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Dépendance énergétique et guerre en Ukraine : le choc pétrolier de 1973 peut-il se reproduire ?

Alors que le monde sort tout juste de la pandémie liée au Covid-19, la guerre qui fait rage aux portes de l’Europe entre l’Ukraine et la Russie risque de faire rechuter l’économie mondiale en raison de la dépendance énergétique d’une partie du monde aux énergies fossiles russes. L’année 2021 reste pourtant marquée par une croissance du PIB qui a renoué avec ses niveaux de fin 2019 et une baisse du taux de chômage, aujourd’hui au plus bas depuis 2008.

Avant l’invasion russe du 24 février dernier, une ombre apparaissant déjà dans ce tableau presque parfait : le spectre de l’inflation. Autrement dit, l’augmentation du niveau général des prix, portée principalement par la hausse des cours de l’énergie. En France, elle atteignait les 3,4 % en décembre 2021 comparée à l’année précédente. Un niveau cependant légèrement inférieur à celui enregistré dans les pays voisins : 5,7 % en Allemagne ou encore 6,6 % en Espagne. Outre-Atlantique, la hausse des prix atteint les 6,8 % en novembre 2021, en rythme annuel.

La pénurie des matières premières post-crise sanitaire explique notamment le phénomène. Le redémarrage rapide de l’économie mondiale a créé des tensions au niveau des approvisionnements. Alors même que les flux logistiques restaient entravés par les restrictions sanitaires et les pénuries de main-d’œuvre. La situation ainsi est venue ainsi confirmer les fondements de la théorie économique portée par le courant néoclassique. Théorie selon laquelle lorsque l’offre augmente moins vite que la demande, les prix augmentent.

Dépendance énergétique : le souvenir de 1973

Le choc pétrolier de 1973 est une autre parfaite illustration de ce principe. Cela n’a pas échappé au ministre de l’Économie Bruno Le Maire. Il a estimé, le 9 mars en préambule d’une conférence sur l’indépendance énergétique, que la situation actuelle était “comparable en intensité, en brutalité”.

https://twitter.com/sudouest/status/1501516711975165953?ref_src=twsrc%5Etfw

En réaction à la guerre du Kippour, les pays arabes membres de l’OPEP (l’Organisation des pays exportateurs de pétrole) avaient alors imposé un embargo pétrolier. La contraction de l’offre de pétrole avait généré une hausse du prix du baril et une inflation généralisée. Un phénomène qui avais mis fin à la période des “trente glorieuses”. Le prix du baril Arabian light, largement utilisé dans l’industrie, passait de 2,9 dollars à 11,60 dollars entre octobre et décembre 1973 et, dans les pays dits avancés, l’inflation avait atteint un niveau record, 14 % entre 1973 et 1974.

La guerre russo-ukrainienne pourrait avoir les mêmes conséquences

La crise politique qui se joue en ce moment entre la Russie et l’Ukraine risque de renforcer la hausse des prix. Et générer un choc d’offre négatif au même titre que le choc pétrolier de 1973. En effet, l’Ukraine et la Russie exportent massivement des matières premières et de l’énergie comme le gaz, indispensables pour le fonctionnement des entreprises européennes. La guerre risque donc d’impacter tous les secteurs de l’économie en créant une pénurie dans les approvisionnements d’autant plus que l’Europe reste largement dépendante du gaz russe. Moscou fournit 40 % du gaz naturel de l’Europe, loin devant la Norvège (24 %) et l’Algérie (11 %).

Le cours du gaz naturel en Europe avait déjà commencé sa flambée en 2021, passant de 40 à 116 euros par mégawattheures (marché TTF néerlandais) entre août et octobre 2021. Conséquence : l’État français avait gelé temporairement les prix. Après une baisse, le cours du gaz a connu un pic en décembre dernier (près de 180 euros par mégawattheures) pour se stabiliser ensuite. Jusqu’au jour où la Russie décide de frapper l’Ukraine, ce 24 février 2022 (134 euros par mégawattheures) et ne cesse d’augmenter depuis (un peu plus de 190 ce jour à la fermeture).

Évolution du cours du gaz naturel, mesuré par l’indicateur Dutch TTF Natural Gas Calendar, depuis début 2021. Yahoo ! Finance

En 1973, le choc énergétique avait débouché sur un ralentissement de la croissance (+6 % en 1973 versus -1 % en 1975), semant sur son passage chômage (3 % à 6 % de 1974 à 1980), inflation (proche des 10 % par an) et forte augmentation des déficits budgétaires dans la plupart des pays. Deux ans plus tôt, le président américain Richard Nixon avait en outre mis fin à la convertibilité du dollar en or afin de lutter contre son déficit de la balance commerciale, imposant aux pays européens un régime des changes flottants. Cette décision s’est alors révélée source d’instabilité pour des économies parfois endettées en dollar.

Tournant économique ?

Avec la guerre en Ukraine, assiste-t-on aux prémices d’un même scénario de crise économique, qui va considérablement dégrader l’investissement des entreprises et la demande des ménages ? L’inflation va-t-elle se poursuivre entraînant dans son sillage un ralentissement économique, voire une nouvelle crise ? On peut également se poser la question des effets dits de second tour qui proviennent des tentatives, par les entrepreneurs et les salariés, de compenser la perte de revenus entraînée par l’inflation.

Outre la question énergétique, l’Ukraine et la Russie exportent en effet massivement des produits agricoles (blé, maïs, orge, tournesol, etc.) et d’autres matières premières essentielles (titane, potasse, etc.) à la production des entreprises européennes. Un moindre approvisionnement signifierait un choc d’offre négatif, via une hausse des coûts de production.

https://twitter.com/LaTribune/status/1501107362215702532?ref_src=twsrc%5Etfw

Les producteurs peuvent augmenter le prix de vente au consommateur pour compenser la hausse des coûts. Et les salariés peuvent exiger une augmentation des rémunérations pour compenser la perte de pouvoir d’achat, renforçant ainsi encore le phénomène d’inflation. Les banques centrales seraient alors tentées d’élever leurs taux directeurs, pour contrer la progression des prix. Mais la contraction des crédits que cela entraînerait pénaliserait la demande de biens et services et contribuerait ainsi à un ralentissement économique.

Lors de son allocution du mercredi 2 mars, le chef de l’État Emmanuel Macron n’a pas caché que les Français risquaient d’être “touchés dans leur quotidien”. Le président désormais candidat a promis un plan de résilience économique et social en accompagnant les entreprises françaises touchées tout en faisant face à la hausse des prix de l’énergie. Un plan dont les mesures seront dévoilées à la mi-mars. Après une guerre sanitaire, une guerre politique, un tournant économique ?

A propos de l’autrice : Fatmatül Pralong est professeure agrégée en sciences économiques, Sorbonne Université.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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