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Prostitution, xénophobie, terrorisme : quand le crowdfunding finance le pire

Le financement participatif a permis de développer des entreprises sociales et culturelles, de commercialiser de nouvelles technologies ou encore de lancer des initiatives écologiques. Reste que le crowdfunding peut révéler un côté obscur et financer des projets douteux voire dangereux.

Le 02/08/2017 par WeDemain

« Est-ce possible de monter une opération de crowdfunding pour tuer des gens ou pour empêcher des gens d’en sauver d’autres…? » s’interrogeait récemment Olivier Ertzscheid, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication, dans un article publié sur son blog, intitulé Le financement participatif de la haine. Et la place de Paypal
 
Malheureusement, oui. Le crowdfunding, essentiellement consacré à financer des projets tournés vers l’innovation, la solidarité ou encore l’écologie, ne sert pas que de nobles causes. Il peut parfois financer le pire comme la xénophobie, la prostitution ou encore le terrorisme.

Une flotte anti-migrants pour Génération Identitaire

La réflexion d’Olivier Ertzscheid sur le crowdfunding découle de la campagne « Défendre l’Europe », du collectif d’extrême droite Génération identitaire, lancée en mai dernier. Son but ? Affréter un bateau pour saboter les opérations de sauvetage des migrants en mer Méditerranée pour en finir, selon eux, avec « l’invasion des réfugiés ». Le collectif a alors crée une cagnotte en ligne via Paypal pour le financer. Au total, 75 000 euros ont été collectés en trois semaines.
 
Très vite, une vague d’indignation a déferlé sur les réseaux sociaux. Pétitions, dénonciations d’un manque de réaction des politiques, boycott de Paypal… Cette forte mobilisation des internautes a conduit au gel des fonds de la campagne. Mais comme l’a précisé Le Monde , une partie des fonds a pu être récupérée et a permis au collectif d’extrême droite d’affréter un navire de 40 mètres de long : Le C-Star. Bloqué puis relâché au port de Famagouste (Chypre), le bateau est aujourd’hui en route vers le canal de Sicile.

Eros, la plateforme qui souhaite uberiser la prostitution

Créer un marché d’échanges décentralisé de la prostitution, c’est le projet sulfureux que développent deux entrepreneurs américains depuis le 9 juillet. Baptisée Eros, cette plateforme permettra aux intéressés de commander une prostituée comme on pourrait le faire avec une pizza. Grâce à la technologie blockchain, le service de prostitution en ligne sera anonyme et sécurisé. Un système qui rendra aussi plus difficile la censure et la saisie des serveurs du site par la police. 

Pour lever des fonds, les deux fondateurs ont organisé une ICO (Initial Coin Offering). Un financement participatif qui s’appuie sur un système de crypto-monnaie. Plus de 7,6 millions de dollars (6,5 millions d’euros environ) auraient déjà été levés.

Depuis le 30 juillet, de gros soupçons d’arnaque pèsent néanmoins sur Eros. Profils Linkedin vides, plagiat d’un document technique, manque d’activité sur leur page… Les deux fondateurs pourraient avoir comme but ultime d’escroquer les personnes qui ont pris part à la levée de fonds.

Daesh financé par le crowdfunding ?

26 juillet 2016. Le Père Jacques Hamel est assassiné lors d’une messe matinale à Saint-Etienne-du-Rouvray. Les coupables ? Deux terroristes qui se revendiquent de l’Etat islamique. Comme l’a rapporté France inter , le 8 décembre dernier, il a été prouvé que les auteurs de cet attentat avaient participé au financement de plusieurs cagnottes en ligne avant de passer à l’acte.

Dans son rapport 2015, Tracfin, la cellule française de renseignement financier, révélait des anomalies sur une plateforme — dont le nom est resté confidentiel —, dédiée à récolter des fonds à des fins humanitaires. D’autres collectes, réalisées sous couvert de financer de simples anniversaires, ont également été identifiées par l’organisme. Elles impliquaient des individus déjà repérés par les services de renseignement.

« Il y a des intitulés qui sont très évocateurs : ‘Aidez nos sœurs en Syrie’, ‘Facilitez le retour de nos frères’ avec des éléments qui laissent supposer quand même une certaine proximité avec des réseaux de départs ou des réseaux de retours de candidats au djihad », confiait Bruno Dalles, directeur de Tracfin, lors d’une conférence de presse en décembre 2016
Depuis le 1er janvier 2017, le gouvernement a durci le ton. Toutes les plateformes de crowdfunding françaises ont été contraintes d’adopter le statut d’intermédiaire en financement participatif (IFP), les incluant ainsi dans le dispositif national de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme. Elles devront, par exemple, connaître avec certitude l’identité des participants aux collectes de dons. 

Quel engagement éthique des plateformes de dons en France?

En plus de la règlementation française, les plateformes de dons les plus connues s’engagent à poursuivre leurs efforts pour limiter les risques. Il est aujourd’hui difficile d’imaginer que des projets tels ceux cités plus haut pourraient un jour se voir financer par les leaders nationaux du crowdfunding. 

Chez Ulule, 200 projets en moyenne sont passés au crible chaque jour. Sectes, projets politique ou faisant l’apologie du racisme, de la xénophobie ou de la violence sont catégoriquement refusés.
 

« Il y a un premier filtre à la réception du projet, un deuxième pendant la phase de modération et un troisième après la mise en ligne. On incite également notre communauté à nous avertir en signalant potentiellement un abus » précise à We Demain Margaux Thiérrée, responsable du pôle projet d’Ulule. 

Au sein de l’équipe, des débats peuvent aussi être lancés lorsque des projets de société qui divisent sont mis sur la table :
 
 « Une fois, une association anti-avortement souhaitait financer un tour de France pour sensibiliser sur ce sujet. Après de longues discussions et un décryptage du projet, on a décidé de le refuser » explique Margaux Thierrée.
En 2012, l’association Financement Participatif de France a rédigé un code déontologique pour les 70 plateformes de dons qu’elle regroupe. Il détermine les règles de transparence, de sécurité, d’assistance et de professionnalisme des membres de l’association. Une charte nécessaire lorsque l’on sait que la finance alternative a été multiplié par deux entre 2015 et 2016.

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