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Pablo Servigne et Vincent Mignerot : portrait croisé de deux collapsologues

Dans l’ouvrage « Nos voies de résilience », la journaliste Flora Clodic-Tanguy part à la rencontre de personnalités engagées. En voici un extrait consacré à deux penseurs de l’effondrement : Pablo Servigne et Vincent Mignerot.

Le 07/10/2021 par WeDemain
Le livre Flora Codic-Tanguy s'ouvre sur une rencontre avec deux penseurs de l'effondrement, Pablo Servigne et Vincent Mignerot.
Le livre Flora Codic-Tanguy s'ouvre sur une rencontre avec deux penseurs de l'effondrement, Pablo Servigne et Vincent Mignerot. (Crédit : Shutterstock)
Le livre Flora Codic-Tanguy s'ouvre sur une rencontre avec deux penseurs de l'effondrement, Pablo Servigne et Vincent Mignerot. (Crédit : Shutterstock)

En 2015, l’année des attentats de Charlie Hebdo et de la COP 21, Flora Clodic-Tanguy, journaliste à Paris, traverse une crise existentielle. Face aux défis écologiques, aux instabilités politiques, aux troubles de notre époque, elle s’interroge. Quel sens donner à sa vie ? Comment s’épanouir dans un monde qui s’effondre ? Et comment trouver le courage d’agir ?

Ces questionnements la poussent à transformer son existence, mais aussi à enquêter : elle part à la rencontre de personnalités qui s’engagent pour créer le monde de demain. De la réalisatrice Flore Vasseur, en passant par la naturopathe Odile Chabrillac ou encore le danseur Bolewa Sabourin, elle dresse leurs portraits
, réunis dans l’ouvrage Nos voies de résilience : traverser les effondrements (Éditions Massot, septembre 2021).

En voici un extrait, issu du portrait croisé de Pablo Servigne et Vincent Mignerot. Deux penseurs de l’effondrement « que la collapso-sphère a tendance à opposer, et pourtant complémentaires », selon l’auteure. Deux personnalités « qui déchaînent les passions », et qui « s’éclairent d’un jour nouveau quand on les regarde ensemble, et non séparément ».

« Pablo Servigne et Vincent Mignerot naissent la même année, à la fin des années soixante-dix, la décennie du rapport Meadows, des deux premiers chocs pétroliers, du développement des mouvements écologistes et de la théorisation de la permaculture. Partout dans le monde, y compris dans les sphères de pouvoir, on sait déjà que notre modèle de croissance infinie ne peut pas continuer de fonctionner avec des ressources finies, et que nous courons à notre perte, entraînant avec nous le vivant et, en particulier, le sauvage. Ces questions existentielles, Vincent se les pose sans doute depuis qu’il a la capacité de le faire.

Vincent Mignerot

Plutôt solitaire, grand lecteur, il n’est pas pour autant très scolaire. Il préfère s’entortiller les neurones autour de sa grande quête : comprendre ce qui fait de l’humain un humain. Pour limiter les désillusions, qu’il redoute de longue date, il fait la liste de tout ce qui peut les occasionner. À la fin de son adolescence, il en fait un livre : Essai sur la raison de tout, et le fil rouge de sa « théorie écologique de l’esprit ».

À vingt ans, le Lyonnais comprend qu’il est synesthète : son cerveau associe spontanément plusieurs perceptions sensorielles. « Mes pensées se génèrent sous forme de couleurs et de formes, qui se meuvent dans l’espace, en 3D. » Si on en doutait, on en est sûrs désormais : il se passe beaucoup de choses dans le cerveau de Vincent !

Il tente des études de psychologie, mais s’arrête en maîtrise. D’autres choses lui paraissent plus urgentes. Il lit et écrit toujours beaucoup, creuse sans relâche sa marotte existentielle. « Ce qui nous distingue des autres espèces vivantes, c’est que nous ne nous contentons pas d’exercer une emprise sur notre milieu. Non, nous, humains, cherchons à en tirer un bénéfice, un profit. »

Pour gagner sa vie à côté de ses recherches, cet amateur d’escalade dirige une agence de travaux sur corde. Mais son besoin d’agir et d’informer grandit. En 2014, il fonde l’association Adrastia, qui se donne pour objectif « d’anticiper et préparer le déclin de la civilisation thermo-industrielle de façon honnête, responsable et digne ».

Pablo Servigne

Retour dans les années quatre-vingt. Pablo grandit dans trois écosystèmes très différents avec son frère et ses parents ingénieurs : quelques années près de Cherbourg ; en Colombie, d’où est originaire sa mère, et la plupart du temps à Saint-Germain-en-Laye, une ville de banlieue bourgeoise où j’ai moi-même grandi.

Curieux, à l’affût de tout, il se passionne pour les sciences. À quatorze ans, un bus lui roule dessus. « Je suis mort sur le bitume et j’ai commencé une deuxième vie, conscient de ma grande vulnérabilité et de la réalité de la mort. » Ci-gît l’innocence de Pablo.

Un événement clé, à mon sens, pour comprendre son travail et la facilité parfois déconcertante avec laquelle il évoque notre finitude. Il se lance dans des études d’ingénieur agronome et devient myrmécologue, chercheur spécialiste des fourmis. Il part en Belgique pour y passer son doctorat de biologie. En 2008, il quitte le monde universitaire pour explorer le mouvement de la transition de Rob Hopkins, les pratiques agroécologiques, la permaculture… Il rencontre Gauthier Chapelle, passionné de biomimétisme, et travaille pour Barricade, une association liégeoise d’éducation populaire.

Il s’intéresse de plus en plus aux effondrements, écosystémiques, sociétaux, économiques… En 2012, sa rencontre avec Raphaël Stevens précipite tout. « Ça a décuplé notre puissance de travail. On est devenus des geeks du collapse. » Après presque vingt ans de vie en Belgique, en 2014, Pablo s’installe avec sa femme dans un éco-hameau d’Ardèche, le Hameau des Buis, un peu après la naissance de son deuxième fils…

Comment tout peut s’effondrer

C’est à ce moment que Pablo Servigne et Raphaël Stevens jettent leur pavé dans la mare. Comment tout peut s’effondrer scanne mille cinq cents articles et deux cents livres consacrés aux catastrophes en cours et à l’étude des points de bascule : épuisement des ressources, changement climatique, disparition de la biodiversité, fragilité de notre économie mondialisée… Le mot « collapse » existe déjà depuis le livre de Jared Diamond mais Pablo et son coauteur inventent un mot, la collapsologie, pour désigner « l’étude transdisciplinaire et systémique des effondrements de la civilisation thermo-industrielle ».

L’effondrement, ce « mot-obus » qui marque les esprits, explose dans les têtes et les coeurs en myriade d’éclats. Pablo et Vincent sont plutôt alignés sur le constat : même si nous ne sommes pas à l’abri d’imprévus indésirables, l’effondrement ne sera pas brutal. Il sera pluriel, multiple, protéiforme et il a même probablement déjà commencé, comme le montrent sans cesse les études sur les changements climatiques, la sixième extinction en cours et la dégradation de nombreux milieux naturels. Ces effondrements menacent aussi nos sociétés, notre modèle de civilisation, les modes de vie et les constructions mentales qui l’accompagnent. Ils déstabilisent d’ores et déjà de nombreux pays qui subissent les conséquences de notre développement insatiable….

Retrouvez la suite de ce portrait croisé dans Nos voies de résilience : traverser les effondrements, de Flora Codic-Tanguy, Éditions Massot, septembre 2021.

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