Partager la publication "Alain Gachet, le sourcier français qui fait jaillir l’eau de l’Irak au Tchad"
Alain Gachet, qui arrive sur la ligne de front, se voit ordonner de vite rebrousser chemin. Ce géologue français de 65 ans doit contrôler, pour le compte de l’Unesco, l’état de surface des aquifères géants et profonds qu’il a découverts il y a quelques mois dans cette région du nord de l’Irak.
Car pour l’instant, entre les monts Sinjar et la plaine de Ninive, tout n’est que tristesse et désolation, raconte le géologue. Des villes et des villages entièrement détruits par Daech.
Des routes éventrées, au bas-côté jonché d’habits de femmes et d’enfants chiites, sunnites et surtout yézidis qui ont été massacrés et dont les ossements remplissent des fosses communes improvisées.
Libérée en novembre 2015 par les peshmergas avec l’aide des frappes aériennes de la coalition, la ville de Sinjar, qui a hébergé jusqu’à 300 000 personnes, a été réduite à un amas de ferraille calcinée et de blocs de béton noircis. Aucun édifice n’est resté debout.
En Syrie, reconstruire un univers détruit
Libérée en novembre 2015 par les peshmergas avec l’aide des frappes aériennes de la coalition, la ville de Sinjar, qui a hébergé jusqu’à 300 000 personnes, a été réduite à un amas de ferraille calcinée et de blocs de béton noircis. Aucun édifice n’est resté debout.
Sur des vestiges de murs s’étalent des graffitis laissés par des combattants de l’EI signant leurs crimes, en arabe ou en russe pour les Tchétchènes. « Une vision de fin du monde », s’émeut Alain Gachet.
De retour du front, il est reçu au village de Sardacht par un patriarche yézidi. Cette communauté a été exterminée par les islamistes. Les survivants ont vu — comme la centaine de peshmergas contrôlant la route stratégique reliant Mossoul à Assaka, en Syrie — presque tous leurs parents tués, hormis les mères, sœurs ou filles réduites en esclavage et vendues dans les localités voisines de Tal Afar, Mossoul, Bahadj, Am Halabye ou sur les marchés des fiefs syriens de l’EI, Rakka ou Deir ez-Zor.
L’eau, une promesse de développement et de paix
Il y devient ingénieur des Mines, spécialisé dans la recherche de gisements de matières premières et de pétrole. Il travaille de longues années chez Elf, qu’il quitte en 1996 à cause d’un « désaccord sur la politique de l’entreprise ». Direction les États-Unis, où il se forme aux nouvelles technologies radar d’exploration de la terre, notamment satellitaires.
La suite de son initiation, Alain Gachet la doit aux Pygmées, avec qui il passe des mois dans l’obscurité de la forêt équatoriale du Congo.
« Grâce à leur savoir, j’ai pu affiner mes techniques et gommer certains éléments de mes cartographies (notamment la densité des nuages et de la végétation) qui m’empêchaient de bien discerner les sous-sols, se rappelle-t-il. Dès lors, des zones jusqu’ici inconnues me sont apparues en détail sous la canopée. Cela signifiait la promesse de pouvoir faire l’inventaire des ressources naturelles d’un pays, de savoir précisément et rapidement où forer en minimisant l’impact sur l’environnement. «
Au cours d’une mission de prospection pétrolière pour Shell, il y détecte sur ses écrans radar une gigantesque fuite d’eau dans la « rivière artificielle », le grand aqueduc souterrain voulu par Mouammar Kadhafi. En tant que porteur de la mauvaise nouvelle, il est « retenu » de longues semaines par le dirigeant libyen.
De cette mésaventure naîtra un fol espoir dans l’esprit de l’ingénieur. « Je me suis dit qu’en affinant cette technologie spatiale, on pourrait trouver de l’eau enfouie profondément dans les sols de zones arides. Or, l’eau, c’est non seulement la vie mais aussi une promesse de développement et de paix pour les peuples déshérités », s’enthousiasme-t-il.
Partenaire des Nations unies
Sa société, Radar Technologies International (RTI), devient le partenaire officiel de l’ONU et du Département d’État américain pour la recherche de l’eau dans les zones sortant d’un conflit.
Sa première mission, en 2004, le conduit au Darfour pour le compte du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. On lui donne quatre mois pour localiser de l’eau afin de sauver 250 000 déplacés qui meurent de soif. Cette bataille se livre d’abord depuis Tarascon, dans le sud de la France, dans la pénombre, face à des écrans d’ordinateur. Des jours et des nuits de calculs, à quadriller un territoire de 80 000 km2.
Et le miracle se produit : les études révèlent l’existence de rivières fossiles souterraines. Reste à vérifier sur place les découvertes. « L’eau a jailli dans les camps de Touloum et d’Iridimi en même temps que nos larmes, se rappelle le Français. C’était un moment de bonheur absolu, une revanche contre la mort et la folie qui nous entourait. » Au Darfour et au Tchad, 1 700 puits ont été forés sur ses indications, avec un taux de réussite de 98 % contre 33 % pour les techniques classiques.
Sur les traces de l’or bleu
En 2013, Alain Gachet a découvert dans le nord du Kenya, cachés à 300 m de profondeur sous les plaines arides de la vallée du Rift, quelque 200 milliards de mètres cubes d’eau potable.
Assez pour les soixante-dix années à venir !
Depuis, les 45 000 habitants de Lodwar, le chef-lieu du district de Turkana, en bénéficient.
L’agriculture naissante y est en plein essor ; des champs de maïs et de légumes fleurissent tout autour de la ville.
Plus connu aux États-Unis que dans son propre pays
Mais les Anglo-Saxons gardent une longueur d’avance : la Space Foundation vient de lui décerner le titre d’inventeur de l’année pour son système Watex. Alain Gachet est le premier Français à recevoir cette prestigieuse distinction. Mais pour lui, pas de quoi se sentir « marcher sur l’eau ».
« C’est rare mais il peut arriver que certaines de mes modélisations 3D ne se traduisent pas par la présence d’eau lors des forages, explique-t-il. Mais surtout, mes découvertes ne peuvent se concrétiser que si elles s’accompagnent d’une volonté politique. »
Les 160 000 nomades du Turkana qui vivent encore comme à la préhistoire, se nourrissant du sang de leurs bêtes mélangé à du lait pour survivre, devaient eux aussi en profiter. Mais le principal puits d’exploration censé les alimenter a été démonté et les forages interrompus : les fonds prévus par le gouvernement kényan pour poursuivre les travaux s’étaient évaporés…
Selon Alain Gachet, il y aurait « assez d’eau en Afrique pour changer la face et le destin de ce continent, permettre l’agriculture et redonner leur dignité à des millions d’hommes ».
Au Kurdistan irakien, peshmergas, yézidis, chiites et sunnites rescapés veulent y croire. Pourvu qu’ils ne soient pas les prochaines victimes d’un immense espoir déçu.
Lionel Lévy