Pas assez de cardiologues en Afrique ? Il invente la tablette qui ausculte à distance

Au Cameroun, les cardiologues sont une denrée rare. Peuplée de 20 millions d’habitants, le pays n’en compte que 40. Moins d’un praticien pour 10 000 km2 ! Un déficit qui touches les citadins, mais surtout les habitants des campagnes, forcés d’emprunter des routes cabossées et de payer le prix fort – lorsqu’ils en ont les moyens – pour simplement se faire ausculter.

Et si, demain, certains examens de cardiologie pouvaient être pratiqués depuis chez soi à l’aide d’une simple tablette connectée et de quelques capteurs ? C’est le pari d’un jeune Camerounais, Arthur Zang, ancien étudiant en informatique. L’un des futurs Steve Jobs de la santé en Afrique ?

Pour l’heure, c’est un garçon discret, presque effacé, que nous rencontrons à Paris. Arthur Zang est de passage à l’occasion de la remise du prix Rolex Awards for entreprise, dont il est lauréat, mais aussi pour participer à une conférence sur « l’Afrique digitale », organisée par l’hebdomadaire Le Point.

Le créateur du Cardiopad résume le fonctionnement de son invention : « Les capteurs permettent de contrôler le rythme cardiaque et la pression artérielle. Les données sont ensuite numérisées et transmises aux cardiologues, via le réseau mobile, car Internet n’est pas disponible dans les campagnes. »

En cas d’anomalie, ces derniers peuvent alors immédiatement prescrire au malade un médicament ou les diriger vers un établissement avec département de cardiologie. Résultat : des économies de temps et d’argent substantielles, tant pour le patient que pour le système de santé publique.

Des tablettes médicales à 500 euros

Vingt Cardiopads sont aujourd’hui utilisés dans différents hôpitaux du Cameroun. Et grâce aux 50 000 euros octroyés à Arthur Zang par Rolex, 100 autres vont arriver de Chine. « Pour l’instant, une tablette revient à 1 500 euros. En industrialisant la fabrication, pourrait tomber à 500 euros », estime le jeune inventeur. D’ici 2020, il prévoit même que ses tablettes seront fabriquées au Cameroun et exportées dans de nombreux pays d’Afrique. Plusieurs investisseurs se seraient déjà montrés intéressés par son entreprise.

La solution apportée par Arthur Zang dans les déserts médicaux du Cameroun pourrait même s’appliquer au delà du continent noir. « J »ai fait la connaissance de Neeti Kailas, une autre lauréate du prix Rolex, qui utilise des tablettes connectées pour diagnostiquer les problèmes d’auditions des nourrissons en Inde. » Depuis, les deux entrepreneurs réfléchissent à un projet commun dans le domaine de l’e-santé. Himore Medical, la start-up d’Arthur Zang, travaille également au développement de la tablette à des fins d’échographies. Les perspectives sont grandes !

Priorité à l’éducation

Pourtant, selon Arthur Zang, la technologie ne sera jamais l’unique remède aux problèmes de santé dans les pays émergents. « Ce qui est premier, ce n’est pas la technologie, mais l’envie d’apprendre et de faire bouger les chosesCe ne sont donc pas les objets connectés qui aideront l’Afrique, mais l’éducation. »

Le jeune homme sait de quoi il parle : son histoire est d’abord celle d’un étudiant africain qui se forme grâce à un MOOC (cours en ligne) indien et fait construire sa trouvaille en Asie. Une histoire qui commence en 2009, au département informatique de l’École Polytechnique de Yaoundé.

« Tous les autres étudiants partaient faire des stages au sein de grandes compagnies high-tech comme Orange, se souvient Arthur Zang. Moi j’avais toujours été intrigué par le fonctionnement des appareils médicaux. J’étais fasciné par ces courbes incompréhensibles qu’on voit dans les séries et les documentaires. »

Il frappe alors à la porte d’un cardiologue, Samuel Kingué, pour lui proposer de travailler sur une application capable de numériser le signal cardiaque. Entre les deux hommes, l’entente est immédiate.

« Je me rappelle très bien de ses mots. Il m’a dit : ça fait 15 ans que j’attends quelqu’un comme toi . »

[Vidéo] Rolex présente son lauréat Arthur Zang

À l’issue du stage, l’étudiant décide d’aller plus loin. Alors que tous ses camarades entrent dans le monde du travail, il se réinscrit en recherche dans son école pour imaginer sa tablette. « J’étais seul dans le labo, on m’avait remis les clefs ! »

Problème : Arthur Zang ne connaît pas grand chose à l’électronique. Qu’à cela ne tienne. Il suit, durant un an, le cours en ligne gratuit NPTEL, mis en place par le gouvernement indien. En 2011, les plans de la tablette sont prêts.

Mais il manque encore l’argent nécessaire pour la développer. Convaincu du potentiel de son invention, il demande alors à sa mère de contracter un prêt bancaire, grâce auquel il peut fabriquer un premier prototype. Mise en ligne sur Youtube fin 2012, sa vidéo de démonstration fait rapidement le tour du web et suscite l’attention de plusieurs médias africains. C’est le bout du tunnel. Un mois plus tard, le président du Cameroun Paul Biya annonce que l’État subventionnera le projet à hauteur de 40 000 dollars. Himore Medical va pouvoir naître.

Côme Bastin
Journaliste à We Demain
@Come_Bastin

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