Respirer  > Saype, l’artiste dont les fresques sur herbe se voient du ciel

Written by 11 h 13 min Respirer

Saype, l’artiste dont les fresques sur herbe se voient du ciel

Depuis 2012, ce Franco-Suisse peint sur les pelouses de tous les continents des fresques géantes, mais biodégradables. Autant d’appels à un avenir meilleur.

Le 17/03/2021 par Séverine Mermilliod
Saype
(Crédit : Valentin Flauraud/Saype Artiste)
(Crédit : Valentin Flauraud/Saype Artiste)

Des géants en noir et blanc lézardent sur l’herbe fraiche. Au fil des semaines, toutefois, l’herbe a raison des titans et finit par les engloutir. C’est la signature de Saype, de son vrai nom Guillaume Legros, artiste franco-suisse de 31 ans fort de 46 000 abonnés Instagram. Depuis 2012, il s’est rendu dans une quarantaine de villes du monde pour réaliser sur gazon ces fresques éphémères. Composées de pigments biodégradables, elles disparaissent avec la repousse.

Ce portrait a initialement été publié dans la revue WE DEMAIN n°32, disponible sur notre boutique en ligne.

« Depuis tout gosse, je suis fasciné par la nature », explique-t-il. « Ce qui m’a fait peindre sur l’herbe, c’est que selon moi l’art, c’est capter l’attention, puis transmettre des émotions. Or j’avais l’impression que c’était compliqué en faisant du tag en ville, avec la pollution visuelle. » Car Saype a commencé à graffer à 14 ans, du tag à la peinture au couteau. « Je vivais à la campagne et je me suis dit que pour recapter l’attention, j’allais peindre sur un support non exploité : l’herbe. »

Influencé par Jr et Christo

La popularisation des drones encourage son idée de créer des œuvres XXL visibles du ciel, et son intérêt pour l’écologie lui fait chercher de nouvelles matières écoresponsables. « J’ai passé un an à faire des tests dans le jardin de mes parents, avec quinze pigments et colles naturelles différentes, pour voir comment la peinture évoluait avec le temps. J’utilisais de la farine avec de l’eau, je la faisais cuire, j’y mélangeais de la craie ou du charbon… »

Une tambouille qui finit par prendre. Pour coller les pigments sur l’herbe, Saype utilise désormais la caséine, protéine du lait, et teste l’amidon de maïs. Il tente ainsi « de minimiser son impact sur la nature » et assure analyser après coup le PH des terrains qu’il peint. « Mais quoiqu’il arrive, on modifie l’écosystème, ne serait-ce qu’en coupant l’herbe. J’ai l’impact d’un troupeau de moutons », sourit-il.

Comment procède-t-il ? Après de multiples croquis ou photos et l’étude du terrain via Google Earth, lui et son équipe (deux assistants et un photographe) partent sur place. Pour souvent une semaine de travail, à raison de douze heures par jour : le dessin doit être réalisé à 5 cm près. Et sans possibilité d’effacer : il n’y a pas le droit à l’erreur.

Saype
Ce n’est qu’après de multiples croquis et l’étude du terrain via Google Earth que Saype et son équipe partent exécuter leurs fresques, comme ici à Leysin, en Suisse. (Crédit : Valentin Flauraud/Saype Artiste)

Parmi les artistes dont il admire le travail, Saype cite le célèbre JR, qui placarde dans le monde entier ses portraits photographiques géants, mais aussi Vhils, peintre et graffeur portugais, ou encore Christo, le pionnier du land art décédé en mai. Ses œuvres à lui interrogent le spectateur sur ce que sera le monde de demain : la protection de la nature, la solidarité et la transmission intergénérationnelle sont omniprésentes.

Pas si étonnant quand on sait qu’il a été infirmier en maison de retraite. Un bac S en poche, il entre à 18 ans en formation de « soins de suite et réadaptation », puis passe « six ans en Suisse dans une maison de retraite ». Une expérience qui va le marquer : « J’ai été super jeune confronté à la mort. On se pose très tôt des questions existentielles… Tout ça a nourri ma réflexion, c’est sûr. »

Concrétiser les messages

L’une de ses dernières œuvres, 4 500 m2 peints cet été sur les hauteurs du Mercantour, montre par exemple un grand-père apprenant à pêcher à une petite fille. « C’est vrai que je ne peins quasi jamais de personnages entre 10 et 75 ans », reconnait Saype. « Je dessine des enfants, car ils représentent l’avenir. La vieillesse représente la sagesse. Et en parlant des enfants on parle de nous, des valeurs qu’on va laisser. »

Saype
Un grand homme et l’avenir II, peinture de Saype à Valberg (Alpes-Maritimes), juillet 2020.

De ce mélange entre écologie et envie d’un monde meilleur nait un art « engagé, mais pas militant », dont il commence à vivre à partir de 2016. Devenu depuis connu dans le monde entier, Saype investit des lieux de plus en plus vastes, comme le Champ-de-Mars en 2019. Même l’ONU l’accueille : il a peint en juillet, devant son siège à Genève, deux enfants dessinant leur monde idéal. La suite est prévue à New York puis Nairobi en 2021. 

L’artiste ne se contente pas de messages, il veut les concrétiser. « J’aime essayer de créer quelque chose par l’art dans la réalité, en plus du débat et des idées heureuses », confirme-t-il. En témoigne son projet « Beyond Walls », commencé sur le Champ-de-Mars : un appel à l’entraide où des mains peintes entrelacées appartiennent à des anonymes de tous les continents. À Genève en 2018, ce sera une petite fille jetant un bateau de papier dans le lac Léman, en soutien aux actions de sauvetage de migrants en mer par l’association SOS Méditerranée.

« Il est trop facile d’aller dans l’art trash pour interpeler, mais ça donne zéro solution. Alors j’essaye d’orienter le débat de manière positive », conclut l’artiste, que son agenda chargé devrait mener sous peu au Bénin, en Afrique du Sud et au Kenya. 

A lire aussi :