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Décarbonation de l’agriculture : le Haut Conseil pour le Climat appelle à une politique ambitieuse

Quelle agriculture voulons-nous ?Face aux défis imposés par le changement climatique, le rapport du Haut Conseil pour le Climat met en lumière l’urgence de repenser nos pratiques agricoles et alimentaires pour atteindre la neutralité carbone d’ici 2050.

Le 26/01/2024 par Florence Santrot
élevage bovin agriculture
Les bovins contribuent à hauteur de 83 % des émissions de la filière de l'élevage en France. Crédit : dusanpetkovic / iStock
Les bovins contribuent à hauteur de 83 % des émissions de la filière de l'élevage en France. Crédit : dusanpetkovic / iStock

C’est un euphémisme que de dire que le changement climatique affecte l’agriculture. Il entraîne des pertes de productivité et a des répercussions sur l’ensemble du système alimentaire. Pour comprendre dans quelles proportions – et comment réduire ces effets négatifs – le Haut Conseil pour le Climat (HCC), créé en 2019 sur demande d’Emmanuel Macron, a réalisé une analyse des politiques alimentaires et agricoles françaises à l’aune des enjeux climatiques. un secteur qui a peu diminué son empreinte carbone ces dernières années (-7,9 % seulement de réduction des émissions entre 2015 et 2021). Elle a dévoilé jeudi 25 janvier 2024 ses conclusions dans un rapport.

Il s’avère de remettre à plat nos pratiques, alors même que l’alimentation représente 22 % de l’empreinte carbone des Français. Selon le Haut Conseil pour le Climat, les émissions que génère notre système alimentaire ne diminuent qu’insuffisamment au regard des objectifs climatiques. Il suggère donc d’accélérer la réduction des émissions de l’alimentation et de la production agricole. Un message pour le moins difficile à faire passer face à la colère actuelle des agriculteurs partout en France. Une partie de leurs revendications va à l’encontre des recommandations du HCC. Dont la demande de la FNSEA, premier syndicat agricole, de s’éloigner de « la philosophie même du Green Deal qui assume la décroissance ».

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Une nécessité de lever les « freins et verrous » en matière d’agriculture

Le HCC a relevé des « freins et verrous » qu’il est nécessaire de lever par des changements profonds des systèmes agro-alimentaires. Cela doit passer par :

  • La revalorisation des revenus des agriculteurs et des éleveurs pour soutenir et accompagner leurs changements de pratique.
  • La réorientation des dispositifs de soutien
  • La mobilisation des acteurs de la transformation, du stockage, du transport, de la distribution et de la restauration.

« Transformer le système alimentaire pour répondre aux défis auxquels il fait face – difficultés socio-économiques, santé, climat, environnement – nécessite une stratégie et une politique économique de long terme pour donner une vision claire des évolutions souhaitables pour les producteurs comme pour les consommateurs », a déclaré Corinne Le Quéré, présidente du Haut Conseil pour le Climat.

Une « accélération indispensable » de la transformation de la filière

Le rapport – intitulé « Accélérer la transition climatique avec un système alimentaire bas carbone, résilient et juste » – insiste sur le fait que, dans la perspective de la neutralité carbone de la France à horizon 2050, le système alimentaire doit relever un triple défi climatique : « réduire au maximum les émissions de gaz à effet de serre qu’il engendre, augmenter le stockage de carbone dans les sols agricoles, tout en se préparant à un climat plus chaud de +2 °C à court terme et possiblement de +4 °C à plus long terme protégeant ainsi les acteurs, notamment les plus fragiles. »

Une « accélération de la transition climatique du système alimentaire est indispensable », précise le HCC. Rappelons aussi que la France a les émissions agricoles les plus élevées des États membres de l’Union européenne du fait de l’importance de son secteur agricole. Elle pèse pour 17 % des émissions de l’UE pour l’agriculture.

Repenser notre production – et donc notre consommation – de viande

En 2021, la filière agricole était responsable de 18 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) de la France (77 Mt éqCO2). « 85 % de ces émissions sont constituées de méthane et de protoxyde d’azote, dont le pouvoir de réchauffement global est plus élevé que celui du dioxyde de carbone (CO2)« , précise le rapport. Et de souligner le poids des élevage dans cette pollution : « Les émissions directes de l’élevage représentent
46 Mt éqCO2 en 2021, soit 59 % des émissions de l’agriculture. […] Les bovins contribuent à hauteur de 83 %, suivis des porcins et des volailles. »
Réduire sa consommation de boeufs et de produits laitiers issus de l’élevage bovin semble donc une piste efficace au niveau des consommateurs pour réduire notre empreinte carbone.

Émissions de gaz à effet de serre par groupe d’aliments dans l'agriculture.
Émissions de gaz à effet de serre par groupe d’aliments.

Si le Haut Conseil pour le Climat pointe une baisse des émissions de l’élevage (-15 %) entre 1990 et 2021, cela ne résulte pas d’efforts menés en faveur d’une décarbonation mais en raison « principalement d’une diminution de la taille du cheptel bovin liée aux difficultés économiques du secteur. » À noter que 20 % de la viande bovine et 30 à 40 % du porc ou de la volaille consommés en France sont importés.

Agriculture : des scénarios très ambitieux à horizon 2050

S’il paraît totalement irréaliste de tenir la trajectoire de baisser de 22 % les émissions du secteur agricole d’ici à 2030, il y a encore de l’espoir pour la neutralité carbone en 2050. Mais, pour cela, une approche ambitieuse, rapide et systémique est nécessaire. Le Haut Conseil pour le Climat souligne que les scénarios permettant de réduire les émissions agricoles de moitié d’ici 2050 passent par une réduction de la consommation de protéines animales d’au moins 30 %. Mais aussi une diminution de la part de l’azote minéral apporté aux cultures de 40 à 100 %. Et un développement de l’agroécologie et de l’agriculture biologique pour atteindre 50 % de la surface agricole utilisée. Sans une planification ambitieuse et un accompagnement de l’État, il est impossible que ce scénario devienne réalité un jour.

Le Haut Conseil pour le Climat insiste sur la nécessité d’accompagner chaque exploitation qui le souhaite, d’intégrer les questions climatiques dans les formations dispensées par l’enseignement agricole, d’encourager le développement de nouvelles filières (telles les légumineuses et les cultures intermédiaires en période hivernale), de durcir les critères des aides au revenu pour les orienter en priorité vers les exploitations les plus vulnérables et de n’autoriser le stockage d’eau seulement pour les projets économes en eau. Elle conseille aussi d’augmenter « fortement le stockage de carbone dans les sols agricoles et dans la biomasse ».

Sans oublier le rôle majeur de la distribution – notamment la grande distribution qui commercialise 65 % des produits alimentaires – qui a le pouvoir d’influer le système alimentaire français en faisant des choix éclairés et en jouant de son influence sur la composition des produits vendus dans ses rayons.

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