Partager la publication "« Ne plus aller au supermarché, c’est la fin de l’anonymat alimentaire »"
À la sortie du boulot, le plus simple est souvent de se rendre au supermarché le plus proche pour faire quelques courses. Mais si les supermarchés n’existaient plus, comment ferions-nous ?
C’est la question à laquelle répond la journaliste parisienne Mathilde Golla dans l’ouvrage 100 jours sans supermarché, le premier guide des circuits courts.
Elle y conte les premières difficultés rencontrées. Elle y donne également des conseils, des bonnes adresses et des recettes pour faire son dentifrice ou encore sa lessive.
- We Demain : Pourquoi avoir décidé de ne plus aller au supermarché ?
Mathilde Golla : J’ai eu le déclic après avoir rencontré un producteur de lait dans la Manche, ma région natale. Il avait toutes les peines du monde à vivre de son métier : il perdait de l’argent tous les mois alors qu’il travaillait 14h par jour.
Il vendait toute sa production à la grande distribution. Produire un litre de lait lui coûtait 30 centimes. La grande distribution lui rachetait 20 centimes. Il n’est pas une exception. Aujourd’hui, un agriculteur sur cinq perd de l’argent.
J’ai été très surprise d’apprendre tout ça. J’ai posé des questions à mon entourage, j’ai cherché sur les réseaux sociaux… On m’a très vite orientée vers les circuits courts. Je voulais savoir si c’était possible de vivre en se passant de la grande distribution, donc je me suis lancé ce défi.
- Vous avez arrêté du jour au lendemain ?
En effet. Ça a été un changement radical, qui ne s’est pas fait sans effort. Avant, j’allais au marché à côté de chez moi ou au supermarché. Je connaissais les AMAP, je me disais toujours qu’il fallait que j’essaie mais je ne le faisais pas.
J’ai dû révolutionner mes habitudes. J’ai découvert un nombre incalculable de solutions grâce aux réseaux sociaux. Il existe une vaste communauté, toujours prête à livrer ses bonnes astuces et à aider les gens qui veulent se convertir à ce mode de consommation.
- Quelles ont été les plus grosses difficultés ?
Se dire qu’il faut tout repenser, se poser des questions et surtout accepter certaines limites. Par exemple, je ne mange plus que des fruits et légumes de saison. J’ai supprimé les oranges en hiver.
Mais j’ai découvert un autre monde. Sur le seul mois de février, il y a 34 variétés de fruits et légumes différents !
Il y a quelques produits pour lesquels c’est plus compliqué. J’utilisais du papier d’aluminium, je l’ai remplacé par des boîtes hermétiques. Pour les cotons jetables, je suis passée aux réutilisables.
Le seul produit qui manque c’est le papier toilette. C’est la seule chose que j’achète en grande surface, dans des boutiques bio, en papier recyclé. Mais j’ai vu récemment que ça se développait dans les épiceries paysannes avec du papier recyclé de la région.
- Par quoi avez-vous remplacé le supermarché ?
Au début, j’ai vraiment cherché les solutions qui me permettaient d’acheter au plus près des producteurs. Je n’allais ni dans les magasins bio ni dans les supérettes, car ce n’est pas du circuit court.
Les circuits courts sont un mode de distribution qui fait intervenir un seul intermédiaire entre le consommateur et le producteur. Je me suis tournée vers la vente dans les fermes, vers La Ruche qui dit Oui, je me suis aussi inscrite à une AMAP.
J’ai découvert des plateformes numériques. En région parisienne il y a « Le Comptoir Local », un marché en ligne des fermes de la région qui livre le lendemain de la récolte. Il existe une autre plateforme nationale qui vend uniquement de la viande avec des fiches d’identité pour chaque producteur : on y apprend comment sont nourries les bêtes, où elles vivent, etc.
Les producteurs m’ont expliqué qu’en passant par ces plateformes, c’était pour eux la fin de l’anonymat alimentaire.
- Quelles conséquences cette expérience a eu sur votre vie en générale ?
La quantité de déchet qu’on produit est au moins divisée par dix. Hors de la grande distribution, les produits sont très peu emballés, on achète beaucoup moins de choses jetables et on fait plus soi-même.
J’ai continué sur cette lancée et je composte mes aliments par exemple. Je suis aujourd’hui le défi « Rien de neuf » lancé depuis le début de l’année par Zéro Waste France.
Je me suis rendue compte que ce changement d’habitudes avait aussi eu un effet bénéfique pour ma santé. J’ai consulté une nutritionniste qui m’a confirmé que plus on consommait les aliments au plus près et au plus vite après la récolte, plus ils contenaient de nutriments.
Enfin, j’ai fait des découvertes à tous les niveaux : côté goût, en apprenant comment sont cultivés tels ou tels produits… J’ai retrouvé une forme de pouvoir sur mon alimentation.
- Ce changement vous a-t-il fait dépenser plus d’argent et de temps ?
Je pensais que je dépenserai beaucoup plus d’argent mais ça a été plutôt l’inverse. Finalement, je dépensais 10 à 12 % de moins.
Par exemple, individuellement un fromage fermier ne pourra jamais être au même prix qu’un industriel. Mais je réalise des économies sur d’autres postes de dépense comme l’entretien de la maison, en faisant moi-même mes produits, ou même sur les fruits et légumes.
Au début, cela m’a pris plus de temps car j’allais beaucoup dans les fermes. Peu à peu, j’ai testé d’autres solution et utiliser les plateformes numériques demande presque moins de temps que le supermarché.
En tous cas, je n’ai jamais eu le sentiment de perdre mon temps. Ça me permet d’apprendre, d’avoir des relations de qualité, de rencontrer des gens qui se retrouvent sur des valeurs communes…
- Quels seraient les trois conseils que vous donneriez à une personne qui veut se lancer ce défi ?
Tout d’abord, il faut revoir ses habitudes. Accepter de consommer des produits locaux et de saison. Faire plus de choses soi-même comme les cosmétiques, les produits d’entretien et cuisiner d’avantage.
Il faut abandonner tous les produits transformés : les gâteaux ou les pâtes toutes prêtes. Une fois qu’on a accepté ces changements, c’est assez facile.
Il faut aussi prévoir d’avantage ses repas de la semaine. On ne peut pas se dire au dernier moment qu’il nous manque du beurre ou autre chose. Avec les circuits courts, il y a un délai d’attente pour les commandes. Mais ça permet aussi de moins gaspiller et de diminuer la note !
100 jours sans supermarché – Le premier guide des circuits courts
de Mathilde Golla (préface de Cyril Dion)
Flammarion
18 euros
Date de parution : 28 février 2018
Retrouvez l’article « L’hyper coule » dans We Demain n°21 , à propos de la fin de la suprématie des supermarchés.
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