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Un petit propriétaire péruvien s’attaque à un géant de l’énergie allemande

Pour protéger sa ville de la fonte des glaces, Saúl Luciano Lliuya en appelle à l’aide financière des principaux émetteurs de gaz à effet de serre, les industriels. Plus précisément, à l’entreprise allemande RWE, qui serait responsable de 0,5 % de ces émissions dans le monde.

Le 23/03/2015 par WeDemain
Pour protéger sa ville de la fonte des glaces, Saúl Luciano Lliuya en appelle à l'aide financière des principaux émetteurs de gaz à effet de serre, les industriels. Plus précisément, à l'entreprise allemande RWE, qui serait responsable de 0,5 % de ces émissions dans le monde.
Pour protéger sa ville de la fonte des glaces, Saúl Luciano Lliuya en appelle à l'aide financière des principaux émetteurs de gaz à effet de serre, les industriels. Plus précisément, à l'entreprise allemande RWE, qui serait responsable de 0,5 % de ces émissions dans le monde.

« C’est un cas inédit, mais aussi absolument exemplaire dans l’histoire du droit européen. » Roda Verheyen est une avocate allemande, spécialisée dans les questions environnementales. Et le cas « exemplaire » dont elle parle est celui de Saúl Luciano Lliuya, un citoyen péruvien qui a décidé de s’attaquer au géant énergétique allemand RWE.
 
Saúl Luciano Lliuya est un petit propriétaire de Huaraz, un paradis pour trekkeurs situé à six heures de route de Lima, dans la vallée Callejón de Huaylas. En pleine Cordillère des Andes. Le site offre aux cars de touristes un paysage de carte postale, entre hauts glaciers, lagune turquoise, et défilés de condors. Mais derrière ce décor idyllique, une menace plane. 

Détruite par un séisme en 1970, la ville de Huaraz et ses 130 000 habitants tremblent à nouveau devant la fonte des glaces. Celle-ci est telle qu’en douze ans, le lac Palcacocha qui surplombe la ville, a quadruplé de volume. Si un nouveau tremblement de terre survenait ou si un bloc de glace volumineux venait à tomber dans les eaux du lac, la maison de Saúl Luciano Lliuya serait engloutie. Et avec elle, les habitations de 55 000 personnes, selon une estimation réalisée par des chercheurs de l’université du Texas. 

Guide de haute-montagne, viscéralement attaché à sa cité, Saúl Luciano Lliuya a décidé de passer à l’action. À l’occasion de la conférence climat de Lima, en décembre 2014, il a invité Christophe Bals, responsable politique de l’ONG allemande Germanwatch, à venir constater la gravité de la situation. Le message a été reçu. « On entend la glace craqueler en permanence », constate le visiteur.

L’ONG a alors mis en contact Saúl Luciano Lliuya avec l’avocate allemande Roda Verheyen, qui a lancé un débat public sur le sujet. « Est-il légitime que des habitants soient victimes du dérèglement climatique, provoqués par de grandes entreprises, sans qu’on ne leur propose une aide sociale ou une protection en échange ? » 

Pour Saúl Luciano Lliuya, évidemment, la réponse est non. Dans sa ville, l’état d’urgence est décrété régulièrement. Les employés responsables de donner l’alerte en cas d’effondrement d’un bloc de glace ne travaillent plus depuis juin 2014, faute de moyens financiers. Mais ce petit propriétaire entend toujours la glace craqueler… et craint une catastrophe. Il sait que l’argent public manque. Dans le même temps, il constate que les autorités locales sont dépassées.

Après avoir consulté un rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), qui a étudié la fonte massive de glaciers dans les Andes et a démontré leur incontestable lien avec le dérèglement climatique, le Péruvien et son avocate ont une idée. Saúl Luciano Lliuya décide de se retourner contre RWE, l’une des entreprises les plus polluantes du monde, et, selon une étude de 2013, la plus grosse firme émettrice de CO2 en Europe. Pas pour lui demander de réparer les dégâts d’ores et déjà encourus, mais pour aider sa ville à prévenir ceux à venir.

RWE RESPONSABLE DE 0,5 % DES EMISSIONS DE CARBONE DANS LE MONDE

Avec ses douze centrales à charbon en Allemagne, RWE serait responsable de 0,5 % des émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère depuis le début de l’ère industrielle. Et comme ces émissions se répandent bien au-delà de leur lieu d’origine, leurs conséquences se font aussi sentir à l’autre bout du monde.

Saúl Luciano Lliuya réclame ainsi à RWE qu’il participe au coût des installations de protection de la ville. Et ce de façon proportionnelle à son taux de pollution, soit à hauteur d’environ 0,47 %. Sachant que le montant global des installations nécessaire de 3,5 millions d’euros, l’entreprise aurait à payer 17 000 euros. Une somme négligeable, pour le géant allemand, mais qui permettrait déjà de financer des systèmes de drainage ou de pompage et l’entretien du barrage du lac, à Huaraz.

« On cherche à appliquer la même logique que pour un litige de voisinage, c’est-à-dire que chacun est responsable de sa propriété uniquement, sauf si elle a des conséquences sur celle de son voisin », explique Roda Verheyen, l’avocate. 

La conséquence la plus redoutée par Huaraz est celle d’un énorme raz-de-marée, avec des vagues de de 25 à 50 mètres venant de l’ouest, qui déferleraient bien au-delà de la digue naturelle du lac et s’abattraient dans le nord et le sud de la ville.

C’est pour éviter ce genre de drame, que l’avocate vient d’adresser une lettre à l’entreprise RWE. Cette dernière a jusqu’au 21 avril pour donner sa réponse. Et si le géant de l’énergie refuse de donner suite, l’affaire sera portée devant un tribunal allemand.

« C’est l’histoire d’un citoyen qui n’émet que peu de gaz à effets de serre, et souffre pourtant de ceux d’une entreprise : s’il ne se passe rien, il risque de tout perdre », résume Roda Verheyen.

Pour l’avocate et ses protégés, c’est inenvisageable. « Nous allons nous référer à la loi fédérale relative aux émissions de gaz à effets de serre (Bundes-Immissionsschutzgesetz), inscrite dans le Code civil allemand », poursuit l’avocate, ce qui est possible depuis un arrêté de l’Union européenne. Même si l’application de cette procédure pose encore question, du moins à l’échelle internationale.
 
Pas de quoi arrêter le propriétaire péruvien et son avocate : « Ce cas est un symbole des injustices climatiques, affirme Roda Verheyen. Et un geste absolument courageux de la part de mon client ». À quelques mois de la COP21, Conférence des Nations-Unies sur le changement climatique, à Paris, l’histoire de Monsieur Lliuya pourrait avoir valeur de symbole.

Lara Charmeil
Journaliste à We Demain
@LaraCharmeil

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