Partager la publication "Transition écologique : mettre le local en première ligne pour plus d’efficacité"
« Quand il y a une crise, on se tourne vers les territoires », déclarait Christophe Bouillon, président de l’Association des petites villes de France (APVF) et député PS de Seine- Maritime, sur le site Acteurs publics. Il mettait en avant leur agilité et leur capacité à se réorganiser. Quand il est question d’environnement et de transition écologique, tous les observateurs mettent l’accent sur ces qualités pour laisser agir les échelons locaux, plus souples et réactifs, en raison de leur proximité avec le terrain.
Dans un pays dont les politiques restent largement adeptes d’une centralisation poussée, comme l’a montré la gestion de la pandémie, très top-down, soit en français du sommet vers la base. Ce que l’on appelle la « verticalité » du pouvoir. Pourtant de plus en plus de voix se font entendre, qui veulent casser ce moule si français et dont chacun peut mesurer les limites. Et en particulier en raison de sa lourdeur et de son inertie.
En matière de transition écologique, les territoires ont leur carte à jouer
Jérôme Cohen est cofondateur d’Engage, qui a pour objectif de former entreprises, salariés à l’engagement citoyen et qui travaille avec le CDJ (Centre des jeunes dirigeants) de Rhône-Alpes sur un projet lié à la biodiversité. Il estime que le retour au local signifie retour à la simplicité : « Une des causes des problèmes que nous connaissons est que le système dans lequel nous vivons est d’une complexité folle qui fragilise la planète et freine l’arrivée de solutions. Les territoires, plus restreints, offrent des lieux d’expérimentation et d’un passage à une échelle plus réduite donc plus simple. »
Pour Jérôme Cohen, il existe un désir de participation de la part des citoyens qui passe par l’expérience d’un mode de décision plus simple, à l’échelle du territoire : « L’engagement territorial peut participer à la régénérescence du système. » Sébastien Giorgis, architecte, adjoint au maire d’Avignon, s’affirme comme plus girondin que jacobin et donc réticent vis-à-vis du fameux top-down. Souvent de Paris vers les régions. « L’avantage du local, c’est qu’il connaît le contexte et le terrain, quelle que soit la question. »
« Assez de jacobinisme ! La province aussi peut se montrer nvatrice. »
Muriel Pivard, association « Les 150 ».
Aménagement des villes : une stratégie spécifique pour chaque localité
L’aménagement des villes, par exemple, en vue de la transition écologique. Partout dans le monde, la grande tendance est à une végétalisation tous azimuts des centres urbains. Planter arbres et plantes pour rafraîchir les espaces et capter le CO2.
Là encore, plutôt que d’appliquer à la lettre un principe, il convient de mesurer l’intérêt réel et de s’adapter : « Beaucoup nous pressent de planter des arbres, ici à Avignon, dans des rues qui font 3,5 m de large. Or c’est une ville du Sud aux rues étroites, avec des immeubles aux murs épais et poreux. Ici les habitants gardent fenêtres et volets clos en été dans la journée, pour garder la fraîcheur. L’architecture traditionnelle est conçue pour résister à la chaleur. D’où l’importance de prendre en compte les cultures locales qui possèdent une expérience singulière. »
« Il n’y a pas que le CO2 dans la vie ! Il ne faut pas oublier la pollution de proximité »
Jean-Luc Fugit, député du Rhône, vice-président de l’OPECST (Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques).
Expérimenter de nouvelles façons de produire et de consommer
Le niveau local par sa plus grande simplicité, sa proximité et ses populations réduites offre un terrain favorable pour la mise en place de nouvelles façons de produire et de consommer. Isabelle Delannoy, ingénieur agronome et coscénariste de Home, film réalisé en 2009 par Yann Arthus-Bertrand, a imaginé le concept d’économie symbiotique. Un système largement basé sur l’économie circulaire et dont l’ambition est de réduire drastiquement la production d’objets nouveaux en utilisant et reconstruisant tout ce qui existe. Et dont l’efficience repose sur la présence, dans un territoire réduit de petites unités de production, industrielles ou agricoles et de consommateurs.
« Depuis le premier sommet sur le climat à Stockholm en 1972, on voit bien que les États ont du mal à agir. Ils signent des traités supposés contraignants mais ont le plus grand mal à les appliquer. Alors que le local offre un bon niveau d’action. D’ailleurs partout, ce sont les villes qui font bouger les choses avec des organisations telles que le C40 (qui regroupe les grandes villes du monde qui veulent avancer sur le climat et les objectifs des accords de Paris) ». Pour Isabelle Delannoy, le temps presse, et le niveau étatique s’avère trop lent dans la mise en place de politiques environnementales : « Pour faire changer la société ou son organisation, il faut vingt à trente ans à l’État alors qu’il n’en faut que cinq ou dix aux territoires. »
Le local, meilleure solution pour la transition écologique
Le local serait donc la seule solution pour faire face aux défis climatiques, environne- mentaux et sociaux ? Ronan Dantec, sénateur, membre du groupe Écologiste-Solidarité et Territoires, et vice-président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, le confirme mais avec des nuances, là encore : « Il est indéniable que le local reste le niveau central de l’action climatique et environnementale. Parce que proche de la vie quotidienne. Les émissions de CO2, l’usage de l’eau, ça concerne chacun. » Central mais pas unique.
Pour résoudre les problèmes de la transition écologique, tous les niveaux doivent interagir : « Regardez le Rhône : s’il était géré par une addition d’actions locales, ça ne marcherait pas aussi bien qu’avec une seule organisation, comme c’est le cas avec CNR. Il faut articuler tous les niveaux de décision, local, national et européen. » Agir au plus près du terrain en faveur de l’environnement et du social peut prendre d’autres chemins. Intégrer l’éducation à l’écologie dans les quartiers pour que l’écologie ne soit pas réservée à une supposée élite.
« Le vrai sujet, c’est comment (ré)concilier la richesse des initiatives locales avec les politiques publiques engagées au plan national et européen. »
Michel Derdevet, président de la Maison de l’Europe.
Partir du terrain pour donner vie à la transition écologique
Fatima Ouassak, du Front des mères, se bat pour cela en partant du terrain, comme elle le déclarait pour le site Reporterre : « A Bagnolet, l’échangeur autoroutier provoque une pollution infernale. La mairie a aussi annoncé qu’elle allait déplacer un collège public qui est aujourd’hui en centre-ville dans un beau bâtiment historique, face à un parc, pour le mettre dans un bâtiment collé à l’autoroute… Donc il faut partir de ce que vivent les gens.«
« Dans les quartiers, le problème principal est l’espace : les appartements trop petits, la nécessité d’espaces verts pour que les enfants puissent s’aérer et faire des promenades. C’est une autre manière de poser toutes les questions d’urgence écologique, du point de vue de gens qui vivent dans les tours et le béton et ne partent pas en week-end à la campagne. On n’est pas obligés d’arriver avec des gros sabots écologistes. »
Comptoir de campagne : une initiative proche de l’économie circulaire
Ou encore à travers certaines initiatives proches de l’économie circulaire. « Nous avons compris qu’en France, un village sur deux ne possède aucun commerce de proximité ou de services publics. » En partant de ce constat, il y a quelques années, Virginie Hils crée Comptoir de campagne en Auvergne-Rhône-Alpes. Des lieux qui proposent à la fois des biens de première nécessité et des antennes de la poste, de banques, des salles de rendez-vous etc. « Nous offrons des produits du terroir pour l’alimentation et des articles d’entretien, fabriqués à proximité. » Il existe dix de ces comptoirs dans la région.
Ce qui nécessite une logistique particulière : « Nous appelons ça : approvisionneur de circuit court. Nous répertorions tous les producteurs alentour qui puissent fournir régulièrement nos comptoirs en production bio ou agroécologique. » Après presque cinq ans d’existence, les comptoirs se sont installés avec succès. Ils font revivre des villages en donnant aux habitants un lieu où ils peuvent se retrouver, échanger, voire lancer des projets et renforcer encore la vie locale. Au point que Virginie Hils veut décliner le modèle sur toute la France. En l’améliorant : bâtiments écologiques, panneaux solaires, bornes pour voitures électriques. Elle croit en la décentralisation, au plus près du terrain des services publics, et surtout à la nécessité d’un partenariat public-privé pour assurer cette transition écologique. Avec une conviction : « L’État ne peut pas tout faire ! »
La solution : les territoires
Mieux « écouter » chaque territoire pour y proposer des solutions « sur mesure », adaptées à ses spécificités. C’est ce que fait l’Ademe. Y favoriser les expérimentations. Aujourd’hui, quand une expérience est menée, on en dresse le bilan pour voir si elle doit être étendue à l’ensemble du pays, de Dunkerque à Cayenne. Il faut sortir de cette logique pour favoriser celle du «pourquoi pas?» et tenter ponctuellement des solutions. Dans le domaine de l’urbanisme, acteurs de l’immobilier et élus doivent réfléchir à dix ans sur l’attractivité du territoire pour que ces réflexions soient intégrées aux plans d’urbanisme. Et éviter l’étalement urbain qui nuit autant à la qualité de vie des hommes qu’à celle du vivant.
Texte de François Marot.
Cet article a été publié dans le numéro 34 de WE DEMAIN. Il fait partie d’un dossier réalisé en partenariat avec la CNR, Compagnie Nationale du Rhône. Le numéro est toujours disponible à la vente en version papier ou en version numérique.
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