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Laure Nouahlat : « Les éco-anxieux sont en très bonne santé »

Éco-anxiété, burn-out écologique, solastalgie… La liste des maux qui touchent les écologistes est longue. Comment rester écolo sans devenir dépressif ? Entretien avec Laure Nouahlat, auteure de l’ouvrage du même nom, qui nous raconte son expérience et nous livre ses conseils.

Le 06/07/2020 par Sofia Colla
Laure Nouahlat, auteure de "Comment rester écolo sans devenir dépressif ?". (Crédit : DR)
Laure Nouahlat, auteure de "Comment rester écolo sans devenir dépressif ?". (Crédit : DR)

Effondrement, disparition des espèces sauvages, hausse des températures, pollution de l’air… Comment garder la pêche lorsque les mauvaises nouvelles pour l’Homme et la planète s’accumulent ? Cyril Dion, Claire Nouvian, Isabelle Autissier, Nicolas Hulot ou encore Delphine Batho : nombreux sont les écologistes, connus ou non, qui ont traversé des périodes d’anxiété, de tristesse, voire de dépression. 

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Laure Nouahlat, qui a été journaliste environnementale pendant une quinzaine d’années au journal Libération et qui a co-réalisé le documentaire Après-Demain avec Cyril Dion, en fait partie. Son ouvrage Comment rester écolo sans devenir dépressif ?  (ed. Tana Editions) est paru en mai dernier après dix ans de travail. Entretien. 
 

  • We Demain : La première partie de votre livre s’intitule « Tomber en écologie ». Qu’est-ce que cela veut dire ? Comment « tombe-t-on » en écologie ? 

 
Laure Nouahlat : C’est tomber dans un monde qui est, en gros, le royaume de la mauvaise nouvelle. Je l’ai vécu en partie dans le cadre de mon travail, en tant que journaliste environnement de 2000 à 2015 à Libération. Pendant ces 15 années, je n’ai fait que relayer ce qui n’allait pas : la pression humaine sur les écosystèmes, l’épuisement des ressources…
 
Alors, on rentre dans le fameux cycle du deuil, dont j’utilise les différentes étapes pour faire une analogie avec l’écologie : sidération, déni, marchandage avec soi-même, les fameuses émotions basses comme la colère, la peur, l’impuissance, une énorme tristesse… Forcément, on finit par craquer et déprimer. 
 

  • La pandémie de coronavirus et la période de confinement ont-elles été pour vous une sidération supplémentaire ou un événement plutôt bénéfique ?

 
Pour moi, ça n’a pas été une sidération. On a juste arrêté l’économie mondiale. C’est ce qu’il fallait faire depuis toujours. En revanche, je pense que nous avons vécu une forme de sidération collective. Certains se sont dit « tiens, un mini-virus peut faire basculer nos sociétés » et se sont se rendus compte que les services de santé n’étaient pas prêts. 
 
Cette période a aussi eu un effet galvanisant pour certains qui étaient déjà engagés dans la transition, et qui se sont rendus compte qu’il n’y avait plus de temps à perdre. Beaucoup de personnes se posent la question de quoi faire maintenant. 
 

  • Durant cette période, on a beaucoup évoqué « le monde d’Après ». Mais, finalement, la vie d’avant a l’air d’avoir repris son cours… 

 
Qui aurait pu croire qu’on allait quitter un monde le 16 mars 2020 et trouver un autre monde le 11 mai 2020 ? Le monde d’Après, il va falloir poser des jalons pour essayer de le construire. Les antagonismes ont repris presque immédiatement avec la fin du confinement. Regardez les réactions aux propositions de la Convention citoyenne pour le climat !
   

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Le monde d’avant est encore là parce que les gens du monde d’avant le sont toujours. Les personnes résistantes à l’écologie vont tout faire pour obstruer le changement. 
 

  • Finalement, est-ce que ce ne sont pas ces gens-là qui sont « chanceux » ? Qui vivent une vie joyeuse sans se soucier de la possible chute de nos civilisations, celle que prévoient les collapsologues ?

 
C’est vrai que moi je les envie un peu. Je leur en ai voulu pendant longtemps, ce n’est plus le cas aujourd’hui. Ils n’ont pas les infos, pas le courage… Finalement, les éco-anxieux sont des gens en très bonne santé. Après tout, ne pas aller bien dans ce monde là, c’est complètement normal. C’est aller bien dans ce monde qui ne va pas !
 
Depuis le film Demain, le livre de Pablo Servigne Comment tout peut s’effondrer, l’émergence de Greta Thunberg dans l’espace médiatique, la démission de Nicolas  Hulot, les émissions quotidiennes qui parlent d’environnement à la télé ou à la radio… les gens ne peuvent plus vraiment passer en dehors des nouvelles environnementales. Il y a quelque chose qui change. 
 

  • Alors, quels sont vos conseils pour toutes ces personnes, tous ces écolos en devenir, qui vont potentiellement connaître l’éco-anxiété, voire, comme vous, faire une dépression en « tombant en écologie » ? 

 
Certains vont passer outre et se mettre directement en action. La dépression n’est pas une étape obligatoire. Faire l’expérience de cette « chute » a aussi de bons côtés, parce qu’après on peut arrêter de se mentir et aligner sa vie et ses actions avec ses valeurs. 
 
Pour ma part je suis revenue à l’essentiel, j’ai ralenti… En se mettant à l’arrêt, vous vous rendez compte qu’il y a un autre rythme à déployer, celui de l’instant présent. Je suis ici maintenant, je ne suis pas en projection de « qu’est-ce que je vais faire ce soir », demain ou, encore pire, en 2050, quand les températures globales auront augmenté de 7 degrés Celsius.
 

C’est important de se rassembler, surtout de ne pas rester seul, de parler, de continuer à rire.

 
Il y a aussi la question de l’écologie intérieur, c’est-à-dire faire une transition par rapport à ses attentes personnelles, à ses deuils. Qu’est-ce que je n’aurais jamais ? A quoi dois-je renoncer ? Les deux questions primordiales à se poser sont « qui je veux être ? » et « qu’est-ce que je peux faire dans le temps qu’il me reste ? ». Nous ne sommes pas tous des Cyril Dion ou leaders de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, et heureusement. On est tous à notre place, et si on est très conscient de ce qu’il se passe, il faut vite se mettre en route pour agir à tous les niveaux. 
  

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  • Justement, pensez-vous qu’il est encore temps d’agir ? 

  
Il est toujours temps d’agir ! Certes, l’un des deuils que l’on doit faire, c’est celui de penser qu’on va pouvoir inverser la machine. Il faut s’organiser pour la suite, pour le monde d’après l’Après. 
 
Je ne dis pas que l’espèce humaine va totalement disparaître. Je n’en sais rien. Mais les sociétés humaines complexes telles que les nôtres sont coincées. On est mal barré.
 
Mais, il y a un quelque chose qui est peut-être en train de progresser dans le bon sens : la capacité de l’Homme à entrer en résilience, à faire groupe, à agir. 
 
Il est trop tard pour sauver les conditions de vie sur Terre. En revanche, on peut se placer dans un imaginaire politique et collectif futur. C’est comme une histoire d’amour finalement, on ne sait jamais si ça va marcher jusqu’au bout, mais il faut faire des efforts, se laisser porter, sans réfléchir tous les jours au fait que cela pourrait se terminer.

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