revenu de Base (MFRB) et co-autrice de Pour un revenu de base universel, vers une société du choix. Selon elle, la crise que nous traversons est révélatrice des “nombreux trous dans le filet de protection sociale”.

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Tout le monde n’est pas égal face à la crise.” A l’image des coursiers des plateformes de livraison comme Uber ou Deliveroo, beaucoup n’ont d’autre choix que de continuer à exercer leur activité, même non-essentielle, afin de survivre financièrement. Par ailleurs, la mise à l’arrêt d’une partie de l’économie impose à certains un chômage forcé et/ou une baisse de revenu. Le revenu de base apparaît alors pour certains comme un moyen de garantir la satisfaction des besoins de première nécessité (payer ses factures, son loyer, se nourrir…).

Et sa résurgence n’est pas seulement motivée par la précarité, estime Nicole Teke, mais par des questionnements plus profonds : “La période nous amène à réfléchir à notre rapport au travail et sa valorisation… »

Revenu universel ou aide personnalisée ?

Des propositions qui s’accompagnent de nombreuses interrogations. Le revenu universel est-il vraiment la réponse la mieux adaptée à la crise économique ? Et d’abord, qu’entend-t-on exactement par « revenu universel” ?

Tout le monde ne met pas la même réalité derrière ce mot », rappelle Guillaume Allègre, économiste au Département des études de l’OFCE.

Le revenu de base se définit comme une allocation de richesse à la fois automatique (nul besoin d’en faire la demande pour la recevoir) et inconditionnelle (tout le monde peut en bénéficier sans limite d’âge, de revenu, d’activité…). Or, certaines propositions visent plutôt à verser une aide temporaire ou variable. Aux Etats-Unis par exemple, le gouvernement envisage de verser un unique chèque d’un millier de dollars aux citoyens américains précarisés. 

En France, les signataires de la tribune du JDD défendent moins un revenu de base qu’une sorte de RSA, certes automatique et ouvert aux moins de 25 ans, mais dégressif.” Autrement dit, les plus précaires recevraient un montant plus important que les personnes touchant un plus haut revenu. Une mesure “plus ciblée, et donc plus efficace”, estime l’économiste. “Il est plus pertinent, à mon sens, de faire jouer un système assurantiel qu’universel. »

En Espagne, le gouvernement prévoit ainsi d’instaurer au plus vite une allocation de 440 euros pour les groupes les plus vulnérables, comme les travailleurs intérimaires, précise le quotidien El PaisOn devrait parler de revenu minimum élargi, davantage que de revenu universel”, reconnaît Nicole Teke.

Imaginer un nouveau projet de société

Cette avancée peut néanmoins marquer une première étape avant l’adoption à long terme d’un véritable revenu de base. Tout dépend, nuance-t-elle, de la manière dont nous sortirons de la crise actuelle. “Le revenu de base n’est qu’un outil qui, selon la volonté politique, peut s’inscrire aussi bien dans une véritable transition économique et sociale, ou servir de pansement pour que rien ne change.

Aux Etats-Unis, le sénateur Bernie Sanders et la représentante Alexandria Ocasio-Cortez plaident ainsi pour un revenu de base plus ambitieux que l’aide envisagée par l’administration Trump, inscrit dans un renforcement du droit du travail et de la protection sociale.

Du côté de la France, les regards se tournent vers la création d’un « revenu universel d’activité” souhaité par le président Emmanuel Macron. Le projet, toujours en phase de concertation, a été pour le moment mis entre parenthèse mais pourrait ressortir renforcé des débats actuels.

Quelles que soient ses conséquences à court ou long terme, ce retour de flamme aura eu au moins le mérite de raviver le vieux débat sur notre rapport au travail et la répartition des richesses… dont il serait dommage de faire l’économie.

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