Succès historique de la pétition pour le climat : et après ?

Lundi 17 décembre, quatre ONG ont lancé un recours « en carence fautive » contre l’État français pour inaction face au changement climatique. GreenPeace, la FNH, Notre affaire à tous et Oxfam espéraient mobiliser la société civile et c’est chose faite : la pétition lancée en ligne pour soutenir le recours a recueilli 1,9 million de signatures en 10 jours. Ce succès est sans précédent en France puisque « l’Affaire du siècle » devance la pétition contre la loi El Khomri (2016) et celle des Gilets Jaunes qui ont respectivement récolté 1,4 et 1,2 million de signatures. We Demain décrypte les conséquences de cette action.

À lire aussi : « L’Affaire du siècle : l’État français poursuivi pour inaction climatique par des ONG

Quelle réponse du gouvernement ?

Le succès du mouvement a précipité la réaction de l’exécutif. Le 25 décembre, le ministre de la Transition écologique François de Rugy s’est exprimé dans les colonnes du Parisien. « Je suis heureux que les citoyens s’expriment pour lutter contre le dérèglement climatique, assure-t-il, mais ce n’est pas dans un tribunal qu’on va faire baisser les émissions de gaz à effet de serre. Ce n’est pas à des juges de forcer le gouvernement à prendre une loi. »
 
Un argument infondé pour Marta Torre Schaub, directrice de recherche au CNRS et fondatrice du réseau Droit et climat. « Des voix s’élèvent pour dire que si le pouvoir judiciaire dicte au pouvoir exécutif quoi faire, c’est la fin de l’état de droit, explique-t-elle. Mais si cette affaire va au tribunal, le juge ne va empiéter sur aucun pouvoir, poursuit l’avocate. Il va seulement rappeler le gouvernement à ses engagements comme l’Accord de Paris ou les différents plans climat. »

Comment fonctionne cette action en justice ?

L’acte 1 de ce recours en justice, c’est une lettre adressée au Premier ministre ainsi qu’à 12 membres du gouvernement. Si dans les deux prochains mois, l’exécutif organise une concertation et satisfait les ONG, le recours ne passera pas devant un juge.

Mais si le gouvernement n’agit pas ? Rien n’est gagné. « Le recours peut être rejeté et alors cela sera récupéré par les climato-sceptiques pour dire ‘vous voyez, il n’y a pas de problème de dérèglement climatique' », craint Arnaud Gossement, avocat spécialisé dans le droit de l’environnement.

Il ajoute : « il s’agit quelque part d’une fiction juridique ». Selon lui, « beaucoup des citoyens qui ont signé la pétition se disent qu’ils traînent Macron en justice mais c’est faux : l’État, ce n’est pas une personne ».

L’Etat français peut-il être sanctionné ?

Les quatre ONG demandent au gouvernement de prendre toute mesure utile pour contrer le changement climatique, ainsi que de verser une indemnisation aux quatre associations qui l’attaquent pour préjudices moral et écologique. Si le recours devant le juge leur est favorable, les compensations financières seront de l’ordre de « quelques euros symboliques », estime Arnaud Gossement.

Mais c’est l’impact politique qui pourrait s’avérer très important. « Si la carence fautive de l’État était reconnue, cela enverrait un message fort au gouvernement comme à la société civile », affirme Marta Torre Schaub.

Y a-t-il des précédents juridiques ?

En 2017 déjà, le gouvernement avait été enjoint par le Conseil d’État à tenir ses engagements en matière de pollution de l’air, grâce à de nombreuses preuves apportées par l’association Les Amis de la Terre. Le cas de l’Affaire du siècle, cependant, diffère par la globalité des accusations : « C’est complexe d’établir une relation directe entre l’inaction des gouvernements et le dérèglement climatique », précise Marta Torre Schaub.

Les conséquences possibles de l’Affaire du siècle restent donc très floues. « C’est tellement nouveau juridiquement qu’on ne sait pas ce qu’il va se passer », observe Marta Torre Schaub. Dans d’autres pays pourtant, de simples citoyens ont réussi à faire plier les gouvernements : aux Pays Bas, 886 habitants, appuyés par une fondation, ont poussé l’État à réduire de 95 % les émissions nationales de gaz à effet de serre à l’horizon 2050 ; au Pakistan, un fils de paysans a incité le gouvernement à la création d’une Commission sur le changement climatique ; en Colombie enfin, grâce à 25 jeunes, la Cour suprême a ordonné au gouvernement de mettre en place un programme d’arrêt de déforestation de l’Amazonie. 
 
« Dans tous les cas, ce que je trouve très intéressant, c’est ce rassemblement des citoyens, conclut Marta Torre Schaub, même si pour le moment il s’agit plus d’une mobilisation de la société civile que d’une réussite juridique. »

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