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Innovante et bienveillante : bienvenue à l’école de demain

Mixant numérique, neurosciences, pédagogies alternatives, une nouvelle éducation privilégiant personnalisation, coopération, bienveillance, esprit critique, jeu ou encore learning by doing est déjà expérimentée par des enseignants convaincus de l’urgence à changer l’école.

Le 02/12/2019 par Armelle Oger
Crédit : Caia images/Cavan
Crédit : Caia images/Cavan

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Des parents qui s’angoissent, des enfants qui au mieux s’ennuient, au pire décrochent, des enseignants qui dépriment, chaque cru biannuel de l’enquête Pisa, ce programme international pour le suivi des acquis, génère le même accablement : inégalitaire, peinant à assurer les apprentissages fondamentaux, inadaptée aux défis du XXIe siècle, l’école apparaît, comme dit Michel Fize, toujours plus « à la ramasse ».

À son passif, le sociologue du CNRS note deux faillites : « Les inégalités et la violence. Cette dernière est un problème social, mais avec des élèves qui s’ennuient, n’ont pas confiance en eux, stressent, l’école en rajoute une couche. »

Une école qui, faute d’avoir compris que la société, les individus, le système tout entier avaient sacrément changé depuis Jules Ferry, ne préparerait pas les enfants au monde de demain. « Nos programmes scolaires et nos systèmes éducatifs n’ont à l’heure actuelle pas pris conscience de l’intensité du choc que les progrès de l’intelligence artificielle s’apprêtent à porter à nos façons de vivre, de travailler, de vivre ensemble », regrette François Taddei, créateur du Centre de recherches interdisciplinaires et auteur d’Apprendre au XXIe siècle.

« À bien des égards, l’acte éducatif change de sens : alors qu’il se nourrissait traditionnellement d’un passé qu’il s’agissait de prolonger, il doit aujourd’hui s’inspirer d’un futur que nous ne sommes pas capables d’anticiper », écrivait en 2009 le chercheur en sciences de l’éducation Philippe Meirieu. Un futur qui pour reprendre le titre du dernier livre du célèbre pédagogue semble se présenter sous le signe des « neurosciences, des écoles alternatives et des bonnes vieilles méthodes ». « Pour en finir avec le miroir aux alouettes », précise l’auteur appelant à dépasser l’affrontement, féroce, entre école traditionnelle et pédagogie nouvelle. Et « concilier ainsi respect de l’enfant et exigence, plaisir d’apprendre et formation de sa volonté, souci des progrès individuels et inscription dans un collectif solidaire… »

Alors faut-il bousculer l’école en mixant nouveau et ancien ou la révolutionner en changeant complètement de système ?

« Pédagogies alternatives ou alternatives pédagogiques ? » , questionnent Marie Vergnon et Laurent Lescouarch, tous deux maîtres de conférences aux universités de Caen et Rouen et membres du Cirnef (Centre interdisciplinaire de recherche normand en éducation et formation). « On peut proposer des alternatives pédagogiques pour faire autrement sans changer de modèle. Sans toucher à la place de l’enfant (et pas seulement de l’élève) dans la classe, à la manière d’organiser le travail », expliquent les deux universitaires. « Restreindre l’innovation aux outils, par exemple l’incitation aux recours aux technologies du numérique. » Ou opter pour des pédagogies alternatives qui proposent un changement radical du modèle. « Certaines innovations comme l’évaluation positive, les apprentissages coopératifs nécessitent un changement de paradigme complet », notent les chercheurs. Il ne s’agit pas alors seulement de changer la manière d’enseigner, mais celle de penser l’éducation, le métier, l’organisation de l’établissement.

Régionaliser l’éducation

« L’Éducation nationale a toujours accepté que l’on fasse autrement à l’école à la condition que cela reste au stade expérimental et que l’expérimentation ne soit surtout pas généralisée », commente Michel Fize. « La réforme de Jean-Michel Blanquer c’est celle d’un maçon qui fait du replâtrage. Il ne reconstruit pas la maison. La notion d’institution avec une hiérarchie, des statuts, des rôles attribués – l’enseignant en haut, l’élève en bas –, symbole de la verticalité de l’école ne change pas. Jules Ferry n’est pas mort, il est juste moins efficace. Ce grand machin qui prend l’eau de toute part n’est pas réformable de l’intérieur. Il faut régionaliser l’éducation en ne conservant au ministère qu’un rôle d’arbitre pour le respect des grands principes éducatifs définis au niveau national. »

Auteur en 2012 du Bac inutile, le sociologue persiste : il faut supprimer ce rite de passage. « L’école est un tabou qui protège un totem : le bac ! Rien ne changera si on ne fait pas sauter le totem. Pourquoi y a-t-il des programmes, des matières, des notes ? Parce qu’il y a l’objectif du bac ! Des programmes derrière lequel le prof court. Avec un élève qui bachote pour oublier le lendemain ce qu’il a appris. » Qu’ils prônent « le changement pour que rien ne bouge », pour paraphraser la réplique du Guépard de Visconti, ou la disruption pour que rien ne soit plus comme avant, affleure malgré les divergences (euphémisme galant !) un certain consensus sur quelques mots-clefs :

Solidarité et coopération au lieu de compétition – « l’hyper compétition ne produit pas forcément le meilleur », explique François Taddei.

Bienveillance, qui n’exclut pas l’exigence, détrônant l’autorité pure et dure – « l’être humain apprend quand il est actif, confiant, aimé, pas quand il est stressé et pas motivé », affirme Céline Alvarez dont le dernier livre, Une année pour tout changer, relate son accompagnement d’enseignants belges auxquels elle a transmis les préceptes de l’expérience menée il y a deux ans dans une maternelle de Gennevilliers. Expérimentation ayant donné lieu au best-seller Les Lois naturelles de l’enfant (éd. Les Arènes, août 2016).

Évaluation globale au lieu d’une notation stigmatisante – « les notes n’ont pas d’intérêt pédagogique, mais génèrent des émotions négatives qui bloquent les apprentissages en figeant les réseaux de neurones », dit Stanislas Dehaene, professeur de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France.

Jeu « il n’y a rien de plus sérieux que de jouer », poursuit François Tadei.

Développement de l’esprit critique – apprendre à poser les bonnes questions plus qu’emmagasiner des réponses toutes faites.

Droit à l’erreur« condition même de l’apprentissage » pour Stanislas Dehaene.

Priorité au faire« cuisiner, construire une cabane, lacer ses chaussures avant même d’apprendre à lire, écrire et compter », prône Céline Alvarez.

Prise en compte des émotions, mais aussi du corps – l’élève n’est pas qu’un cerveau.

5 000 EXPÉRIMENTATIONS

Une inversion à l’instar de la classe inversée – les cours à la maison, les devoirs en classe. Une éducation inversée pour remettre l’école à l’endroit, déjà en marche !

Dans son documentaire Une idée folle diffusé en 2017, Judith Grumbach présentait neuf écoles dans lesquelles droit à l’erreur, autonomie, créativité, entraide sont au programme. Atypiques ? Non ! Pendant deux ans, Emmanuel Vaillant a parcouru la France des écoles primaires, collèges et lycées. Son livre montre les petites révolutions menées, paisiblement, par nombre d’enseignants : le portail Innovathéque, site de l’expérimentation pédagogique, recense plus de 5 000 projets innovants expérimentés dans les établissements scolaires.

« L’institution évolue très lentement, mais l’école c’est d’abord ceux qui la font au quotidien, explique le directeur de Zone d’expression prioritaire, média participatif dédié aux jeunes. De plus en plus d’enseignants veulent faire autrement, ils n’ont pas le choix. L’école n’est plus un sanctuaire et l’élève n’est plus hors le monde. Bouleversement lié au numérique : l’enseignant n’a plus le monopole de la transmission des savoirs. Le ‘prof je sais tout’ sera toujours battu par Google ! Il est remplacé par le prof qui sait comment savoir. D’où la nécessité d’inventer de nouvelles façons de capter l’attention. » En conjuguant, simultanément, présent et passé. Le présent de l’outil numérique, bras armé de la pédagogie active, et celui des apports des neurosciences et des sciences cognitives sur le fonctionnement du cerveau qui ont poussé les enseignants des Cogni’classes à changer leurs pratiques pédagogiques. Le passé avec la redécouverte de Maria Montessori ou Célestin Freinet, mais aussi des classes mutuelles créées au XVIIIe siècle où l’on apprend avec et par les autres.

« Il n’y a pas de coup de baguette magique donné par les neurosciences ou le digital, commente E. Vaillant, pas de doctrine unique : ce que je trouve intéressant c’est le mix d’outils et de méthodes qui est mis en œuvre. »

ÉCOLE DU BONHEUR ?

Le bien-être est aussi au programme avec par exemple le label « école du bonheur », délivré par le labo de l’université de Cergy-Pontoise aux établissements ayant mis en place des dispositifs, yoga, méditation, sophrologie, favorisant l’épanouissement des élèves ou le programme « Je suis bien à l’école », développé par l’académie de Limoges. Sans oublier l’espace scolaire, tant il a une incidence sur la manière d’apprendre et les relations entre les élèves. Conçue par la designer Matali Crasset, l’école Le Blé en herbe à Trébédan dans les Côtes-d’Armor est emblématique.

« Ces expérimentations, Emmanuel Vaillant en est persuadé, sont réplicables et pourraient être systématisées. Le changement en tous cas viendra moins des décisions d’en haut que d’actions quotidiennes mises en œuvre par des enseignants impliqués dans l’adaptation à un nouveau public, de nouveaux enjeux. »

Changer l’école donc, mais « il faut poser une question que personne ne pose : ‘L’école pour quoi faire ?’ « , interroge Michel Fize. Quelle société voulons-nous ? Avec quelle ambition pour tous ?

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