Partager la publication "Jared Diamond : « Je reste un optimiste prudent »"
Retrouvez cet entretien en intégralité dans WE DEMAIN n°29. Un numéro toujours disponible sur notre boutique en ligne
Avec son best-seller Collapse, le géographe et historien de l’environnement Jared Diamond a acquis une réputation internationale et lancé un avertissement à l’humanité. Traduit dans le monde entier (Effondrement. Comment les sociétés décident de leur disparition ou de leur survie, Gallimard, 2006), ce livre rappelle l’importance du désastre écologique dans l’effondrement des civilisations, étudiant dans le détail celui des Mayas, des Vikings, de l’île de Pâques et des sociétés indiennes américaines.
Exit les analyses classiques attribuant l’écroulement rapide de ces sociétés à des catastrophes naturelles ou militaires exceptionnelles : Diamond décrit un processus d’autodestruction à la fois politique, religieux, fratricide, social, diplomatique et enfin écologique. Il en dégage une grille d’analyse des effondrements de civilisation qu’il applique à notre époque. Et nous prévient : une civilisation ne survit qu’en ménageant son environnement.
Depuis, Diamond a été très discuté, certaines de ses analyses ont été contestées – jugées trop pessimistes, trop focalisées sur la croissance démographique, au détriment du politique et du social –, mais sa thèse centrale sur le rôle majeur de la dégradation de l’environnement résiste. Et inquiète. Pour beaucoup, il est considéré comme l’inspirateur des “collapsologues” qui se focalisent sur les processus écologiques en cours capables de détruire nos sociétés.
Dans son dernier ouvrage, Upheaval (“bouleversement”), paru en 2019 chez Penguin Books (non traduit), l’auteur prend à contre-pied les collapsologues en s’intéressant à la résilience des sociétés menacées. Il y étudie comment les individus surmontent des crises et des traumas graves, et en dégage des règles de reconstruction. Puis il compare cette situation à six cas de nations s’étant relevées après avoir affronté des difficultés de toutes sortes : le Japon du XIXe siècle, la Finlande après l’invasion soviétique de 1939, l’Indonésie après les massacres de 1965 voulus par le général Soeharto, le Chili meurtri et isolé par la dictature de Pinochet, la réinvention de l’Allemagne et de l’Australie après la seconde guerre mondiale.
Tout au long de l’ouvrage, il s’interroge : sommes-nous capables, en pleine crise environnementale globale, d’apprendre des sursauts des nations qui se sont redressées dans le passé ? Entretien.
- WE DEMAIN : Comment résumer l’approche de votre dernier livre, “Upheaval” ?
Jared Diamond : C’est une approche comparative de la compréhension de l’histoire. La plupart des livres historiques donnent un aperçu d’un seul pays sur une seule période : la France à la fin du xixe siècle, l’Allemagne moderne… Mes essais, eux, sont basés sur des comparaisons entre différentes sociétés : dans De l’inégalité parmi les sociétés [Gallimard, 2000], je montre comment les sociétés occidentales, nées dans le Croissant fertile méditerranéen, doivent leur succès commercial, leur richesse et leur puissance à la présence de plantes, de mammifères domesticables et d’une mer navigable reliant tous les pays.
Dans Effondrement, j’étudie comment les sociétés n’ont pas su traiter les problèmes environnementaux qui les ruinaient. L’approche comparative permet des questionnements et des aperçus qui ne découleraient jamais d’une seule étude de cas. D’où la boutade des spécialistes de l’histoire : “Les historiens qui étudient un seul pays après l’autre finissent par n’en comprendre aucun !”
Mon nouveau livre, Upheaval, compare six pays que je connais bien, dans lesquels j’ai vécu, dont je parle la langue, et qui ont fait face à des crises politiques graves.
- Quelle est justement votre définition d’une “crise”? Et pourquoi comparez-vous les crises politiques aux crises individuelles ?
Par crise politique, j’entends une situation dans laquelle une nation se rend compte que ses capacités d’adaptation traditionnelles ne sont plus suffisantes pour résoudre ses problèmes essentiels et doivent être profondément modifiées.
Bien sûr, beaucoup de livres ont été écrits sur les crises politiques nationales, mais je propose une nouvelle démarche pour les aborder. Je les examine à la lumière des crises personnelles que nous connaissons tous en tant qu’individus, et que je connais bien, notamment grâce aux travaux de ma femme qui est psychologue clinicienne.
Nous traversons tous des crises personnelles majeures qui nous font reconnaître que nos capacités habituelles d’adaptation ne suffisent plus pour faire face et doivent être changées. Par exemple, celles qui résultent de la rupture d’un mariage, de la mort d’un être proche, d’un grave problème de santé, d’un échec de carrière ou d’un effondrement de sa sécurité financière.
De tels drames personnels sont la spécialité de certains « thérapeutes de crise » qui doivent trouver la bonne manière d’aider rapidement leur patient, parce qu’il existe un risque de dépression ou même de suicide. Ils proposent des traitements d’environ six semaines, afin d’aider la personne à développer au plus vite une nouvelle façon de traiter le problème qui a provoqué la crise. Or j’ai constaté que les indicateurs classiques de bon résultat des thérapies de crise suggèrent des indicateurs de résultat similaires concernant les crises politiques nationales. Ou encore qu’elles génèrent des indicateurs connexes, qui peuvent servir de métaphores ou de modèles pour aider à résoudre les crises nationales…
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