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JO de Paris : les jardins ouvriers d’Aubervilliers se rebellent

En Seine-Saint-Denis, les membres de jardins ouvriers s’opposent à un projet de méga-complexe aquatique prévu pour les Jeux olympiques de Paris 2024.

Le 24/06/2021 par Alice Pouyat
Des militants ont planté leur tente dans la JAD pour repousser le projet de complexe olympique prévu pour les JO de Paris.
Des militants ont planté leur tente dans la JAD pour repousser le projet de complexe olympique prévu pour les JO de Paris. (Crédit : Alice Pouyat)
Des militants ont planté leur tente dans la JAD pour repousser le projet de complexe olympique prévu pour les JO de Paris. (Crédit : Alice Pouyat)

Deux enfants gravissent des remparts en ballots de paille. Sur leur forteresse de fortune flottent ces étendards : « Des potirons, pas du béton ! », « Des pommes pas de solarium », « Stop à la destruction des jardins pour les JO. »

Ce château de paille s’élève entre les HLM d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. Il protège une oasis urbaine : quatre-vingts parcelles potagères parsemées de fraises des bois, de courges rampantes, de menthe poivrée, d’arbres fruitiers, de fleurs par milliers.

Une oasis en danger. Sur ces jardins ouvriers doit être construit un centre aquatique des Jeux Olympiques de Paris 2024, flanqué d’un solarium, un sauna, un espace fitness… Pour l’heure, un quart des 80 parcelles sont menacées, soit 5 000 m2

Ce qui n’est pas du goût de tous. Depuis un an, une partie des jardiniers organise la résistance. Le 30 avril, la mairie a transféré leur bail à Grand Paris Aménagement. Acculés, les jardiniers en colère ont donc déclaré la « JAD », pour Jardin à défendre.

Une muraille de paille protège symboliquement les jardins. (Crédit : Alice Pouyat)

Manque d’espaces verts

Depuis, des renforts arrivent d’un peu partout, habitants du quartier, jeunes membres d’Extinction Rebellion ou de Youth For Climate. Certains ont planté leur tente dans les parcelles expulsables. Ce mercredi, un débat « non olympique » est organisé pour discuter des retombées sociales et écologiques des JO, suivi d’un apéro.

Vincent, 37 ans, enseignant au collège d’Aubervilliers, passe deux fois par semaine pour soutenir le mouvement et offrir un peu d’air à ses filles qui font la chasse aux groseilles et jouent sur les remparts en ballots de baille. 

« Pour les enfants, l’espace est magique. Aubervilliers est l’une des villes de France qui compte le moins d’espaces verts par habitant, encore moins que Paris. Alors que tout le monde appelle à la végétalisation des villes, à développer l’agriculture urbaine, et à l’heure du réchauffement, cette destruction est incompréhensible ! »

Les jardins ouvriers sont une oasis au milieu d’une zone déjà très bétonnée. (Crédit : Alice Pouyat)

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Jardins centenaires

Pour d’autres, ces jardins sont vitaux depuis plus longtemps encore. Créés à la fin du XIXe siècle, lors de la révolution industrielle, les lopins d’Aubervilliers permettent traditionnellement aux familles modestes de cultiver quelques fruits et légumes. Marie, 74 ans, ex-secrétaire-comptable, vient tous les jours soigner ses plantes, « comme dans son enfance en République tchèque ». Elle aime regarder les abeilles butiner, « son bonheur ». Elle coupe un bouquet de sauge pour une voisine, s’émerveille devant des fleurs d’échalote, picore un peu de bourrache violacée, propose une fraise des bois… « En jardinant, on peut s’offrir des aliments bons et frais. » 

Du côté de la mairie, qui a hérité de ce projet de l’édile sortante, on fait valoir que les jardiniers expulsés seront relogés dans un jardin annexe. En attendant que de nouvelles parcelles soient créées sur un terrain de foot en friche. 

La proposition a été acceptée par une bonne partie des membres de l’association historique des Jardins ouvriers d’Aubervilliers, refusant de basculer dans l’illégalité. Mais pas par les « Jadistes ».

« Au final, nos parcelles seront aménagées, donc la bétonisation va progresser », pointe Ziad Maalouf, journaliste membre du collectif.

Marie, 74 ans, cueille un bouquet d’aromatiques. (Crédit : Alice Pouyat)

Quinze jours de JO

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La mairie vante aussi l’intérêt d’une piscine moderne pour le quartier. Mais c’est surtout le solarium empiètant sur les jardins qui pose question. « Dans la deuxième ville la plus pauvre de métropole, entretenir ce méga-complexe qui va servir 15 jours pour les JO est ubuesque. D’autant que personne n’aura les moyens de se payer une entrée à 15 euros », poursuit Ziad Maalouf. « Au final, les JO servent une nouvelle fois de prétexte à la spéculation immobilière. »

Pour l’heure, les autorités ne semblent pas prêtes à rétropédaler. Ce qui voudrait dire rembourser les sommes déjà dépensées en frais d’étude par les lauréats de l’appel à projet. Le 25 mai, le tribunal d’Aubervilliers a d’ailleurs jugé expulsable la JAD, assignée par Grand Paris Aménagement. Qui bénéficie toutefois d’une petite respiration. L’inspection du travail a suspendu le chantier car des plaques d’amiante dans des cabanes du jardin ont été déplacées sans les précautions nécessaires. Une fois le permis de construire déposé, les Jadistes pourront aussi lancer un recours.

D’autant que d’autres travaux s’annoncent dans le quartier. De l’autre côté de la rue, une nouvelle gare du Grand Paris, des bureaux et des commerces doivent être construits sur 5 000 m2 de jardins ouvriers. Camille, la trentaine, venu construire une cabane en bois où entreposer des vivres prévient : « On risque de nous voir ici encore un peu… »

Les potagers ouvriers menacés par les JO existent depuis la fin du XIXe siècle. (Crédit : Alice Pouyat)

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