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« Avec notre rapport à l’animal, on entre dans une ère de pandémies »

Quel est l’impact du réchauffement, de la biodiversité et des comportements humains dans la propagation des maladies infectieuses ? Telles sont les questions étudiées en Afrique australe par la chercheuse Eve Miguel. Interview.

Le 31/05/2021 par WeDemain
Le programme HUM-ANI s'intéresse notamment au lien entre biodiversité et pandémie.
Le programme HUM-ANI s'intéresse notamment au lien entre biodiversité et pandémie. (Crédit : Eve Miguel)
Le programme HUM-ANI s'intéresse notamment au lien entre biodiversité et pandémie. (Crédit : Eve Miguel)

Si les regards sont braqués vers la Chine pour comprendre l’origine de la pandémie de Covid-19, l’Afrique, immense réservoir de biodiversité, est un terrain très riche dans l’analyse des maladies infectieuses.

Au Zimbabwe, Eve Miguel, chercheuse à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) pilote le projet HUM-ANI. Objectif : mieux comprendre le rôle des changements climatiques, de la biodiversité, mais aussi des comportements humains dans l’émergence et la propagation des maladies infectieuses. Un vaste projet qui mêle écologie, épidémiologie et sociologie, soutenu par la Fondation BNP Paribas à travers son programme Climate & Biodiversity Initiative. Interview.

  • WE DEMAIN. Alors que les regards se tournent aujourd’hui vers l’Asie lorsque l’on parle de maladies infectieuses, pourquoi vous intéresser à l’Afrique australe ?

EVE MIGUEL. Une vraie politique de conservation a été mise en place dans de nombreux pays d’Afrique australe. Avec, depuis quelques années, la création de parcs transfrontaliers, connectés entre eux, et entre les pays. Dans ces grandes zones de mobilité animale, il y a encore plus de coexistence probable à l’avenir entre les hommes et les animaux. Car ces parcs ne sont plus des systèmes clos, dont l’homme est exclu, comme on les pensait dans les années 1970. Ils lient des zones non habitées et des zones peu habitées.

Nous nous intéressons en particulier au rôle des grands mammifères et des ongulés. Par exemple les éléphants, les girafes, les buffles d’Afrique, encore assez nombreux dans ces zones qu’on appelle des « hotspots de biodiversité ». J’essaye de comprendre le fonctionnement de cet écosystème, les fonctions régulatrices des grands prédateurs encore présents, comme le lion, la hyène, le léopard, et le rôle de la diversité d’espèces dans la transmission des maladies infectieuses. Je cherche à savoir comment les maladies infectieuses se transmettent entre les animaux sauvages et domestiques, ou inversement. Et potentiellement aussi vers l’homme, via l’alimentation,  la viande de brousse, les activités de chasse, de braconnage..

Crédit : Eve Miguel
  • L’Afrique est aussi particulièrement marquée par le réchauffement climatique. Comment impacte-t-il ces écosystèmes ? 

Oui, l’Afrique, et notamment l’Afrique australe, est soumise à de forts dérèglements climatiques. Avec des sécheresses de plus en plus fortes, des pluies diluviennes plus intenses qui lessivent les sols. Cela impacte les productions agricoles, les espèces végétales et animales avec une perte importante de la biodiversité et une forte diminution de l’abondance notamment des grands mammifères sur le continent.

Le réchauffement climatique a des conséquences importantes sur l’agriculture de subsistance souvent pratiquée aux abords d’aires protégées, moins productives. Les zones protégées peuvent donc devenir des zones refuges ou tampons pour l’accès aux ressources alimentaires, comme le pâturage et l’accès à l’eau pour le bétail, les vaches, les chèvres…

Les observations menées les années passées montrent que les risques d’infection pour les populations domestiques sont clairement corrélés aux taux de contact avec la faune sauvage ou l’environnement sauvage.

« Les risques d’infection pour les populations domestiques sont clairement corrélés aux taux de contact avec l’environnement sauvage. »

  • Quels sont les risques liés à la perte la biodiversité dans la transmission des pathogènes ? 

Mon travail porte précisément sur cet « effet de dilution » de la biodiversité. Les pathogènes utilisent de nombreux hôtes pour se transmettre. Mais les espèces n’ont pas toutes la même capacité de transmission. Par exemple, le virus de la rage, en Europe, se propageait principalement du renard au renard. Le chien a aussi des récepteurs, comme d’autres espèces sauvages, mais une capacité moins importante de répliquer le virus pour l’amplifier et le transmettre. Pour infecter un chien à partir d’un renard, il faut un millier de fois plus de doses virales que pour qu’un renard infecte un autre renard. Ainsi, on comprend que si disparaissent certaines espèces, qu’on peut appeler « cul de sac », on peut amplifier les risques de transmission. Un système avec une forte biodiversité serait donc plus résilient grâce à la présence d’espèces pare-feu, ou des barrières biologiques.

Une hypothèse alternative est qu’un système avec une plus large biodiversité d’espèces entraîne aussi une plus  large diversité de parasitaires et augmente ainsi les risques. Il est donc important de bien comprendre ces mécanismes pour mieux anticiper les prochaines maladies.

« Un système avec une forte biodiversité serait donc plus résilient grâce à la présence d’espèces pare-feu, ou des barrières biologiques. »

  • Comment cerner ces interactions et la transmission de pathogènes entre espèces ?  

Il faut vraiment faire des suivis qu’on appelle longitudinaux, c’est à dire dans le temps.

Un exemple parlant : si on était des chercheurs qui arrivaient sur Terre, et si on faisait une seule étude sur 50 enfants pendant l’été, on se dirait « il y a peu de  grippe sur la planète terre». Il faut suivre plusieurs populations pour voir que les enfants peuvent transmettre la grippe avec une faible symptologie. Mais aussi suivre des populations plus âgées pendant toute l’année pour observer un pic de transmission plutôt dans l’hiver avec une symptologie beaucoup plus forte.

Les études sur la faune sauvage sont donc complexes à mettre en place et onéreuses. Les espèces sont de plus en plus protégées puisque de plus en plus menacées, et difficile à capturer surtout régulièrement. Nous n’avons jusqu’ici qu’une vision très parcellaire de la réalité.

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Crédit : Eve Miguel
  • D’où les nouvelles méthodes de recherche mise en place ? 

Oui, on a une approche sur trois piliers : un pilier écologique, un pilier épidémiologique, un pilier sociologique. Un pilier écologique pour vraiment comprendre les dynamiques des populations hôtes, quelles espèces sont en interaction, leur abondance… Pour cela, on utilise des méthodes assez classiques, des pièges photographiques pour caractériser les communautés à différentes saisons ainsi que des colliers GPS pour décrire les aires de distribution des animaux et leur mouvement.

S’ajoute une approche épidémiologique : on essaye de détecter des marqueurs de transmission entre les espèces via des méthodes non invasives, par exemple via la salive des animaux sauvages ou les fèces. Pour voir à quel moment le virus circule, chez quelles espèces, et à quelles  prévalences… Sachant qu’avec la génétique on peut ensuite voir si le virus a tendance à beaucoup se multiplier chez certaines espèces et donc à beaucoup muter… Le but, c’est d’arriver à comprendre quelles espèces peuvent être des réservoirs ou des pare-feu à maintenir.

« Le but, c’est d’arriver à comprendre quelles espèces peuvent être des pare-feu à maintenir. »

Typiquement, les éléphants sont extrêmement importants dans les écosystèmes de savane car ils prennent beaucoup de place et ouvrent les milieux. Eux semblent très peu sensibles aux pathogènes, alors que des espèces d’ongulés sauvages qui ont plus évolué avec l’homme comme le buffle africain partage beaucoup plus de pathogènes avec nous ou les espèces domestiques. On essaye donc de voir par exemple comment les éléphants peuvent être des pare-feu épidémiologiques.

Crédit : Eve Miguel
  • Comment les populations locales sont-elles impliquées dans vos recherches ? 

En parallèle, comme on voit qu’il y a toujours un décalage entre nos recherches et l’action locale, on a développé un laboratoire mobile qui présentera à la société civile notre travail et nos méthodes, des photos, les déplacements des animaux, mais aussi une réflexion autour des pathogènes et du changement climatique. Il y aura une présentation de nos résultats en continue et une exposition de concepts clés en écologie.

« Plutôt que de gérer des crises qui coûtent très cher, il faut les prévenir. »

  • Selon vous, doit-on redouter l’émergence et la propagation rapide de nouvelles pandémies ? 

Les derniers rapports sont clairs, notamment le rapport de l’IPBES : si l’on maintient notre rapport à l’animal, que ce soit le commerce d’animaux sauvages, légal, illégal, l’agriculture intensive, la déforestation, on entre dans une ère de pandémies. La fréquence des crises sanitaires comme la Covid va certainement s’accélérer. Les prédictions tablent sur l’émergence de ce type de pandémie tous les cinq ou dix ans.

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  • Comment éviter ces pandémies à répétition ? 

Plutôt que de gérer des crises qui coûtent très cher, il faut les prévenir. Et donc investir dans la recherche fondamentale pour comprendre les mécanismes en jeux. Il faut réfléchir à une bonne gestion des écosystèmes et des territoires. Il faut investir dans la formation, la surveillance pour qu’on puisse détecter les premiers évènements d’émergence.

Reconnaissons toutefois que des initiatives se mettent en place, notamment l’une lancée par le gouvernement français, l’initiative PREZODE. Comme pour le climat, Il faut maintenir des systèmes de surveillance, à long terme et partout dans le monde.

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