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Mi-insecte mi-champignon, à la découverte du Viagra de l’Himalaya

Chaque année, de mai à juin, les villageois népalais et tibétains se ruent à 4 000 mètres d’altitude pour cueillir le yarsagumba, réputé pour ses vertus aphrodisiaques, ce curieux hybride entre l’insecte et la plante voit son cours augmenter à mesure qu’il se raréfie. Pour un kilo, compter 70 000 euros.

Le 21/02/2017 par WeDemain
Chaque année, de mai à juin, les villageois népalais et tibétains se ruent à 4 000 mètres d’altitude pour cueillir le yarsagumba, réputé pour ses vertus aphrodisiaques, ce curieux hybride entre l’insecte et la plante voit son cours augmenter à mesure qu’il se raréfie. Pour un kilo, compter 70 000 euros.
Chaque année, de mai à juin, les villageois népalais et tibétains se ruent à 4 000 mètres d’altitude pour cueillir le yarsagumba, réputé pour ses vertus aphrodisiaques, ce curieux hybride entre l’insecte et la plante voit son cours augmenter à mesure qu’il se raréfie. Pour un kilo, compter 70 000 euros.

Au coup de pistolet, dont l’écho va buter sur la formidable muraille des monts himalayens, l’immense foule des Népalais rassemblés dans l’attente de ce signal se lance instantanément à l’assaut des prés d’altitude. La référence à la ruée vers l’or n’est pas exagérée. Pour ces gens qui, de Katmandou aux villages de la frontière occidentale du pays, ont quitté leurs foyers, c’est bien de l’or qu’ils sont venus chercher ici, à plus de 3 000 mètres d’altitude. Mais un or vraiment spécial : le yarsagumba (du tibétain signifiant « plante estivale, insecte hivernal »).

Du début mai à la fin juin, ils sont ainsi des dizaines de milliers à espérer gagner en deux mois au moins l’équivalent de leur revenu annuel (environ 600 euros). Et ce, en dénichant le maximum de ces étranges hybrides fongiques surnommés « Viagra de l’Himalaya » pour leurs vertus – entre autres – aphrodisiaques, et qui peuvent se négocier en Chine jusqu’à 70 000 euros le kilo (près du double du prix de l’or).

​La formation de cet « or » semble avoir été imaginée par un scénariste de films zombies. C’est l’histoire d’un champignon parasite dont les spores toxiques tuent et momifient une larve se trouvant dans la terre. Le champignon traverse alors la tête de la chenille et sort du sol à la fonte des neiges. En une saison, un animal s’est métamorphosé en plante médicinale !

L’explosion du yarsagumba a transformé l’économie du plateau tibétain

Les montagnards népalais, comme leurs voisins tibétains et chinois, connaissent depuis toujours les propriétés curatives du Cordyceps sinensis (nom scientifique du yarsagumba). Mais il y a encore une vingtaine d’années, ils se contentaient d’échanger leur cueillette contre des cigarettes ou des nouilles.

Tout changea en 1993, lorsque trois athlètes chinoises battirent à Pékin cinq records du monde de course à pied aux Jeux nationaux. La suspicion provoquée par ces performances obligea les sportives à se plier à des tests, qui se révélèrent négatifs. En revanche, l’entraîneur apprit qu’elles prenaient un fortifiant naturel à base de yarsagumba. On se contenta de l’explication, qui marqua le début de la notoriété de ce produit miracle dont les cours ne cessèrent alors de monter en Chine, à Singapour et jusqu’aux États-Unis.

Parmi ses multiples pouvoirs supposés, c’est évidemment à celui de favoriser la libido qu’il doit cet engouement, venant s’ajouter à la poudre de corne de rhinocéros ou au ragoût de patte de tigre… L’explosion du yarsagumba a surtout transformé en quelques années l’économie de tout le plateau tibétain.

Pour des centaines de milliers de personnes vivant dans les villages reculés du Népal, du nord de l’Inde, du Bhoutan, du Tibet et de la Chine, sa vente est devenue la principale source de revenu. Au prix d’un sacré changement d’habitudes pour ces populations.

Entre les villageois, la compétition est rude

Au Népal, dès les premiers jours de mai, les écoles ferment… faute d’élèves. Les enfants sont en effet un sérieux atout dans la recherche du yarsagumba. Leur vue est meilleure et leur taille leur permet de trouver plus aisément le précieux hybride. L’interdiction officielle du travail des moins de 14 ans ne pèse pas lourd face aux rêves dorés des familles.

Chaque participant à cette ruée vers l’or doit verser mille roupies (un peu plus de 8 euros) à un comité qui en assure à la fois l’organisation et la sécurité. L’appât de la récolte fait en effet prendre de plus en plus de risques et la compétition entre villageois provoque souvent des bagarres, parfois des morts.

Cet univers enfiévré attire en outre des pilleurs soucieux de s’épargner la fatigue de la récolte en puisant directement dans les sacs contenant celle des autres. Ils travaillent souvent en bandes et ont la détente d’autant plus facile que les policiers, en raison des difficultés d’accès, mettent souvent plus de quarante-huit heures pour arriver sur les lieux d’un homicide.

Et si, contrairement au Klondike de Jack London, il n’y a pas de saloons dans cette multitude de campements, on voit, devant des tentes, des jeunes filles maquillées dont les mains ne portent pas les traces d’un travail dans le sol. Le yarsagumba présentera alors l’intérêt, pour l’éventuel prétendant, d’être à la fois monnaie d’échange et remède en cas de défaillance… Tous profitent donc de cette manne qui a déjà permis à l’une des populations les plus pauvres du monde d’accéder à l’électricité, aux soins hospitaliers et à l’éducation. Elle est pourtant désormais menacée.

Surexploitation et réchauffement climatique

La forte demande, chinoise notamment, a provoqué une surexploitation. Ratissés chaque année, centimètre par centimètre, les « yarsalands » se sont appauvris et ces dernières années, les cueilleurs ont constaté une baisse régulière de leur butin. Un fermier s’est ainsi plaint de n’avoir trouvé cette année, avec l’aide de cinq membres de sa famille, que 400 yarsagumba. 200 de moins que l’an dernier et 500 de moins que l’année précédente. En trois saisons, ses gains ont donc dégringolé de 2 700 à 1 200 euros.

Une autre explication a été avancée récemment par des chercheurs, celle d’un écosystème plus chaud provoqué par le dérèglement climatique. Et ce phénomène serait plus aigu dans les altitudes élevées. Ces scientifiques avouent ne pas savoir pourquoi les chaînes de montagnes se réchauffent plus rapidement que le reste de la planète, mais, pour un biologiste de Boston, il y a urgence à mieux connaître le réchauffement de l’Himalaya avant de voir disparaître sa biodiversité.

De même que les chercheurs d’or sont contraints de creuser encore plus profondément quand un filon tend à s’épuiser, les villageois népalais montent de plus en plus haut, jusqu’à 4 500, 5 000 mètres d’altitude, afin de trouver des yarsagumba en quantité suffisante. Prenant de plus en plus de risques dans des régions soumises aux éboulements et aux avalanches. Cela mérite bien le prix fort que les Chinois aisés sont obligés de payer pour obtenir leur « Viagra de l’Himalaya »Retrouvez cet article dans We Demain n°16.

Raphaël Meursault.

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