Partager la publication "« Les parents doivent adapter l’éducation positive à leurs propres besoins »"
En 2006, le Conseil de l’Europe en propose une définition : « La parentalité positive se réfère à un comportement parental fondé sur l’intérêt supérieur de l’enfant, qui vise à l’élever et à le responsabiliser, qui est non violent et lui fournit reconnaissance et assistance, en établissant un ensemble de repères favorisant son plein développement. »
En France, c’est en 2010 que l’éducation positive s’impose : elle devient le sujet de nombreux livres et envahit les forums. Mais le courant connaît encore quelques zones d’ombre.
Journaliste et ancienne étudiante en sciences de l’éducation, Béatrice Kammerer vient de publier L’éducation vraiment positive : ce qu’il faut savoir pour que les enfants soient heureux…et les parent aussi ! (Editions Larousse), un ouvrage qui apporte un regard nuancé sur ce courant à la mode et entend aider les parents à mieux se l’approprier. Interview.
- We Demain : Pourquoi avoir écrit un livre sur l’éducation positive ?
Béatrice Kammerer : Au début des années 2010, j’ai lancé le site associatif Les Vendredis Intellos. Chacun peut y prendre la parole pour parler de son quotidien de parent et débattre des livres de parentalité. Par le biais de cette plateforme, j’ai vu le courant de l’éducation positive s’affirmer. J’ai voulu apporter aux parents intéressés une source sur laquelle s’appuyer, nourrie de mon expérience universitaire et journalistique.
Ce qui est très intéressant dans ce courant, c’est qu’il souligne l’importance de la façon dont on s’adresse aux enfants, dont on exprime son mécontentement par exemple. Il rappelle que mots choisis ne sont pas neutres, qu’ils peuvent faire du mal ou être émancipateurs.
- Comment définissez-vous l’éducation positive ?
Les définitions sont multiples et varient selon les auteurs. En première approximation, on peut dire que l’éducation positive a pour idéal la non-violence et la prise en compte du point de vue de l’enfant. Il s’agit d’une approche compréhensive, qui encourage par exemple à se dire : « Non mon enfant ne fait pas une « bêtise », il est peut-être en train d’expérimenter quelque chose. ». Ou « non, cette crise de colère n’est pas qu’un « caprice », il est peut-être aux prises avec des émotions difficiles. »
Mais, comme il y a un effet de mode, le terme devient aussi une coquille vide, une bannière derrière laquelle tout le monde veut se réfugier, il existe de ce fait un grand nombre de pratiques différentes. En France, le sociologue Claude Martin et quelques chercheurs ont commencé à s’y intéresser plus sérieusement.
- À partir de quand l’éducation positive a t-elle émergé ?
Le terme « éducation positive » s’est progressivement imposé à partir de 2010, mais les valeurs et principes qu’il porte sont plus anciens. On peut relier l’éducation positive à au moins trois influences idéologiques différentes. En premier lieu, celle de la psychologie américaine de Carl Rogers, dont est issue la communication non violente du psychologue Marshall Rosenberg, et à « l’écoute active » de son confrère Thomas Gordon.
J’ai également identifié les « théories de l’attachement » comme étant à l’origine de l’éducation positive. Une prise de conscience, dans la deuxième partie du XXe siècle que l’un des besoins fondamentaux pour un bébé est de disposer d’au moins une personne de référence, qui joue le rôle de base de sécurité affective et physique. Un bébé bien nourri et gardé au chaud peut dépérir sans cela. Cette connaissance a conduit à changer notre regard sur le comportement des très jeunes enfants : quand il pleure, il cherche à savoir si quelqu’un s’occupe bien de lui.
Je signale aussi l’apport de la psychologie positive, qui est apparue à la fin du XXe siècle. Lancé par le chercheur américain Martin Seligman, ce courant s’intéresse surtout à ce qui rend les humains heureux et résilients.
- Quelles critiques faites-vous à l’éducation positive ?
Je lui reproche tout d’abord de faire peser sur le dos des mères une trop lourde responsabilité. En effet, l’éducation positive commence souvent par un maternage proximal, où la mère est désignée comme la principale responsable de la satisfaction des besoins du bébé. Elle doit notamment allaiter et porter le bébé dès qu’il pleure. Lorsque l’enfant grandit, l’éducation positive requiert des adultes un véritable travail relationnel pour écouter et accompagner les émotions des enfants, où là encore, on considère généralement qu’il incombe aux femmes. Pourtant, c’est totalement contre productif de ne compter que sur la moitié des parents pour s’acquitter d’une telle tâche, et cela renforce les inégalités qui existent déjà au sein de la parentalité et de manière générale dans la société entre hommes et femmes.
De plus, l’éducation positive s’appuie trop souvent sur les neurosciences pour légitimer ses pratiques, par exemple pour convaincre les parents de limiter toute source de stress chez l’enfant, comme une remontrance. Or les recherches en neurosciences n’en sont qu’à leurs débuts : de ce fait, il arrive fréquemment que les militants de l’éducation positive convoquent ses arguments de manière abusive, par exemple, en extrapolant aux enfants des résultats de recherche conduites sur les animaux.
- Vous rappelez aussi que l’éducation positive peine à s’adresser aux classes sociales défavorisées. Pourquoi ?
D’abord car elle fait référence à des savoirs académiques en psychologie et demande, au travers de la communication qu’elle valorise, une grande maîtrise de la langue. À cela s’ajoute une dimension culturelle: certains sociologues montrent que la capacité de négociation est plus valorisée dans les familles des catégories favorisées, car elles correspond aux compétences recherchées dans les métiers fortement qualifiés. Si vous êtes cadre, on apprécie que vous fassiez valoir votre point de vue, que vous soyez entreprenant, innovant. Si vous faites un travail peu qualifié, on attendra plus souvent de vous une forme d’obéissance, de subordination.
Ceci pourrait expliquer que les parents des catégories populaires puissent avoir tendance à se montrer plus autoritaires, moins démocratiques, car ils tentent comme tous les parents du monde à préparer au mieux leurs enfants à devenir adulte, dans un contexte où eux-mêmes subissent une forme de violence sociale et où ils ont l’habitude de voir leur point de vue ni valorisé, ni pris en compte.
- Vous parlez aussi d’un « business de l’éducation positive ». Pourquoi ?
Les formations sont chères, notamment pour les parents les plus précaires. Il y a une offre très inégale au sein de laquelle il est difficile de se repérer, avec l’émergence de plein de nouveaux métiers aux qualifications parfois floues: coachs parentaux, consultants, thérapeutes. Il y a aussi une quantité astronomique de livres publiés sur l’éducation positive qui entendent donner des astuces aux parents, mais qui les laissent souvent démunis: ils ont le sentiment que ça ne « marche » pas pour eux, qu’ils ne sont pas d’assez bons parents, qu’ils n’ont pas assez bien compris l’éducation positive, qu’ils ont encore besoin d’un autre livre. Alors qu’en réalité, les recettes éducatives n’existent tout simplement pas : on n’éduque pas son enfant en suivant un tutoriel !
- Quelle est la conclusion de votre livre ?
Ma proposition est d’inviter les parents à s’approprier l’éducation positive: de la questionner, d’interroger son sens, de l’adapter à leurs propres besoins. Cela nécessite aussi d’accepter ses propres limites : on ne peut pas éduquer positivement son enfant sans respecter ses propres valeurs et prendre en compte ses propres besoins !
En définitive, les valeurs de l’éducation positive sont indispensables à notre société dans la mesure où elles nous interrogent sur la manière dont nous nous conduisons face à l’interdépendance. Les enfants sont des personnes vulnérables auxquelles on impose certaines choses au nom de leur faiblesse ou de leur immaturité. S’interroger sur la légitimité de ce pouvoir et réfléchir à une autre façon de prendre soin des enfants, plus respectueuse de leur personne et de leur dignité, conduit à remettre en question bien d’autres interactions comme celles en direction des personnes très âgées, malades, ou en situation de handicap.
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