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Ni cours, ni profs : bienvenue à l’école démocratique de Paris

Le 12/11/2018 par WeDemain

Liberté – Égalité – Fraternité. Comme il est de mise dans la plupart des établissements scolaires, la devise de la République française est inscrite au fronton de l’École démocratique de Paris. Sauf qu’accompagnée de tags multicolores faits maison, elle se décline ici de façon véritablement révolutionnaire !

La liberté ? Celle de pouvoir choisir ce qu’on apprend. Quand et comme on veut. L’égalité ? Chaque membre, enfant ou adulte a le même pouvoir dans le fonctionnement de l’école. Quant à la fraternité, elle se conjugue par-delà les classes d’âges.
 

17 heures. L’heure de la sortie. Myrtille, 7 ans, remet les chaussures qu’elle a, comme ses copains, laissées ce matin dans l’entrée. Encore toute excitée, elle raconte à sa mère “comment elle s’est super bien amusé lors de la bataille d’eau“. Maya, 14 ans, et Guillaume, 17 ans, qui discutent au salon, ne sont pas pressés de partir. Pas de sonnerie pour leur rappeler l’heure. Et pas de stress matinal : l’école est toutes portes ouvertes de 9 heures à 11 heures.

Dans la cuisine, Manuel, 14 ans, se prépare un bol de céréales ; Tobias, 12 ans, peaufine sa plainte à l’encontre de celui qui a vidé le bocal de bonbons et qui sera discutée demain matin en “conseil de justice” ; et Luna, 4 ans montre à un adulte attentif le dessin qu’elle vient de terminer.

À l’École démocratique, il n’y a pas de classe mais des salles de chuchotements, de projets, de ciné, d’activités, avec sac de frappe et instruments de musique, un espace multimédia, le tout avec tapis colorés et canapés confortables. Et, centre névralgique, une cuisine où chacun mange ce qu’il veut quand il veut, mais se doit ensuite de faire place nette.

Enfin, point de passage incontournable : le tableau d’affichage avec l’ordre du jour du conseil d’école, celui du conseil de justice et le règlement intérieur évolutif, établi, après vote, par l’ensemble de la communauté. Luna ayant tout autant son mot à dire sur la sortie au musée du Louvre ou le remplacement de la plaque chauffante que David, le cofondateur de l’école.

Cinquante enfants et ados de 4 à 18 ans partagent “ce lieu de vie, sécurisé et bienveillant” où chacun est libre de faire ce qu’il veut, dormir, jouer, regarder un film, s’initier à la guitare, faire la cuisine, suivre un mooc (cours gratuit en ligne) d’astronomie sur l’ordi, apprendre le japonais, comme Bianca et Isabeau, ou, comme Antoine… réviser son brevet ! Car oui, il est possible de se présenter en candidat libre aux examens à l’École démocratique. Du moment que l’élève l’a vraiment décidé et qu’il s’est débrouillé pour s’y inscrire.

PAS DE DIRECTEURS, PAS D’ENSEIGNANTS

Ne m’appelez surtout pas directeur, chez nous cette appellation est inconnue“, prévient David Lerebours, 43 ans, ex-ingénieur passé par les Arts et Métiers, à l’initiative, en 2017, de cette école qui n’est “pas alternative mais une alternative à l’école“. Pas de directeur donc et pas davantage d’enseignants, ici il n’y a que des “facilitateurs“, sept au total, refusant d’exercer la moindre autorité sur les enfants : “Quel que soit son âge, chaque individu est une personne, avec les mêmes droits.

Pas de programmes, pas de matières. Et encore moins d’objectifs en vue d’un examen ou un diplôme. “Ici on ne promet pas aux parents l’obtention du bac !” Contrairement aux écoles dites alternatives, il n’existe pas même “d’intention pédagogique” mais des apprentissages autonomes.

La transmission se fait de façon informelle“, poursuit David Lerebours que les enfants appellent par son prénom, “pour l’être humain, naturellement apprenant, la motivation est la source première de tout apprentissage. On apprend à parler, à marcher tout seul. Lorsqu’on en ressent le besoin, l’envie. C’est la même chose pour tous les savoirs. L’enfant est capable de faire ses propres choix, et ce dans tous les domaines de la vie.

L’École démocratique de Paris n’est pas un ovni porté par quelques illuminés nostalgiques des utopies soixante-huitardes. Trente-sept écoles fonctionnent en France sur le même principe. Depuis l’ouverture de la première, en 2014 à Dijon, cette révolution éducative fait toujours plus d’adeptes, issus plus souvent de la classe moyenne que de Boboland. Si les frais de scolarité s’élèvent à 5 550 euros par an, un système de bourse solidaire a été mis en place pour les familles qui en ont besoin.

Une quarantaine de projets existent un peu partout dans l’Hexagone où s’est tenue en août dernier la Conférence annuelle européenne“, explique Pierre-André Balestrieri de l’Eudec (Communauté européenne pour l’éducation démocratique). “Le principe, implanté depuis des années aux États-Unis et en Israël, existe en Allemagne, en Belgique, au Danemark, mais connaît depuis deux ans un engouement particulier en France“, poursuit celui qui a eu la révélation “d’une école où chaque choix fait sens” en lisant, en classe de terminale, Libres enfants de Summerhill.

Étudiant en sciences de l’éducation, Pierre-André projette d’ailleurs d’ouvrir une école à Boulogne-Billancourt. Si certains se réclament de l’emblématique Summerhill School fondée par Alexander Neill, le concept, encore plus révolutionnaire, de l’École démocratique, émane lui de la Sudbury Valley School, fondée il y a 50 ans par deux enseignants de l’université de Columbia pour qui “l’enfant est une personne, un membre indépendant d’une société démocratique et pas une page blanche à écrire par les adultes“.

Des élèves de Sudbury à Harvard ou Columbia

Une révélation pour Ramïn Farhangi, ex-prof de maths, auteur de Pourquoi j’ai créé une école où les enfants font ce qu’ils veulent, et créateur en 2016 de l’École dynamique dans le 14e arrondissement de Paris qui raconte sa “bouleversante” découverte dans une conférence TED (plus de 400 000 vues).

J’y ai rencontré des enfants qui n’ont jamais ouvert un manuel scolaire, pas assisté à des cours mais brillants, heureux. Des profs pragmatiques, la tête sur les épaules avec une démarche cohérente, une approche tout ce qu’il y a de sérieux qui vise l’excellence.
 

“Aujourd’hui, on a accès au savoir partout et quand on veut. À quoi servent des cours ?”
Heureux, les élèves de l’école de la rue Léon-Giraud, à Paris, semblent en effet l’être. Guillaume, 17 ans, qui a passé la journée aux Buttes Chaumont, “pour profiter du soleil“, approuve.
 
J’apprenais des choses que j’oubliais après le contrôle. Je m’ennuyais. Et je n’avais pas de temps pour la guitare, l’écriture, le skate. Aujourd’hui, on a accès au savoir partout et quand on veut. À quoi servent des cours ? Je lis de nouveau. Je me passionne pour la botanique, l’économie, la photo, mais j’aime aussi regarder le ciel : ça fait du bien !

Les quinze premiers jours ici je n’ai fait que buller, manger, regarder des séries et puis, peu à peu, j’ai eu plein d’envies. Quand je suis arrivé, Samson, 11 ans, préparait une poêlée de champignons frais, cela m’a marqué ! Moi aussi, aujourd’hui je sais faire plein de choses. Et puis, je peux parler aux adultes. D’égal à égal. J’ai davantage confiance en moi.
 

A lire aussi : notre article sur les méthodes pédagogiques du lycée d’Østerskov au Danemark : Dans cette école, les jeux de rôles remplacent les cours
Étiqueté “hyperactif en difficulté”, Manuel, 14 ans, était très malheureux à l’école. “Je ne me contrôlais pas, j’avais plus de punitions que de devoirs. ‘Tu ne réussiras jamais’, me disait le prof principal. ‘Alors c’est que vous ne faites pas votre boulot’, lui ai-je répondu. J’ai été exclu. Moi j’aime être le chef de moi-même. Je veux monter ma boîte. Si je me rends compte que j’ai besoin du bac, je le passerai, et si je suis en retard, je bosserai deux fois plus“, explique celui qui entre discussions avec les copains, parties de baby-foot et réunion du conseil, a pris contact avec le PDG de Décathlon devenu son parrain.

Heureux donc ces libres enfants mais quid de leur avenir ? Récente, l’École démocratique de Paris n’a pas de recul pour répondre à la question mais, explique David Lerebourg, “80 % des élèves de Sudbury sont allés à l’université“. “En ayant obtenu leurs premiers choix dont Harvard, Berkeley, Columbia“, précise Ramïn Farhangi.

Pour ce dernier, comme pour Yazid Arifi, passé par HEC, cofondateur de l’école, aider les enfants à s’émanciper, à s’épanouir, à avoir confiance en eux, à entretenir une relation à l’autre sans compétition, dans l’entraide, est la seule façon de construire une société meilleure. Et de citer Nelson Mandela : “Faire pour nous et sans nous, c’est faire contre nous.” 

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