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Alain Gachet, le sourcier français qui fait jaillir l’eau de l’Irak au Tchad

Ce géologue, sacré inventeur de l’année 2016 par la Space Foundation, a mis au point un procédé permettant de détecter des nappes d’eau souterraines à des profondeurs inédites. Elle pourrait bénéficier aux habitants du Kurdistan irakien, ravagé par la guerre contre Daech.

Le 22/03/2017 par WeDemain
Ce géologue, sacré inventeur de l’année 2016 par la Space Foundation, a mis au point un procédé permettant de détecter des nappes d’eau souterraines à des profondeurs inédites. Elle pourrait bénéficier aux habitants du Kurdistan irakien, ravagé par la guerre contre Daech.
Ce géologue, sacré inventeur de l’année 2016 par la Space Foundation, a mis au point un procédé permettant de détecter des nappes d’eau souterraines à des profondeurs inédites. Elle pourrait bénéficier aux habitants du Kurdistan irakien, ravagé par la guerre contre Daech.

Kurdistan irakien, février 2016, dans le village de Ranbusi, à 800 mètres du front contre l’organisation État islamique (EI ou Daech). « Chemya-chemya ! » Les peshmergas (combattants kurdes) irakiens donnent l’alerte. L’artillerie de Daech vient d’envoyer des obus au gaz moutarde. Les soldats sortent de dérisoires masques hygiéniques en papier, maintenus par un élastique qu’ils passent autour de leurs oreilles.

Alain Gachet, qui arrive sur la ligne de front, se voit ordonner de vite rebrousser chemin. Ce géologue français de 65 ans doit contrôler, pour le compte de l’Unesco, l’état de surface des aquifères géants et profonds qu’il a découverts il y a quelques mois dans cette région du nord de l’Irak.
 

De l’eau à profusion, enfouie dans les entrailles de la terre, pour reconstruire ces zones dévastées par la guerre. Encore faudra-t-il éliminer les centaines de mines laissées par l’EI avant d’entreprendre une campagne de forages. Celle-ci permettra d’irriguer les vastes terres à blé qui bordent la frontière syrienne et de rebâtir les villes autour de ces points d’eau : un avenir qui se dessine enfin pour ces populations en détresse, non en Europe mais chez elles, en Irak.

Car pour l’instant, entre les monts Sinjar et la plaine de Ninive, tout n’est que tristesse et désolation, raconte le géologue. Des villes et des villages entièrement détruits par Daech.

Des routes éventrées, au bas-côté jonché d’habits de femmes et d’enfants chiites, sunnites et surtout yézidis qui ont été massacrés et dont les ossements remplissent des fosses communes improvisées.

Libérée en novembre 2015 par les peshmergas avec l’aide des frappes aériennes de la coalition, la ville de Sinjar, qui a hébergé jusqu’à 300 000 personnes, a été réduite à un amas de ferraille calcinée et de blocs de béton noircis. Aucun édifice n’est resté debout.

En Syrie, reconstruire un univers détruit

Des routes éventrées, au bas-côté jonché d’habits de femmes et d’enfants chiites, sunnites et surtout yézidis qui ont été massacrés et dont les ossements remplissent des fosses communes improvisées.

Libérée en novembre 2015 par les peshmergas avec l’aide des frappes aériennes de la coalition, la ville de Sinjar, qui a hébergé jusqu’à 300 000 personnes, a été réduite à un amas de ferraille calcinée et de blocs de béton noircis. Aucun édifice n’est resté debout.

Sur des vestiges de murs s’étalent des graffitis laissés par des combattants de l’EI signant leurs crimes, en arabe ou en russe pour les Tchétchènes. « Une vision de fin du monde », s’émeut Alain Gachet.

De retour du front, il est reçu au village de Sardacht par un patriarche yézidi. Cette communauté a été exterminée par les islamistes. Les survivants ont vu  — comme la centaine de peshmergas contrôlant la route stratégique reliant Mossoul à Assaka, en Syrie — presque tous leurs parents tués, hormis les mères, sœurs ou filles réduites en esclavage et vendues dans les localités voisines de Tal Afar, Mossoul, Bahadj, Am Halabye ou sur les marchés des fiefs syriens de l’EI, Rakka ou Deir ez-Zor.

Mais aujourd’hui, leur rage et leur tristesse font place à un formidable espoir. « Celui que mes images permettent la reconstruction de ces univers détruits et que la force régénératrice de l’eau et du temps lave tous ces crimes », explique Alain Gachet.

 

L’eau, une promesse de développement et de paix

Indiana Jones des temps modernes, cet explorateur au grand cœur parcourt les zones les plus déshéritées du monde depuis quinze ans à la recherche de l’or bleu. Son parcours se lit comme un roman d’aventure. Naissance à Madagascar, une jeunesse qui lui « apprend à aimer et respecter la nature » et lui « donne le goût de la découverte et du voyage », puis le départ pour la France, à 18 ans.

Il y devient ingénieur des Mines, spécialisé dans la recherche de gisements de matières premières et de pétrole. Il travaille de longues années chez Elf, qu’il quitte en 1996 à cause d’un « désaccord sur la politique de l’entreprise ». Direction les États-Unis, où il se forme aux nouvelles technologies radar d’exploration de la terre, notamment satellitaires.


La suite de son initiation, Alain Gachet la doit aux Pygmées, avec qui il passe des mois dans l’obscurité de la forêt équatoriale du Congo.

 

« Grâce à leur savoir, j’ai pu affiner mes techniques et gommer certains éléments de mes cartographies (notamment la densité des nuages et de la végétation) qui m’empêchaient de bien discerner les sous-sols, se rappelle-t-il. Dès lors, des zones jusqu’ici inconnues me sont apparues en détail sous la canopée. Cela signifiait la promesse de pouvoir faire l’inventaire des ressources naturelles d’un pays, de savoir précisément et rapidement où forer en minimisant l’impact sur l’environnement. « 

Tour à tour chercheur d’or au Mali, de diamants au Congo-Brazzaville et archéologue sur les traces du tombeau d’Hérode en Israël, il voit son destin basculer en juin 2002 en plein désert libyen, non loin de Syrte.

Au cours d’une mission de prospection pétrolière pour Shell, il y détecte sur ses écrans radar une gigantesque fuite d’eau dans la « rivière artificielle », le grand aqueduc souterrain voulu par Mouammar Kadhafi. En tant que porteur de la mauvaise nouvelle, il est « retenu » de longues semaines par le dirigeant libyen.

De cette mésaventure naîtra un fol espoir dans l’esprit de l’ingénieur. « Je me suis dit qu’en affinant cette technologie spatiale, on pourrait trouver de l’eau enfouie profondément dans les sols de zones arides. Or, l’eau, c’est non seulement la vie mais aussi une promesse de développement et de paix pour les peuples déshérités », s’enthousiasme-t-il.

Partenaire des Nations unies

Alain Gachet crée alors Watex, un système qui agrège aux images satellites des données géologiques, gravimétriques, topographiques et géophysiques pour permettre de déceler des nappes d’eau à plus de 80 m sous terre.

Sa société, Radar Technologies International (RTI), devient le partenaire officiel de l’ONU et du Département d’État américain pour la recherche de l’eau dans les zones sortant d’un conflit.

Sa première mission, en 2004, le conduit au Darfour pour le compte du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés. On lui donne quatre mois pour localiser de l’eau afin de sauver 250 000 déplacés qui meurent de soif. Cette bataille se livre d’abord depuis Tarascon, dans le sud de la France, dans la pénombre, face à des écrans d’ordinateur. Des jours et des nuits de calculs, à quadriller un territoire de 80  000 km2.

Et le miracle se produit : les études révèlent l’existence de rivières fossiles souterraines. Reste à vérifier sur place les découvertes. « L’eau a jailli dans les camps de Touloum et d’Iridimi en même temps que nos larmes, se rappelle le Français. C’était un moment de bonheur absolu, une revanche contre la mort et la folie qui nous entourait. » Au Darfour et au Tchad, 1 700 puits ont été forés sur ses indications, avec un taux de réussite de 98 % contre 33 % pour les techniques classiques.

Sur les traces de l’or bleu

Depuis, le virus de l’eau ne l’a pas lâché. Son procédé a fait ses preuves en Afghanistan, en Angola, en Éthiopie, au Soudan, au Togo et jusque dans le désert rocheux du sultanat d’Oman.

En 2013, Alain Gachet a découvert dans le nord du Kenya, cachés à 300 m de profondeur sous les plaines arides de la vallée du Rift, quelque 200 milliards de mètres cubes d’eau potable.

Assez pour les soixante-dix années à venir !

Depuis, les 45 000 habitants de Lodwar, le chef-lieu du district de Turkana, en bénéficient.

L’agriculture naissante y est en plein essor ; des champs de maïs et de légumes fleurissent tout autour de la ville.
 

Plus connu aux États-Unis que dans son propre pays

Le géologue est plus connu outre-Atlantique que dans son propre pays. C’est après la parution, en 2015, du livre dans lequel il retrace son parcours et ses découvertes que la France s’est intéressée à lui. Il a reçu l’année dernière la Légion d’honneur et sera en 2017 le héros d’un film documentaire sur France  5.

Mais les Anglo-Saxons gardent une longueur d’avance : la Space Foundation vient de lui décerner le titre d’inventeur de l’année pour son système Watex. Alain Gachet est le premier Français à recevoir cette prestigieuse distinction. Mais pour lui, pas de quoi se sentir « marcher sur l’eau ».

 
« C’est rare mais il peut arriver que certaines de mes modélisations 3D ne se traduisent pas par la présence d’eau lors des forages, explique-t-il. Mais surtout, mes découvertes ne peuvent se concrétiser que si elles s’accompagnent d’une volonté politique. »
Tergiversations internationales, manque de coopération des organismes humanitaires, financements détournés… Dans un contexte de guerre de l’eau aux multiples enjeux politiques et géostratégiques, le fatalisme, l’immobilisme et le cynisme dominent trop souvent. Comme dans ce Kenya où Alain Gachet a découvert des réserves équivalentes à deux fois le lac Léman.

Les 160 000 nomades du Turkana qui vivent encore comme à la préhistoire, se nourrissant du sang de leurs bêtes mélangé à du lait pour survivre, devaient eux aussi en profiter. Mais le principal puits d’exploration censé les alimenter a été démonté et les forages interrompus : les fonds prévus par le gouvernement kényan pour poursuivre les travaux s’étaient évaporés…

Selon Alain Gachet, il y aurait « assez d’eau en Afrique pour changer la face et le destin de ce continent, permettre l’agriculture et redonner leur dignité à des millions d’hommes ».

Au Kurdistan irakien, peshmergas, yézidis, chiites et sunnites rescapés veulent y croire. Pourvu qu’ils ne soient pas les prochaines victimes d’un immense espoir déçu. 

Lionel Lévy

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