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Andrew Kassoy (B Lab) : « L’entreprise doit avoir un impact positif sur la société et l’environnement »

Moins connu que la certification B Corp, B Lab est l’association qui chapeaute le mouvement, définit les critères d’évaluation et oriente sa stratégie. B pour « Benefit for all ». Depuis que la communauté a été créée aux États-Unis en 2006, leoctroyé aux sociétés commerciales a fait bien du chemin. Parmi les trois cofondateurs, l’investisseur Andrew Kassoy est venu à ChangeNOW faire le point sur le développement du mouvement, livrer ses réflexions sur le développement des entreprises à mission, les changements de paradigme et le capitalisme.

« Notre système commercial tel qu’il existe aujourd’hui – avec les marchés, les capitaux financiarisés, les médias sociaux et même l’émergence de l’intelligence artificielle – est un système qui en est venu à jouer un rôle tellement dominant dans toutes nos vies. Mais ce système commercial a été créé, non pas avec un devoir de diligence, mais avec un devoir d’insouciance. Insouciance pour les personnes, insouciance pour les communautés, insouciance pour la planète », rappelle-t-il.

Une remise en question du rôle de l’entreprise dans la société

Notre système économique fait exactement ce pour quoi il a été programmé : il crée de la richesse pour quelques-uns, les actionnaires. « La raison pour laquelle les entreprises existent, c’est de maximiser la richesse de leurs propriétaires éloignés. Elles opèrent donc en dehors du ‘donut’ [selon la théorie de Kate Raworth, NDLR], en dehors des frontières humaines et planétaires. » Conséquence : les gens se sentent exclus, laissés pour compte, en colère. « Et que leur colère se manifeste dans l’activisme ou qu’elle se manifeste dans le populisme, ils disent en fait la même chose : ‘Le système ne répond pas à mes besoins et je suis contrarié. Je n’ai pas confiance dans le système.' » Se pose donc la question du rôle de l’entreprise dans la société.

Que cela concerne le changement climatique ou la biodiversité, la dégradation du travail ou la marginalisation des travailleurs tout au long des chaînes d’approvisionnement… si vous tirez le fil, au bout, on trouve l’entreprise. « En d’autres termes, nous avons une défaillance des systèmes. Les entreprises ne parviennent pas à répondre aux besoins de chacun d’entre nous. Elles ne parviennent pas à créer une prospérité partagée et durable pour tous. La question est donc de savoir comment changer ce système. »

Reconnaître l’échec du système existant et croire qu’il existe une alternative viable

« Deux éléments sont nécessaires pour changer les systèmes. La première est la reconnaissance de l’échec du système existant. On peut estimer que c’est fait. Deuxièmement, nous devons croire qu’il existe une alternative viable. Un système dans lequel les entreprises existent pour créer de la valeur pour toutes les parties prenantes, et pas seulement pour les actionnaires », ajoute Andrew Kassoy. Ce système reconnaîtrait enfin notre interdépendance fondamentale et reposerait sur un véritable devoir de diligence.

« Lorsque nous avons créé B Lab, l’organisation que j’ai cofondée il y a 17 ans, les philanthropes dont nous avions besoin pour nous aider à lever des fonds nous ont dit que nous devions avoir une théorie du changement. En tant que trois hommes d’affaires venant du secteur privé, nous n’avions aucune idée de ce que cela signifiait. Nous en avons donc inventé une. Et je pense qu’elle s’est avérée résister à l’épreuve du temps. En fin de compte, ce dont nous avons vraiment besoin, c’est que l’entreprise ait un impact positif sur la société et l’environnement. »

« En fin de compte, ce dont nous avons vraiment besoin, c’est que l’entreprise ait un impact positif sur la société et l’environnement. »

Andrew Kassoy, B Lab.

B Lab : d’une utopie à une réalité

Dans l’espoir de modifier le comportement des entreprises, il est nécessaire de créer l’écosystème et l’infrastructure du marché pour que le système fonctionne différemment. « Nous devons changer la culture des entreprises afin que chacun d’entre nous, qu’il soit consommateur, investisseur ou employé d’une entreprise, s’attende à ce qu’elle se comporte dans l’intérêt de toutes parties prenantes »,explique le cofondateur de B Lab.

Mais pour changer la structure de l’économie, pour changer les règles du jeu, il est nécessaire d’une politique publique qui oblige les entreprises à créer de la valeur pour tous. C’est l’idée de B Lab et de son label B Corp. « Nous avons commencé par créer une certification parce que nous voulions montrer qu’il y avait des milliers et des milliers d’entreprises qui réussissaient parce qu’elles répondaient à des normes élevées de performance sociale et environnementale, de transparence publique et de responsabilité juridique. Aujourd’hui, il existe plus de 8 000 entreprises certifiées B Corp. Elles sont présentes dans plus de 90 pays à travers le monde. Et plus de 250 000 entreprises utilisent nos normes afin de mesurer, de gérer et d’améliorer leur impact. » Rien qu’en France, on compte quelque 400 entreprises certifiées B Corp.

Un pouvoir collectif pour changer les règles du jeu

Avec B Lab, Andrew Kassoy et les deux autres cofondateurs ont dès le début eu pour objectif de construire une communauté de leaders. Une communauté destinée à travailler collectivement pour changer le récit sur le but des entreprises et exercer leur pouvoir collectif afin d’exiger un changement des règles du jeu.

« Pendant de longues années, si vous étiez une B Corp et que vous en parliez autour de vous, on trouvait ça mignon, on vous félicitait. Mais au fur et à mesure que le mouvement a pris de l’ampleur, il devient une menace pour les systèmes existants. Bon nombre de personnes se sentent menacées par ce nouveau mouvement qui bénéficie à toutes les parties prenantes« , assure Andrew Kassoy.

Et d’ajouter : « Que voyons-nous donc aux États-Unis ? Nous constatons un recul de la législation qui empêcherait les investisseurs d’investir dans des entreprises qui prennent en compte les facteurs sociaux et environnementaux. En Europe aussi, on assiste en quelque sorte à un retour de bâton. Mais ne perdons pas espoir : cela signifie que nous sommes en train de gagner. C’est le signe que nous sommes puissants. Seulement, il nous faut agir avec prudence afin de ne pas construire un système semblable à celui qui existe aujourd’hui. » Pour cela, Andrew Kassoy mise sur le collectif.

Accomplir un « acte de beauté collective »

« C’est un peu comme les bâtisseurs de cathédrale. Ils savaient qu’ils ne verraient jamais l’œuvre terminée avant de mourir mais ils venaient quand même pour accomplir un acte de beauté collective pour construire quelque chose d’extraordinaire. Les systèmes économiques, un peu comme les bâtiments, sont simplement constitués et construits par des personnes. Elles ont le pouvoir de changer le système et d’en construire un nouveau, bénéfique pour tous. Mais pour cela, il faut, chacun à titre individuel, redoubler d’attention et de courage« , conclut-il.

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