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Forêt de Romainville : la ZAD du 93

À deux pas de la capitale, une forêt suscite la convoitise. Il s’agit de l’une des dernières terres sauvages d’Île-de-France, qu’un collectif tente de défendre. Reportage.

Le 17/01/2019 par Louise Bugier
À deux pas de la capitale, une forêt suscite la convoitise. Il s'agit de l'une des dernières terres sauvages d'Île-de-France, qu'un collectif tente de défendre. Reportage.
À deux pas de la capitale, une forêt suscite la convoitise. Il s'agit de l'une des dernières terres sauvages d'Île-de-France, qu'un collectif tente de défendre. Reportage.

C’est une forêt sauvage aux portes de Paris, encerclée par une haute palissade et rigoureusement gardée par des vigiles et leurs chiens. Une forêt longtemps oubliée qui fait maintenant débat.

Il est 7h30 et le soleil n’est pas levé quand j’arrive avenue du Colonel Fabien, à Romainville. À la lumière de quelques réverbères, la « mini-ZAD  » que présente la presse locale regroupe ce matin une petite dizaine de militants. La rue est surplombée par un bouquet d’arbres, cernés d’une clôture de 2,50 mètres : la forêt de la Corniche des Forts, objet de ma venue. Une forêt sauvage exceptionnelle en Île-de-France, menacée par un projet de base de loisirs porté par la région.

Un écosystème inédit au cœur du 93

Ces quelques activistes sont les « amis de la Corniche des Forts « , association présidée par Hélène Zanier qui regroupe « plus de 200 personnes« . Chaque matin « ou presque« , les militants se rejoignent, souvent à 5 ou 6. Parfois jusqu’à 100 personnes se rassemblent, comme le 2 septembre dernier quand des familles, riverains et membres du collectif ont créé une chaine humaine autour de la forêt.

Avec eux, Julien Daniel, photographe de l’Agence Myop, qui suit le sujet depuis l’été 2017. « Quand j’ai découvert cet endroit, j’ai été époustouflé, raconte le photographe, et depuis je n’arrive pas à m’en éloigner« . Et c’est vrai qu’il y a de quoi être fasciné par le lieu. Si je n’ai pas eu l’occasion d’y entrer (à cause de la clôture et de la petite dizaine de vigiles qui la gardent), même déplumée par l’hiver, la forêt étonne. 28 hectares d’une jungle sauvage, envahie par les lianes, et qui abrite renards, hérissons, écureuils roux, lézards des murailles, orvets, fouines, musaraignes, fauvettes à tête noire… le tout en plein milieu du 93.

La zone, qui s’étend entre Romainville, Pantin, Noisy-le-Sec et Les Lilas, est située sur des gisements de gypse (une roche utilisée pour la fabrication de plâtre). Elle a été acquise par une société en 1830, et exploitée jusqu’à l’épuisement des carrières dans les années 1950. Sillonnée de cavités qui présentent des risques d’effondrement, la forêt a été interdite au public et n’accueillait plus que quelques promeneurs téméraires et des personnes sans abri réfugiées dans les bois. « J’y ai été des dizaines de fois balader mon chien, il n’y a rien de dangereux !  lâche Marianne, militante de l’association, Le seul accident a eu lieu en 1958.« 

Une forêt convoitée

Si les militants se mobilisent, c’est pour protester contre une île de loisirs, en projet depuis le début des années 2000. Car pour la région présidée par Valérie Pécresse, la forêt représente une opportunité exceptionnelle. Poneyclub, « promenade écologique », passerelle d’observation, pelouses, balançoires, mur d’escalade… pour un budget total de 15 millions d’euros. La région promet que la base de loisirs, dont l’ouverture est prévue mi-2020, s’intégrera de façon respectueuse sur les lieux.

« Mais les mômes du 93, ils ont besoin de voir une vraie forêt à l’état naturel plutôt que de jouer sur une pelouse comme celles qu’il y a dans le parc de la Sapinière[situé à quelques dizaines de mètres de la forêt NDLR], s’insurge Hélène Zanier, présidente de l’association, il suffirait de consolider et de sécuriser les sentiers déjà existants pour créer une véritable promenade écologique. »

Le projet, oublié, récupéré et modifié à maintes reprises par la région, au gré des différentes majorités, concerne maintenant un peu moins d’un tiers de la forêt. Sur 28 hectares, 8 doivent être aménagés en « île de loisirs ». Le 5 novembre dernier, la maire (divers gauche) de la ville Corinne Valls, a finalement signé l’arrêté municipal pour la demande de permis d’aménager. Près de 700 arbres doivent être rasés et les sols (fragilisés par les carrières de gypse) injectés avec du béton. Ce matin-là, si on jette un œil au dessus de la palissade, on peut voir les bulldozers à l’ouvrage, déracinant les arbres et creusant des tranchées.

C’est là le principal point de crispation : l’écosystème inédit que contient la forêt est fatalement menacé par ces travaux. « C’est un ‘poumon vert’ exceptionnel en Île-de-France, souligne Pierre, militant de la première heure, y toucher dans ce contexte environnemental c’est un crime« . Car, en plus de capter le CO2 environnant, chaque arbre rafraichit autant que cinq climatiseurs selon une étude de l’ADEME.

Pollution et gentrification

Et si l’écosystème est menacé, la santé des riverains proches de la forêt pourrait également l’être. Une étude d’analyse des risques résiduels met en évidence des taux élevés de pollution chimique dans les sols, la forêt ayant servi de décharge industrielle clandestine pendant des années. « Si on remue la terre pour aménager, la pollution sera 100 fois plus importante et va se diffuser, assure Hélène Zanier, et la région ne prévoit même pas la dépollution des sols. »

Les facteurs écologiques ne sont pas les seules raisons à l’opposition du collectif. La mairie de Romainville, désignée commune la plus bâtisseuse de France en 2015, veut densifier sa ville. « Les riverains pensent que cette base sera pour eux mais ce n’est pas le cas ! soupire une militante, des immeubles vont être construits avec accession à la propriété et ils vont virer les pauvres. »

Associations, riverains et vigiles

De leur côté, les riverains sont partagés. Si nombre d’entre eux soutiennent ou participent à la lutte des associations, ce matin-là, un habitant de Romainville est venu donner son avis aux militants présents sur place. « Ça fait 30 ans qu’on se bat pour avoir des jeux, plaide le père de famille, pour une fois qu’on va avoir quelque chose, laissez la mairie faire ses travaux ! »

Les échanges sont très tendus, envenimés par les provocations des agents de sécurité qui assistent à la scène : « Essayez de faire quoi que ce soit aujourd’hui, vous allez voir ce qu’il va se passer… » Depuis la fin du mois de novembre, une société de sécurité déploie chaque matin ses équipes. Les militants dénoncent une demi douzaine d’agents « très zélés » voire violents. Ce qui n’a pas empêché une poignée d’irréductibles de passer plusieurs fois en force pour s’opposer au travail des bulldozers.

Si les rapports sont désormais aussi tendus, la région argue avoir organisé des consultations sur la base de loisirs pour entendre l’avis des associations et les intégrer au projet. « Dans les quelques réunions qu’on a faites, il n’y avait aucun représentant politique, réplique Marianne, l’une des militantes, il y avait seulement des administratifs qui discutaient de la couleurs des chaises longues. »

Après la mobilisation citoyenne, les manifestations, la tribune parue en juillet dernier dans Libération et la pétition en ligne qui réunit à ce jour près de 30 000 signatures, les associations romainvilloises ont décidé de passer au niveau supérieur. La fédération Environnement 93, appuyée par le conseiller municipal d’opposition Stéphane Dupré (Front de Gauche), a engagé le 4 janvier dernier un recours gracieux contre le permis d’aménager. « Pour les arbres, c’est malheureusement trop tard, déplore Hélène Zanier,mais on peut encore empêcher les injections de béton. »

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Alors que 2018 a été une année clé pour la mobilisation citoyenne pour le climat, les zones de nature deviennent un patrimoine à sauvegarder coûte que coûte. Après le méga-complexe commercial EuropaCity, récemment déclaré d’utilité publique par la Préfecture du Val-d’Oise, la forêt de Romainville pourrait bien devenir un symbole de la bétonisation à outrance.

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