Sécurité & Résilience

Guerre en Ukraine : « À Boutcha, notre institut médico-légal a examiné 200 corps civils »

Le 24 février 2022, l’armée russe entre sur le territoire ukrainien. C’est le début d’une offensive générale aérienne, maritime et terrestre en Ukraine. Boutcha est une ville d’environ 37 000 habitants, située à 30 km au nord-ouest de la capitale Kiev. Des bombardements intensifs puis l’invasion de l’armée russe dans la ville ont lourdement pesé sur les habitants, qui ne parvenaient pas à fuir la zone de guerre. Après plus d’un mois de présence, le 26 mars 2022, faute d’avoir réussi à s’emparer de la capitale Kiev, Moscou annonce un changement de stratégie et le retrait de ses forces.

Officiellement repassée sous pavillon ukrainien le 31 mars, on découvre dans la ville de Boutcha des corps habillés en civil jonchant les rues mais aussi des charniers. Dans ces fosses communes, certains cadavres sont découverts les mains attachées dans le dos, preuve qu’elles n’ont pas été des victimes collatérales de bombardements mais bel et bien tuées volontairement par l’armée russe. Les autorités ukrainiennes sollicitent alors plusieurs pays afin d’obtenir des renforts pour l’examen des corps. Et la France répond favorablement à cette requête. L’Institut de recherche criminelle (IRCGN) est envoyé sur place. Le Colonel François Heulard témoigne de ce qu’il a vécu sur place avec ses équipes lors du 3e Forum Sécurité & Résilience organisé le 25 octobre 2022 par WE DEMAIN.

Des corps civils extraits de fosses communes à Boutcha

« L’IRCGN a une compétence particulière en matière de victimes de catastrophes (tsunami, crash avion, attentat…). Il ne nous a fallu que quelques jours de préparation. En moins d’une semaine, nous étions partis et sur place le 12 avril », se rappelle le Colonel François Heulard.

« Nous nous sommes mis au travail derrière l’église orthodoxe St. Andrew, non loin de la fosse commune découverte quelques jours auparavant. Nous avons installé notre institut médico-légal sous tente puis extrait les cinquante derniers corps de la fosse commune. Durant tout ce temps, un médecin légiste ukrainien était avec nous, ainsi que des policiers pour nous assister dans notre travail. »

À lire aussi : En Ukraine, une guerre cyber mais pas une cyberguerre

Causes de la mort, identification… un long travail de fourmi

Première étape : rechercher les indices sur les corps des personnes décédées (atteintes balistiques, effets des explosions…). « Ce ne sont que des corps civils. Et on constate que les victimes ont été fauchées dans leur quotidien. Elles avaient encore avec elles des éléments, des objets qui montrent qu’elles ne s’attendaient pas du tout à ce qui allait arriver. »

Seconde étape : identifier les corps. Cela passe par les dents, les empreintes digitales, l’ADN… « En raison de l’état des corps, nous n’avons pu prélever les empreintes digitales que sur un quart des corps », souligne le Colonel François Heulard. L’IRCGN continue son travail dans d’autres lieux à Boutcha et alentours. Au total, en cinq semaines, on va examiner un peu moins de 200 corps. Au sein du détachement, 

Aider les familles à retrouver leurs proches décédés à Boutcha

« Dans nos véhicules, nous avons un laboratoire mobile qui peut établir des profils ADN rapidement. À la demande des familles qui voulaient savoir ce qu’étaient devenus leurs proches disparus, nous avons effectué environ 70 prélèvements pour voir si les profils ADN correspondaient aux victimes non identifiées. Finalement, cela a permis de rendre dix corps aux familles », explique le Colonel.

Essayer de garder le recul nécessaire

La difficulté a aussi été pour les équipes de l’IRCGN de garder le recul nécessaire dans leur travail. Habituellement, les enquêtes post mortem et ante mortem sont faites par deux équipes différentes. Une essaie de retracer les derniers instants d’une personne décédée tandis que l’autre se concentre sur les causes de la mort en analysant son corps. En Ukraine, les mêmes équipes faisaient les deux. « Cela crée une vraie difficulté à mettre la distance émotionnelle nécessaire dans le travail », reconnaît François Heulard.

Comment gère-t- on l’accumulation sur cinq semaines ? « On documente de façon très scientifique la balistique. On s’efforce de considérer un corps et pas la personne et tout ce qu’il y a derrière sinon on ne peut pas garder le recul nécessaire. Quand on examine un corps, on essaie d’identifier des éléments et rien d’autre. »

La vraie fierté tirée de cette mission par l’IRCGN est d’avoir été capable de venir vite sur le terrain des opérations et de mettre les connaissances et la technologie au profit des Ukrainiens. En partant, l’Institut a laissé un laboratoire d’analyse mobile à l’Ukraine, un outil très utile qui a ensuite été très utile à Izioum. « Le vrai moteur, c’est le côté juste de la mission », conclut le Colonel François Heulard. 

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