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« France nation verte » : l’influence des thinks tanks

Elisabeth Borne a lancé la « mécanique » de la planification écologique voulue par Emmanuel Macron pour atteindre la neutralité carbone de la France en 2050. Sans annonce nouvelle. Mais avec une démarche où transpire l’influence de thinks tanks comme The Shift Project de Jean-Marc Jancovici.

Le 25/10/2022 par Vincent Rondreux
falaises d'Étretat
Elisabeth Borne a présenté une déclinaison française du Green deal européen. Crédit : Stephane Bidouze / Shutterstock.
Elisabeth Borne a présenté une déclinaison française du Green deal européen. Crédit : Stephane Bidouze / Shutterstock.

Sans annonce nouvelle, la Première ministre Elisabeth Borne a juste présenté vendredi 21 octobre, à Paris, la « méthode » de travail du nouveau plan écologique « France nation verte », déclinaison française du Green deal européen, qui doit mener le pays vers la neutralité carbone : ne pas émettre en 2050 plus de dioxyde de carbone (CO2) que la quantité captée par les écosystèmes naturels.

Cela équivaut à un objectif de 2 tonnes de CO2 par an et par habitant, bien moins des chiffres actuels : plus de 10 d’émissions de CO2 aujourd’hui. Avec pour commencer une baisse de 55 % des émissions d’ici à 2030 par rapport à 1990. Un « défi immense » mais également « de plus en plus une question de survie », reconnaît Elisabeth Borne.

« Avancer de front » sur tous les chantiers

Désirant « changer tout un système, identifier des leviers, se fonder sur des séries d’indicateurs », dans la concertation en mobilisant politiques, entreprises, partenaires sociaux et représentants de la société civile, ce plan peut paraître à ce stade « complexe ou abstrait », assume la Première ministre. Il doit en tout cas être composé de 22 chantiers articulés autour de six thèmes : se nourrir, se déplacer, se loger, produire, consommer, protéger et valoriser nos écosystèmes. A ce jour, ces 22 chantiers sont simplement nommés par le gouvernement, comme des tiroirs à remplir. Ils vont de l’alimentation aux mobilités, en passant par l’eau, la décarbonation de l’industrie ou encore le nucléaire (lire ci-dessous).

Sept chantiers transversaux complètent le dispositif : financement, mesures d’accompagnement social, emplois liés à la transformation des filières, sobriété, exemplarité des services publics, planification territoriale. Parce que tous les sujets sont liés, assure Elisabeth Borne : « nous allons avancer de front » sur tous ces chantiers en même temps pour « construire un nouveau modèle de croissance ». Pour elle, « tous les pans de notre quotidien sont concernés. Depuis l’industrie jusqu’au numérique, c’est toute notre économie qui va être transformée ». Un projet de société pour « mieux vivre ».

Une planification orchestrée de Matignon

Méthode d’action : une planification écologique placée sous la houlette de la Première ministre, et pilotée par le nouveau Secrétariat général à la planification écologique (SGPE) dirigé par Antoine Peillon, 38 ans, nommé cet été. Un haut fonctionnaire de l’ombre ayant travaillé avec Ségolène Royal, Jean Castex, Elisabeth Borne ou encore à l’Elysée. Un ancien de Total au début de sa carrière aussi, puis d’Areva, comme on le trouve discrètement sur la toile. Son équipe d’une quinzaine de personnes travaille « sur le temps long », a-t-il déjà souligné. Mission : « coordonner l’élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d’énergie, de biodiversité et d’économie circulaire », jusqu’alors « trop souvent pensés séparément »… Et veiller « à la bonne exécution des engagements pris par tous les ministères en matière d’environnement ».

Dans un premier temps, la nouvelle action gouvernementale consiste à lancer dès novembre des concertations dans tous les ministères selon leurs compétences, avec rapidement une première synthèse. « En fin d’année, nous aurons une version consolidée de notre planification écologique », avec des projections, des objectifs chiffrés ainsi que des indicateurs de suivi. « Des clauses de rendez-vous permettront de partager les résultats obtenus, dans le cadre du Conseil national de la Refondation [dont le groupe « Climat et biodiversité » a également été lancé le 21 octobre] », a-t-elle précisé.

L’influence de The Shift Project

Si ce plan ne pose donc pour l’heure aucune nouvelle action concrète, ses « éléments de langage » comme on dit dans la « com », évoque la logique de travail que l’on peut trouver dans certains « laboratoires d’idées », notamment ceux des associations Terra Nova dirigée par Thierry Pech et The Shift Project, présidée par Jean-Marc Jancovici. « Il ne faut pas hésiter à qualifier ces annonces d’historiques », s’est d’ailleurs félicité dans un tweet Matthieu Auzanneau, directeur de The Shit Project, à la suite de cette annonce.

Après avoir mobilisé « un grand nombre de spécialistes », The Shift Project a publié en début d’année un « plan de transformation de l’économie française » qui se veut lui aussi « systémique » et qui décline de multiples actions « secteur par secteur ». Voici quelques-unes de ces propositions :

  • impulser de grands travaux électriques (nucléaire, énergies renouvelables)
  • repenser les formations initiales et continues dans la perspectives de destructions et de créations d’emploi selon les secteurs
  • baisser la consommation d’emballage plastique de 70 % dans l’industrie
  • favoriser des véhicules de plus en plus légers, atteindre un million de rénovations énergétiques par an dans le bâtiment
  • réduire les produits d’origine animale, renforcer les transports en commun et étendre leurs réseaux
  • réduire les vols long-courrier
  • électrifier les camions
  • raccourcir les chaînes d’approvisionnement dans le secteur de la santé
  • réduire l’impact carbone numérique de la culture
  • rendre prioritaire la décarbonation dans toutes les administrations
  • sortir de la rentabilisation du numérique par des volumes de données massifs
  • combler le retard des territoires dans l’adaptation au changement climatique
  • faire ré-émerger l’Etat comme acteur légitime de la finance dans un objectif de décarbonation et de résilience… 

Dans quelles mesures le gouvernement suivra-t-il ce type de travaux ? C’est maintenant la question. En ce qui concerne le nucléaire, qui dispose de son propre chapitre de développement (contrairement aux énergies renouvelables intégrées sous le titre plus large « Production d’énergie décarbonée hors nucléaire », pouvant donc théoriquement intégrer également les énergies fossiles équipées d’hypothétiques systèmes de captage et stockage du CO2) c’est visiblement déjà acquis…

Les 22 chantiers du plan « France nation verte »

  • Consommation plus durable (ménages)
  • Numérique responsable
  • Achats durables (de l’Etat, des collectivités et des entreprises)
  • Alimentation
  • Agriculture et pêche
  • Nucléaire
  • Tertiaire (incluant les bâtiments publics de l4eat et des collectivités; hors logement)
  • Production d’électricité décarbonée (hors nucléaire)
  • Production d’énergie décarbonée (hors électricité)
  • Prévention, gestion et valorisation des déchets
  • Transport de marchandises, logistique et e-commerce
  • Verdissement de la production et des instruments financiers
  • Décarbonation de l’industrie
  • Construction et rénovation des logements
  • Aménagements des villes
  • Mobilité longue distance (avion, train)
  • Mobilité courte distance (hors distance)
  • Voitures et infrastructures routières
  • Eau
  • Sols
  • Océans et mer
  • Forêt

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