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« Le monde d’après Covid sera plus fracturé entre le Nord et le Sud »

Invité du Forum mondial Normandie pour la Paix, Pascal Lamy pointe les risques de tensions liés à l’accroissement des inégalités dans le monde d’après Covid. Interview.

Le 05/10/2021 par Gérard Leclerc
Pascal Lamy appelle à un "polylatéralisme" pour apaiser les tensions du monde d'après Covid.
Pascal Lamy appelle à un "polylatéralisme" pour apaiser les tensions du monde d'après Covid. (Crédit Wikimedia)
Pascal Lamy appelle à un "polylatéralisme" pour apaiser les tensions du monde d'après Covid. (Crédit Wikimedia)

“Pourquoi la paix nous échappe-t-elle ?”  Dans un monde où se multiplient les conflits, de toutes origines, c’est à cette question que s’est efforcé de répondre le Forum mondial Normandie pour la paix qui s’est tenu les 30 septembre et 1er octobre 2021 à Caen. Un événement dont WE DEMAIN était partenaire. Trois des principaux intervenants apportent leur éclairage. 

Pascal Lamy est président du Forum de Paris sur la paix, et ancien directeur général de l’OMC (Organisation mondiale du commerce). Il met en garde contre les risques de tensions liés à l’accroissement des inégalités dans le monde d’après Covid.

Retrouvez aussi les interview de Jean-Louis Gergorin et Bertrand Badie.

Vous annoncez un monde d’après Covid plus dur, plus complexe et plus fracturé entre le Nord et le Sud…

Je constate que la fracture vaccinale est énorme, le Nord ayant vacciné dix fois plus ses populations que le Sud. Et la situation ne va pas s’améliorer rapidement. Or on ne peut s’en sortir collectivement que par la vaccination. Il faut ajouter les moyens financiers colossaux déversés dans les pays développés pour soutenir leurs économies et dont ne bénéficient pas les pays en voie de développement. Les conséquences économiques de cette double fracture peuvent être catastrophiques dans le monde d’après Covid. Je ne prends qu’un exemple : le tourisme. Il représente 10 % de l’économie mondiale. Or les pays du Sud ne peuvent pas remplacer les touristes étrangers par des locaux.

De lourdes conséquences économiques donc, mais aussi politiques, dites-vous…

Cette fracture va laisser des traces : on ne peut pas demander aux pays du Sud de faire preuve de solidarité sur l’environnement ou la biodiversité quand nous n’en faisons pas dans la crise sanitaire. Je crains fort qu’il y ait des conséquences négatives dans les années d’après Covid sur les coopérations internationales alors que nous avons besoin de les accélérer face au réchauffement climatique. Au-delà de l’horreur morale de l’apartheid vaccinale, il y a les risques d’une catastrophe économique et écologique.

Comment expliquer ce qui ressemble à de l’égoïsme à courte vue des pays occidentaux face au reste du monde ?

L’explication est simple : la politique est locale et les problèmes globaux ! Nous avons un déficit de gouvernance globale car les États nationaux sont constitués sur la base d’un sentiment d’appartenance, de solidarité, qui fait primer les intérêts de la communauté locale avant ceux de la communauté globale. C’est la formule que je déteste : « Je préfère mon frère à mon cousin et mon cousin à mon voisin ! ». Il n’y a pas d' »affectio societatis mondiale » comme il y a une « affectio societatis » française, allemande et américaine !

Alors que faire pour apaiser ce monde d’après Covid ?

Il existe la voie classique du multilatéralisme : mettre autour de la table les États souverains et conclure des traités. On pourrait déjà améliorer le système avec le recrutement des dirigeants des instances internationales : certains ne sont pas au niveau !

Et puis on pourrait reprendre l’idée de base du Forum de Paris pour la paix lancé par Emmanuel Macron en 2018 : emprunter une autre voie, « polylatéraliste », qui consiste à impliquer dans les coopérations internationales d’autres acteurs qui connaissent les problèmes et ont l’habitude d’obtenir des résultats : les ONG (organisations intergouvernementales), les grandes entreprises, les villes, les grandes institutions… Par exemple nous travaillons depuis trois ans sur l’idée d’instaurer en Antarctique une zone marine protégée de quatre millions de kilomètres carrés, qui entre dans l’objectif 30/30 des Nations unies : protéger 30 % des zones marines en 2030.

On avance bien pour l’Antarctique : il n’y a plus que les Russes et les Chinois à convaincre qu’il faut le faire pour le bien de l’humanité. Le projet est dans les mains de Poutine et de Xi Jinping, dont les bateaux pêchent dans la zone.

C’est concret, ça a de l’impact. J’y crois parce que les ONG, les scientifiques, les dirigeants d’entreprises le veulent et peuvent se coaliser pour trouver des solutions.

Nous devons tester ces formules et les généraliser.

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