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“Vous avez une chance sur 45 de devenir réfugié climatique”

Le 03/12/2018 par WeDemain

Une caravane de près de 7 000 migrants fait route vers les États-Unis. C’est bientôt 5000 soldats américains qui les attendront. La prochaine étape sera-t-elle de tirer à vue ? Nous sommes bien loin de l’idéal que décrivait Emma Lazarus dans son poème “Le Nouveau Colosse“, gravé au bas de la Statue de la Liberté.
Elle qui scande : “Donne-moi tes pauvres, tes exténués, tes masses innombrables aspirant à vivre libres, le rebus de tes rivages surpeuplés, envoie-les moi, les déshérités, que la tempête me les rapporte je dresse ma lumière au dessus de la porte d’or !“.

Bien loin de cette lumière, se tiennent les peurs américaines. Donald Trump a même annoncé le 16 octobre sur Twitter la réduction de l’aide de Washington allouée au Guatemala, au Honduras et au Salvador, déplorant que ces États n’aient pas été capables d’empêcher les gens de quitter leur pays (AFP, 2018). Ces aides font partie d’une stratégie sur plusieurs années pour répondre aux conditions sous-jacentes de l’immigration (WOLA, 2018). Ironiquement, les actions de l’administration américaine se révèlent donc contre-productives. En effet, le rapport de force n’est pas toujours bénéfique.

Et Ronald Reagan l’avait compris. Dans un débat en 1980 face à George H. W. Bush, il décline sa pensée sur la question de l’immigration mexicaine : “Au lieu de mettre une barrière, pourquoi ne pas travailler à la reconnaissance de nos problèmes mutuels ; rendre possible l’immigration légale de ces gens“. Les migrations sont causées principalement par une forte inégalité entre pays. Des inégalités qui sont vérifiées à l’intérieur et entre les pays. De plus, les migrations seront amplifiées par la crise environnementale. Comment allons-nous réagir ? L’arme au point ou les bras ouverts ? Que devrons-nous entreprendre pour gérer ces flux migratoires ?

UNE INÉGALITÉ DE RICHESSE, UNE RÉALITÉ NATIONALE

Le rapport sur les inégalités mondiales de l’année 2018 vient de sortir et il fait froid dans le dos. Il montre que “si l’aggravation des inégalités ne fait pas l’objet d’un suivi et de remèdes efficaces, elle pourrait conduire à toutes sortes de catastrophes politiques, économiques et sociales“. Par exemple, alors qu’aux États-Unis 1 % de la population détient plus de 20 % de la richesse du pays, en Europe ce pourcent de la population détient 12 % de la richesse du continent (WID, 2018). Plus important, on remarque une contraction rapide de la classe moyenne.

Inégalité de richesse : l’éléphant, ça trompe énormément

Ces inégalités sont le fruit d’une faible redistribution des ressources à travers la population comme le montre le graphique. Une redistribution des ressources qui doit être assurée par l’État. Toutefois, depuis 1980 “de très importants transferts de patrimoine public à la sphère privée se sont produits dans presque tous les pays, riches ou émergents” (WID, 2018). Ainsi, la capacité des États à diminuer l’inégalité grimpante et à réguler l’économie se retrouve limitée (WID, 2018). Les inégalités de richesse étudiées au niveau national entraînent des tensions internes. Tensions qui se traduisent par une montée des extrêmes.

UNE INÉGALITÉ DE RICHESSE, UNE RÉALITÉ MONDIALE

Ce schéma inégalitaire trouve un premier écho au niveau mondial. On remarque des disparités de richesse entre nations, sources de flux migratoires. Viennent s’additionner à ces dernières, les opportunités de trouver du travail, ou de trouver une meilleure qualité de vie (OIM, 2003). Après tout, c’est humain d’aller chercher une vie meilleure ! D’ailleurs on estime que 258 millions de personnes sont parties chercher cette vie meilleure en 2018 (OIM, 2018). C’est plus de 3 % de la population mondiale ; un chiffre assez stable depuis plusieurs décennies. On remarque aussi qu’en 2015, l’immigration entre pays “en voie de développement” est plus importante qu’entre “pays en voie de développement et pays développés”.
 

Produit intérieur brut moyen par habitant et par pays
 

La première question est de comprendre les effets de l’immigration : elle est créatrice de richesse et peut être créatrice de tensions. D’un côté, pour les pays accueillants, les bénéfices dépendent des compétences de la personne migrante qui peuvent être complémentaires aux compétences des travailleurs du pays hôte (OIM, 2018). Dans les pays développés, l’immigration de jeunes travailleurs peut réduire la pression sur le système de protection sociale (OIM, 2018). Plus intéressant, concernant les mécanismes des flux migratoires, l’immigration d’aujourd’hui peut aider à la réduction de l’immigration de demain. En effet, les exilés permettent de “renforcer les efforts de réduction de la pauvreté et de croissance” dans les pays en voie de développement en effectuant des transferts de fonds vers leurs pays d’origine (OIM 2018). On estime à 450 milliards de dollars le montant de ces versements en 2017, ce qui équivaut au PIB de la Belgique.

On comprend que l’immigration semble être une opportunité pour les économies des pays ; toutefois, elle peut générer des tensions. En effet, même si l’hostilité envers l’immigration reste mitigée dans le monde, c’est en Europe que le phénomène est le plus mal perçu avec 56 % de mauvais ressentiment (OIM, 2018). Le problème lié à l’immigration ne semble donc pas directement économique mais politique ou social, entrainant une instabilité au sein de la société.

Comment peut-on alors gérer les flux migratoires afin de réduire les tensions dans les pays hôtes ? En quelques mots, il est vrai que les frontières doivent être sécurisées et protégées mais elles ne peuvent pas devenir hermétiques. Dans ce sens, alors que les questions des migrants étaient “régulées de manière sporadique et dominées par des considérations ad hoc“, il s’est développé ces dernières années un besoin de mettre en place une gestion des défis liés aux personnes exilées (OIM 2003). Le but est de faire émerger une migration “plus ordonnée et plus productive” (OIM 2003). Même si les mots ne font pas rêver, l’objectif est lui tout à fait humain : donner au plus grand nombre une chance de vivre dans de bonnes conditions.

Cela se traduit par la coopération de tous les acteurs locaux et globaux afin d’atteindre trois objectifs :

  1. Ouvrir des possibilités de migration légale
  2. Établir des ponts entre les diasporas et les pays d’origine afin que les migrants puissent contribuer aux efforts de développement dans leurs pays d’origine
  3. Établir des programmes visant à s’attaquer aux “causes profondes” de la migration (OIM, 2003).

Cette approche a été utilisée afin de mettre en place en Amérique le “Processus du Puebla” en 1996, illustré par l’aide allouée au Honduras par les États-Unis. De fragiles systèmes de gouvernance plus efficaces et plus coopératifs ont donc été mis sur pied ; d’autres doivent émerger afin de répondre aux problématiques complexes que soulèvent les migrations.
 

UN DEVOIR ENVIRONNEMENTAL

Dernier écho, celui de la sphère environnementale. Elle compte déjà comme une des causes de la migration des 7 000 personnes migrantes vers les États-Unis. Plus généralement, l’étude du professeur Myers estime à 200 millions le nombre de migrants climatiques d’ici 2050 (Brown, 2008). C’est près d’une personne sur 45 dans le monde. À cela viennent s’ajouter les personnes migrantes internes au pays, non comptabilisées jusqu’ici. D’après le rapport GroundsWell de 2018, qui étudie seulement les régions de l’Afrique Subsaharienne, l’Asie du Sud-Est et l’Amérique latine, c’est 143 millions de personnes qui devront se déplacer à l’intérieur de leur pays d’ici 2050. Afin de réduire les migrations forcées, la voie d’un développement durable doit être prise.

Les changements climatiques, source de migrations

En 2007, Kristin Linnerud et ses collègues ont alors cherché à mettre en place un cadre afin d’aider les pays à dessiner des politiques publiques durables autour de trois axes principaux :

  1. La préservation de la durabilité écologique
  2. La satisfaction des besoins humains fondamentaux
  3. La promotion de l’équité entre générations et au sein de chaque génération

Le modèle développé est caractérisé par, d’un côté, la richesse des pays — la capacité de ses habitants à satisfaire leurs besoins primaires— et, de l’autre, par notre empreinte écologique  (Linnerud, 2007). Ayant défini le modèle, on peut définir “l’Aire du développement durable” (SDA) où les trois objectifs du développement durable sont vérifiés.
 

Empreinte écologique par habitant

Pour la mise en place d’un développement durable, les pays développés (zone C) doivent donc entreprendre un effort considérable afin de réduire leur empreinte écologique. Ce changement peut être réalisé suivant trois approches :

  1. Développer de nouvelles technologies comme des voitures plus “propres”
  2. Changer nos comportements comme passer de la “voiture solo” aux transports en commun
  3. Consommer moins : moins de trajets en avion, moins de déplacements inutiles…

C’est par l’application de ces trois approches que, selon les auteurs, nous arriverons à atteindre un développement durable.
 

UN CHANGEMENT DE MODE DE VIE

Comprenez-vous désormais le défi ? Il est d’accepter que le gâteau ne grossisse plus mais que seul le nombre d’invités augmente. Pis, il faut que le gâteau se réduise étant donné que l’on consomme ensemble chaque année 1,7 Terre (FootPrint network). Il faut donc partager. Sommes-nous prêts ? Au Sommet de la Terre en 1992, le président George H.W. Bush affirmait que “le mode de vie des Américains n’est pas négociable“. On voit que l’idée de partage n’était pas au rendez-vous ; et j’ai bien peur que cette époque ne joue les prolongations. Nous vivons au-dessus de nos moyens financiers, situation illustrée par les dettes publiques, et au dessus de nos moyens écologiques, situation illustrée par la crise environnementale.

Ce mode de vie entraîne de très fortes inégalités et par conséquent, entraîne l’émergence d’importants flux migratoires. Ces flux seront décuplés par la crise environnementale, ce qui exacerbera les tensions à l’intérieur des pays. Cette montée inébranlable des tensions a une limite. Les récents événements aux États-Unis ou en mer Méditerranée sont les exemples parfaits de situations difficiles à maîtriser. Des situations que nul ne désire. Les solutions existent pour diminuer les inégalités : la question des richesses dans un pays est régulée par les impôts et la redistribution des fonds collectés. Entre les pays, les aides au développement sont une réponse à long terme. Quant aux questions environnementales, l’Accord de Paris propose une solution pour demain.

COMBIEN ÊTES-VOUS PRÊT À PAYER ?

Toutefois, cet accord apparaît en pratique insuffisant. Les politiques publiques, pressées par les questions sociales, n’ont pas l’air de se mettre au diapason afin d’enrailler les méfaits causés à notre Terre. Alors, avons-nous compris la gravité de la situation ? Sommes-nous vraiment prêts à appliquer les possibles solutions ?

L’argument qui est de promouvoir le partage des richesses plutôt que la montée des tensions semble certes fataliste mais proche d’une réalité qui se veut de plus en plus vérifiable. En économie, on parle de propension à payer. Combien êtes-vous prêt à payer aujourd’hui afin que demain des milliers de migrants ne viennent pas frapper à votre porte ? Vous avez 1 chance sur 45 d’être obligé de migrer pour cause environnementale. Combien êtes-vous prêt à payer pour ne pas quitter votre maison ? Par le partage des richesses et le respect de notre environnement, nous pouvons atteindre nos objectifs de développement durable.

Aux portes du soleil couchant, battue par les flots, se tient une femme puissante avec une torche dont la flamme a perdu de son éclat. Donnons-lui un peu de feu. Après tout, ça ne sera rien qu’un feu de bois ; mais il chauffera leurs corps. Et dans leurs âmes, il brûlera encore à la manière d’un feu de joie*.

* Inspiré par les poèmes d’Emma Lazarus – “New Collosus” – et de Georges Brassens – “Chanson Pour L’auvergnat”.

Hugo Poitout est étudiant en Master Économie et Administration des Affaires – Environnement, Energie, et Ressources Naturelles, ­à la Norwegian School of Economics (NHH). Il croit en un écosystème de solutions pour demain et s’intéresse de près aux sciences de l’environnement. Sa devise : “Le savoir est genèse de l’action”.

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