« Femme actrice, c’est moins de rôles, femme d’origine maghrébine, c’est encore moins »

« Une femme exigeante sur un plateau est une emmerdeuse. Un homme exigeant sur un plateau est un travailleur » ; « Quand on discute d’un acteur, c’est sérieux. Quand on discute d’une actrice, souvent, c’est après »

Voilà quelques extraits des témoignages édifiants que le réalisateur Quentin Delcourt a pu recueillir dans son film documentaire Pygmalionnes. Il s’y entretient avec onze femmes de différents métiers du cinéma. Aussi bien actrices, que réalisatrices, productrices, scénaristes, cheffes-opératrices, qu’agents.

Le réalisateur et l’actrice, metteuse en scène et réalisatrice Naidra Ayadi, qui témoigne dans le film, racontent à We Demain leur vision du féminisme au cinéma, notamment après la Cérémonie des César. 
  

  • We Demain : Pourquoi avoir fait ce documentaire ? Que vouliez-vous raconter ?

  
Quentin Delcourt :
 Ce documentaire s’est imposé à moi peu de temps après l’affaire Weinstein. On ne parlait plus des femmes dans les médias que comme des victimes, et cela me gênait. J’en avais marre d’être le témoin d’un séparatisme grandissant entre les hommes et les femmes. Pour moi, les femmes avaient toujours été présentes, fortes, des bâtisseuses. J’avais envie de rectifier un peu le tir, de leur laisser la parole, tout simplement.
  

  • De ce documentaire ressort l’existence, au cinéma, d’une condition particulière des femmes par rapport aux hommes. Quelle est-t-elle ?

Naidra Ayadi : Être une femme actrice dans le cinéma, c’est avoir moins de rôles. Une femme d’origine maghrébine, c’est en avoir encore moins.

Je suis passée à la réalisation et à l’écriture pour écrire sur des modèles, sujets et histoires qui me sont plus proches. Nous ne traitons pas les sujets de la même manière. Quand j’ai réalisé mon premier film, on m’a plusieurs fois demandé si je pensais avoir les épaules, ce à quoi je répondais « oui, bien sûr » ! Je ne suis pas sûre que l’on ose poser cette question à un jeune réalisateur.
   

  • Que signifie, pour vous, être une « pygmalionne » ?
 
Naidra Ayadi :
Une lionne se bat, c’est elle qui chasse. Une pygmalionne le fait pour elle et pour les autres, pour nos filles et nos garçons !


Quentin Delcourt : Je n’aurais pas dit mieux. On parle toujours des réalisateurs comme des « pygmalions » pour les actrices, sauf que pour moi ce sont les femmes qui m’ont construit, tout au long de ma vie et encore aujourd’hui dans ma carrière. Les Pygmalionnes sont des femmes fortes et inspirantes, qui ont su tracer leur chemin et s’imposer, faire entendre leur voix et qui aujourd’hui aident à faire entendre celle des autres. 
    

  • Pensez-vous être un homme féministe ?

   
Quentin Delcourt : 
Bonne question. Si je prends uniquement mon cas, je dirais qu’un homme féministe est un homme, tout simplement. Je n’ai jamais vu les femmes comme inférieures ou différentes des hommes et j’ai l’impression, avec ce film, d’être devenu un homme plus éclairé.
  
Si être féministe c’est ne pas voir de différence entre hommes et femmes autres que biologiques, oui je suis un homme féministe. Si être féministe, c’est considérer que les femmes ont naturellement tous les droits, alors oui je suis féministe. Mais je prône un féminisme 50/50, un féminin de l’inclusion, un féminisme dans lequel je peux dire aux femmes que je les trouve belles et inspirantes, car aucun combat ne se gagne seul et qu’il ne faut pas exclure les hommes qui aiment profondément les femmes. Passons-nous seulement des cons et des salauds.
   

  • Quelles sont vos réactions par rapport à ce qu’il s’est produit lors de la cérémonie des César ?

   
Naidra Aydra :
 J’ai refusé d’aller remettre un prix pour la dernière cérémonie des César. Ça répond à votre question ? Même quand les choses semblent aller, il faut toujours rester vigilant, être en adéquation avec nos idéaux, nos valeurs, et être toujours prêt à renverser la table !
 
Quentin Delcourt : J’ai naïvement pensé que J’accuse pouvait avoir tous les César possibles, car le film est le résultat du travail de centaines de personnes qui méritent que leur travail soit honoré, mais que Polanski ne serait pas récompensé directement.

Après, je trouve que la haine qui s’est propagée partout sur les réseaux sociaux est totalement abjecte et terrifiante, mais révélatrice du clivage de génération réel qu’il y a entre un cinéma français vieillissant et une nouvelle génération qui bouillonne et qui, comme l’a si bien dit Aïssa Maïga sur scène, ne laissera pas le cinéma français tranquille.
 

Donc, oui, je suis favorable à l’arrêt de la politique de l’autruche et je comprends qu’Adele Haenel quitte la cérémonie. Mais nous pouvons changer les choses, avec les quotas si il en faut, même si cela à quelque chose d’humiliant pour celui qui en fait l’objet, il faut saisir ces quotas et promouvoir de nouveaux schémas positifs.

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