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Indonésie : bienvenue au Recycling Village

Que faire de ces matières délétères ? À Bukit Lawang, dans la province de Sumatra, en Indonésie, l’ONG Project Wings construit le Recycling Village avec des déchets plastiques. Dans ce pays parmi les plus touchés par cette pollution en perpétuelle expansion, le défi s’avère ardu… mais il a le mérite d’être relevé.

Le 06/03/2025 par Rémy Bourdillon
project wings écobriques
Grâce à l'ONG Project Wings, des écobriques de plastique permettent de réutiliser des déchets pour en faire des maisons en Indonésie. Crédit : Project Wings.
Grâce à l'ONG Project Wings, des écobriques de plastique permettent de réutiliser des déchets pour en faire des maisons en Indonésie. Crédit : Project Wings.

Sur un grand terrain un peu à l’écart de Bukit Lawang, au nord de l’île de Sumatra, une dizaine d’hommes manipulent des bambous atteignant 12 mètres de long, qui supportent un toit couvert de feuilles de palmier. Bientôt, cette impressionnante structure deviendra la “place du marché” de Recycling Village, ambitieux projet lancé en 2019 par l’ONG allemande Project Wings, et qui doit devenir le plus grand village en plastique du monde. “Les matières naturelles que nous utilisons sont simplement prélevées sur des plantes qui continuent à vivre”, explique David Heitmann, jeune ingénieur allemand impliqué depuis quatre ans dans ce projet.

À l’intérieur de la construction, en revanche, on trouvera bientôt de curieux matériaux pas du tout biologiques : des “écobriques”, c’est-à-dire des bouteilles d’eau en plastique de 1,5 litre remplies de déchets plastiques (surtout des sacs) qui, une fois suffisamment compactées, offrent la dureté d’une brique et pèsent environ 500 grammes.

Chaque écobrique nécessite une demi-heure de travail

Ecobrick Plastique
Des écobriques en plastique permettent de construire les murs d’une habitation. Crédit : Project Wings.

Ce sont des habitants de Bukit Lawang qui fabriquent ces écobriques chez eux et les vendent à Project Wings pour la modique somme de 5 500 roupies pièce, soit 0,33 €, un prix dérisoire sachant que chaque unité nécessite une bonne demi-heure de travail. Cela leur permet toutefois de générer un petit revenu grâce aux déchets qui s’accumulent chez eux. “Au début, la qualité n’était pas toujours au rendez-vous, se souvient David. Certaines contenaient de l’eau ou de la boue, d’autres étaient trop légères ou percées… Nous avons embauché une femme du village, qui nous livrait un produit toujours impeccable, pour qu’elle montre aux autres comment faire.”

Au total, six bâtiments accessibles à la communauté de Bukit Lawang ont été érigés. Le premier abrite les bureaux de Recycling Village et une salle de réunion, tandis qu’à côté se trouvent deux salles de classe où les écoliers du coin viennent suivre des cours d’anglais et de sensibilisation à l’environnement. Il y a également un terrain de sport couvert, un auditorium, un restaurant et un bloc sanitaire, en plus du futur marché. Le terme “village” n’est donc pas à prendre au premier degré, puisque personne n’habite sur place.

27,5 tonnes de plastique séquestrées à Recycling Village

Dans les villages indonésiens, il n’est pas rare de voir des constructions en écobriques, qui ne coûtent rien à produire. Cependant, ce matériau ne fait pas l’unanimité. “Ce n’est pas bien joli, et ça finit par être détérioré par le soleil puis par déverser des microplastiques”, estime Daru Setyorini, militante écologiste qui lutte contre la pollution plastique sur l’île voisine de Java. David Heitmann prend en compte toutes ces critiques : “Quand je suis arrivé ici, les premières constructions étaient en écobriques liées par du ciment. Les bouteilles étaient visibles et risquaient la dégradation. Ayant écrit un mémoire sur le sujet en école d’ingénieur, je me suis dit qu’il valait mieux travailler avec de l’argile.” À force de tests, il est parvenu à élaborer sa recette idéale : une sorte de torchis fait d’argile, de balles de riz (un déchet issu du décorticage de cette céréale) et de bouse de vache.

Ecobrick mur project Wings
Installation des Ecobricks pour construire un mur avant de les recouvrir de torchis. Crédit : Project Wings.

Les murs sont également recouverts d’argile, ce qui leur donne une belle couleur ocre et protège l’ensemble. Bien malin qui saurait deviner que du plastique se cache à l’intérieur. Autre avantage : il est facile de déconstruire l’édifice et de récupérer les écobriques. À part quelques fondations de ciment, tout le village pourrait même être démonté et déplacé si nécessaire ! Les 55 000 écobriques contenues dans Recycling Village (en plus d’une grosse réserve accumulée dans un garage, qui sera utilisée pour les murs du marché) permettent de séquestrer 27,5 tonnes de plastique, soit autant qui ne finira pas dans les rivières ou sous forme de CO2. Dans un pays comme l’Indonésie, où chaque petit commerce offre sacs et pailles de plastique à profusion et où la gestion des déchets est catastrophique, il est commun de brûler ces déchets ou de les jeter dans la nature, ce qui fait de l’archipel de 275 millions d’habitants le deuxième contributeur mondial à la pollution plastique des océans, après la Chine.

Project Wings
Une fois les murs en briques de plastique montés, ils sont recouvert de torchis puis éventuellement décoré avec des peintures. Crédit : Project Wings.

400 familles rémunérées pour la collecte des détritus

Partout à Bukit Lawang (entre 2 000 et 3 000 habitants), où un camion-poubelle ne passe qu’une fois par semaine, les détritus continuent de s’accumuler autour des maisons ou en pleine nature. Autrefois guide amenant les touristes admirer les orangs-outangs dans la jungle avoisinante, Hanzalah Rangkuti a décidé de passer à l’action en 2020, quand la Covid l’a mis au chômage. Avec le soutien financier de Project Wings (dont il est devenu partenaire), il a lancé Trash Bank sur un terrain appartenant à une compagnie d’huile de palme – Bukit Lawang est entouré d’immenses plantations qui s’étendent jusqu’aux limites du parc national Gunung Leuser. Trash Bank travaille avec 400 familles qui trient leurs plastiques et leurs matières organiques.

La collecte est réalisée à leur domicile grâce à un curieux véhicule, mélange de moto et de camion, fourni par le gouvernement provincial. Les restants de nourriture deviennent du compost utilisé dans le jardin botanique et la ferme biologique de Recycling Village. Le plastique, lui, est pesé ; chaque maisonnée reçoit une petite somme d’argent à la fin du mois, à raison de 1 000 roupies (0,06 €) par kilo. “On trie, on lave et on compresse le plastique, puis on le revend 3 000 roupies/kg à une usine de recyclage”, détaille Hanzalah. Sachant qu’il faut en plus payer le transport jusqu’à la grande ville de Medan, à quatre heures de route, Trash Bank couvre à peine ses frais. Derrière le bâtiment, où se trouve un grand tas de déchets alimenté par les résidents de Bukit Lawang, ses travailleurs fouillent pour trouver quelques plastiques qui ont de la valeur, comme les bouteilles.

Machine à presser plastique
Une machine à presser le plastique. Crédit : Project Wings.

Bukit Lawang : une bataille sans fin contre l’invasion plastique

“Chaque mois, 10 à 13 tonnes de poubelles arrivent ici. Or toute l’année dernière, nous n’avons réussi à produire que 32 tonnes de matière recyclée”, déplore Hanzalah, qui ne cesse de voir le tas d’immondices grossir. Ce qui se passe à Bukit Lawang, c’est donc une fable dans laquelle de valeureux guerriers luttent contre des vagues de pollution qui reviennent toujours plus fortes, faute d’action des autorités pour réglementer la surproduction de plastique – ou du moins pour imposer une taxe qui permettrait de financer la gestion des déchets.

“Le gouvernement devrait être le leader dans la lutte contre la pollution plastique, et compter sur l’aide d’organisations comme la nôtre, résume Khairuddin, chef de projets à Recycling Village. Mais en ce moment, les leaders, c’est nous !” Project Wings et ses partenaires sèment au moins une graine pour le futur, en démontrant qu’il est possible de s’attaquer sérieusement au problème des déchets… même dans les coins les plus reculés d’Indonésie.

Projet Wings Éducation Verte
Une école financée par Project Wings. Crédit : Project Wings.

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