Découvrir  > J’ai arrêté de me doucher pendant un mois… Et j’ai survécu !

Written by 6 h 08 min Découvrir • One Comment

J’ai arrêté de me doucher pendant un mois… Et j’ai survécu !

Intrigué par les dernières études sur les microbiotes, ces micro-organismes qui cohabitent en bonne intelligence sur notre épiderme, notre journaliste a voulu tenter une expérience : que se passe-t-il si on ne croise ni eau ni savon pendant un mois ?

Le 10/04/2020 par Guillaume d’Alessandro
(Crédit : Paul Khayat)
(Crédit : Paul Khayat)

Cet article a initialement été publié en 2018 dans We Demain n°17.

Cette fois, c’est décidé, j’arrête de me laver. Fini douche et savonnage quotidiens ! Malgré l’incrédulité de mon entourage, je suis bien déterminé à refuser l’injonction sociétale qui ordonne de se frotter tous les jours l’épiderme avec des détergents chimiques.

Le but n’est pas de se transformer en clochard. Je vais continuer à me laver fréquemment les mains qui sont le principal vecteur des maladies. Je porterai toujours des vêtements propres et je me frotterai régulièrement le corps avec une serviette sèche. Ma décision se fonde sur la découverte d’un écosystème extraordinaire qui enveloppe mon corps, comme celui de tous les humains : le microbiome.
 
Notre peau est recouverte par un film lipidique, une huile qui contient un mélange de bactéries, de champignons et de virus. À l’intérieur d’un corps humain, on dénombre environ 500 espèces de bactéries différentes pour un total de l’ordre de 100 000 milliards ! Par comparaison, l’organisme est composé d’environ 10 000 milliards de cellules. Il y a dans chaque corps 10 fois plus de bactéries que de cellules humaines.

Cette enveloppe vivante est constituée de micro-organismes appelés microbiotes. Ainsi, les bactéries ont une prédilection pour les zones humides (aisselles, plis de l’aine, narines ou paupières), tandis que les champignons apprécient particulièrement la plante des pieds. Lorsqu’on se savonne, on applique un détergent à base de graisse polymérisée avec de la soude caustique (le savon) qui détruit tout sur son passage. Les microbiotes vont alors se livrer une guerre sans merci pour recoloniser le territoire stérilisé.

Lorsqu’un déséquilibre se produit, lorsqu’une « mauvaise » bactérie prend le dessus, les mauvaises odeurs apparaissent. Mais quand la peau parvient à établir une cohabitation entre tous ses habitants, aucunes senteurs désagréables, démangeaisons ou infections ne se produisent. Nous retrouvons notre odeur naturelle et unique. Voila tout l’intérêt de ne plus se laver. Mais est-ce socialement acceptable ?

JOUR 3  : LA CHALEUR

Une désagréable impression d’humidité m’envahit. Je constate la nécessité de bien ajuster son habillement à la température extérieure. Là, je suis trop couvert. J’ai l’impression que des rigoles de sueurs glissent sur mon dos. Je ressens aussi des odeurs gênantes. Visiblement, l’équilibre de mon microbiome n’est pas encore au point.

Les mauvaises bactéries ont pris provisoirement le dessus et je porte sur moi tous les effluves odorants d’une salle de sport après l’effort. Cela réveille un souvenir cuisant de mes années d’étudiant. Car j’ai déjà été victime d’une réelle discrimination pendant plusieurs mois, à cause de mon odeur.
 
En ce temps-là, vers la fin du XXe siècle, je fabriquais une tonne d’Opium par mois. L’usine appartenait au géant industriel suisse Givaudan qui utilisait son site -d’Argenteuil, dans le Val-d’Oise, pour produire les plus grands parfums de haute couture français sous forme de concentré. Nina Ricci, Guerlain, Saint Laurent (et son fameux Opium), et tant d’autres grandes marques récupéraient alors le jus pour le diluer dans l’alcool et le conditionner. L’air était suffocant de senteurs mais nous n’y prêtions guère attention.

Pourtant, ce qui était pour moi un job d’été a radicalement changé ma vie ! Dès la porte de l’usine franchie, le monde extérieur me renvoyait aussitôt au statut de sous-homme. Les parfums ne sont solubles que dans l’alcool. J’avais beau me frotter vigoureusement sous la douche, faire plusieurs shampoings par jour, une odeur épouvantable ne me quittait plus. Mélange de mille fleurs, patchoulis écœurants, musc mêlé de sirop de fraise, les senteurs que mon corps exhalait me rendaient asocial.

Les gens s’écartaient dans le bus, me montraient du doigt dans les commerces, chuchotaient dans mon dos. Tous manifestaient la plus totale réprobation dans mon sillage puissamment odorant. J’étais devenu un terroriste olfactif, à inscrire dans la plus misérable engeance humaine : celle des puants.
 
Il me fallut presque quatre mois pour que les odeurs s’estompent. Je pensais à mes collègues d’usine, les célibataires condamnés à le rester (qui passerait une soirée avec un individu qui sent la cocotte à trois mètres ?) ; ou les familles dont les enfants étaient moqués à l’école parce que la terrible odeur qui imprègne les vêtements de papa a migré sur les leurs.

Cela fait maintenant trente ans que j’ai abandonné tout parfum. Je me rase à sec, ne supportant pas l’odeur des mousses et des after-shave. Le shampoing a disparu de mon existence depuis deux décennies lorsque j’ai opté pour la célèbre coupe de cheveux dites de la boule à zéro. Je me suis mis à fabriquer mon propre savon et c’est en versant une pincée de soude caustique dans l’huile d’olive bouillante que je me suis vraiment posé la question. Pourquoi faut-il se doucher tous les jours en utilisant un détergent plus ou moins puissant ? Nos ancêtres étaient-ils un ramassis d’êtres puants et crasseux, eux pour qui l’eau pure était rare et précieuse et le savon, un luxe ?
 
Annick Le Guérer, historienne du parfum, le souligne : « Nous sommes devenus intolérants aux odeurs des autres. C’est une phobie sociale qui prend toute son ampleur à la fin de la Seconde Guerre mondiale. La généralisation des salles de bains et l’apparition du déodorant se sont traduites par une obsession de l’hygiène et de la désodorisation des corps. »

L’historienne mentionne une publicité pour un déodorant des années 1950 qui montrait une femme levant le bras. Le slogan était : « À vue de nez, il est 17heures » ! « C’est une demande sociale qui est orchestrée par l’industrie, poursuit Annick Le Guérer. Aujourd’hui les parfums sont partout : dans les lessives, dans les produits ménagers, dans les habitations.

Des odeurs qui étaient banales et acceptées jusque dans les années 1980 sont désormais intolérables. On ne supporte plus de sentir les odeurs de cuisine, par exemple : visiter un ami et s’apercevoir qu’il vient de faire frire du poisson apparaît d’une grossièreté totale ».

JOUR 8  : L’EPREUVE DE LA BIBLIOTHEQUE

David n’a apparemment rien remarqué pendant deux heures d’embouteillage alors que nous sommes enfermés dans sa camionnette surchauffée. Le vendeur de meubles, un homme perspicace, ne paraît pas gêné pendant la transaction. Sont-ils horrifiés au point de ne pouvoir piper mots, ou sont-ils anosmiques (incapables de percevoir les odeurs) ?

De retour à la maison, je monte la bibliothèque en bois massif que je viens d’acheter. Au bout d’une heure, je suis en sueur. La possibilité d’une douche s’immisce dans mes convictions. Bientôt l’appel de l’eau et du savon devient irrépressible. Je file furtivement dans la salle de bains. Je me déshabille…

Et là, je prends une décision qui montre toute l’absolue détermination de ma volonté. Je me frotte longuement avec une serviette, puis j’enfile des vêtements propres. J’ai résisté à la tentation. Je commence sérieusement à tourner le dos à ma période de savonnage aquaphile. Je rejoins sans le savoir les pratiques d’hygiène du Roi-Soleil et de l’empereur Napoléon.

« En 1348, rappelle Annick Le Guérer, la grande peste a tué le quart de la population européenne. Les médecins accusent les bains publics de propager les maladies. Selon eux, l’eau est néfaste et dangereuse. Elle ouvre les pores de la peau et facilite l’entrée des mauvaises humeurs dans l’organisme. Il faut donc la proscrire absolument. »

Les bains publics, les thermes sont fermés. De plus, la promiscuité des corps nus est une incitation à la débauche, selon les religieux. Mais ce n’est pas la fin de la toilette. Les parfums, les vinaigres aromatiques et les onguents remplacent le savon. À la cour de Louis XIV, on considère que les couleurs ont des vertus hygiéniques. La chemise du roi est toujours blanche. Elle est changée plusieurs fois par jour, et même la nuit, à la moindre souillure.

L’obsession de l’hygiène est très forte mais elle prend une forme vraiment surprenante à nos yeux. Les nobles s’enduisaient « d’huile de chien parfumée ». En voici la recette de 1762 : prendre » des petits chiens récemment nés ; on les coupe en morceaux ; on les met dans une bassine avec l’huile et le vin blanc ; on les fait cuire à petit feu jusqu’à ce qu’ils soient frits, en ayant soin d’agiter le mélange avec une spatule de bois, afin que les petits chiens ne s’attachent pas au fond. L’huile obtenue, après expression, est versée sur des plantes aromatiques. » C’est excellent contre les rhumatismes, paraît-il. L’hygiène, alors, ne se réduit pas à la toilette de la peau.

Elle concerne aussi la toilette interne : « Il faut purifier le corps. C’est une obsession du XVIIIe siècle. On boit les parfums. Les médecins prescrivent des purges et surtout des saignées au risque de mettre en péril le bien portant. Le bain, cependant, fait sa réapparition à la fin du siècle », précise Annick Le Guérer.

JOUR 15  : L’INSPECTION

J’ai prévu de prolonger mon expérience sur un mois. Devant la librairie, place de Clichy, j’ai un temps d’angoisse. Vais-je revivre les regards narquois ou les moues de dégoût que j’avais subis au sortir de l’usine de parfum ? Je rentre, je choisis, je paye, je ressors. L’indifférence des clients et du libraire m’a rendu nerveux. N’ont-ils vraiment rien senti ? Le monde s’est-il ligué contre moi pour accabler de silence ma toilette anticonformiste ? Me voici à mi-parcours de l’expérience. Il est temps d’inspecter la partie médiane de mon organisme.

N’ayant pas la souplesse nécessaire pour faire des constatations visuelles, j’examine la porte de sortie de mon intestin grêle avec mon seul flair. Aucune odeur suspecte ne vient entraver cette inquisition. Je vérifie avec un miroir la zone investiguée. Tout est normal. J’examine ensuite une autre extrémité. Le vecteur de mon patrimoine génétique possède deux formes universelles : celle « du casque allemand » et celle « du col roulé ».

J’appartiens à la deuxième catégorie, qui facilite évidemment les macérations. Je m’attends à recevoir le choc violent du souffle de l’haleine d’un chacal alcoolique qui aurait des problèmes gastriques. Mais là encore, tout est net, sain, immaculé. En un mot : admirable !
 
En découvrant l’activité des bactéries en 1859, Pasteur a diabolisé le rôle des micro-organismes. Le grand savant démontre surtout leur rôle comme agents pathogènes. Un monde effroyable voit le jour, où les germes mènent une attaque continuelle et sans merci contre les organismes vivants. Et cela est passé dans le sens commun. On parle de « cordon sanitaire » pour dresser un barrage, traiter quelqu’un de microbe ou de parasite est insultant.

La guerre aux bactéries prend alors un essor considérable jusqu’à nos jours. Pourtant, le microbiome, ce cocktail de bactéries, de virus et de champignons, est à l’aube d’une véritable révolution de la microbiologie. Pour analyser la flore cutanée, les scientifiques ne se contentent plus d’isoler une ou deux espèces bactériennes sur la peau, ils examinent tous les génomes bactériens présents. Une même richesse et une même diversité bactérienne se retrouvent sur toutes les muqueuses et le tube digestif.

Ces bactéries ne sont pas de simples résidentes. Elles ont un rôle actif et participent à la bonne santé de la peau. Elles fabriquent des peptides antimicrobiens, véritables antibiotiques naturels qui combattent les bactéries pathogènes et les tiennent à l’écart. Cette fonction de barrière anti-infectieuse est très importante. En effet, les bactéries pathogènes (les staphylocoques dorés surtout) sont source d’infections, et aussi d’inflammations, alors que d’autres comme les staphylocoques blancs sont naturellement protecteurs.

JOUR 20  : L’AMOUR

Là, je suis vraiment nerveux. Mes relations affectives sont en péril mais je ne peux plus ni reculer, ni retarder encore le rendez-vous. Bien sûr, je ne l’ai pas prévenue. Je suis cependant inquiet que mes nouvelles règles d’hygiène ne soient immédiatement découvertes. Au premier abord, le contact est aussi agréable qu’attendu. Mais aura-t-elle l’impression d’étreindre un munster bien fait ? Va-t-elle joyeusement embrasser un camembert hors d’âge ? Osera-t-elle se rouler dans un vieux maroilles ?

Quelques heures plus tard, alors qu’elle se glisse sous la douche et que je m’enroule de serviettes, je suis tout à fait stupéfait. Elle n’a apparemment rien remarqué d’inhabituel. Aucune gêne, aucun soupçon, aucune remarque n’est venue perturber notre échange. Soit elle ment par omission, et elle accepte humblement son calvaire. Soit elle ne s’est réellement aperçue de rien. Après quelques questions perfides et détournées, j’opte pour la seconde hypothèse. À l’évidence, l’écosystème de bactéries que j’accueille se porte à merveille. Et mon épiderme reste fréquentable.

JOUR 25  : LE REPAS DE FAMILLE

Mes nièces escaladent mes genoux, mon neveu joue avec mon foulard. Autour de la table, le plus odorant est le plat d’huîtres. La conversation se déroule gentiment, puis nous nous embrassons joyeusement au moment du départ. Si seulement ils savaient…
 
Le microbiome humain est connu depuis la fin du XIXe siècle. Mais ce n’est qu’en 2007 qu’un important effort de recherche est lancé. Cette année-là, les autorités sanitaires américaines créent le National Microbiome Initiative. En 2008, une banque de données internationale est mise à disposition gratuitement pour faciliter le séquençage des gènes de microbiotes. L’étude du microbiome humain ouvre en effet une perspective nouvelle pour traiter des maladies comme le cancer, l’asthme et l’obésité.

Une différence entre les proportions de bons et de mauvais micro-organismes chez les personnes malades par rapport aux sujets sains pourrait être la cause de ces affections. Tout comme la découverte du génome humain dans les années 1990, la découverte du microbiome permet de considérer autrement la biodiversité microscopique dont nous sommes l’hôte. Le gouvernement américain a annoncé, le 13 mai 2016, une augmentation très importante du financement des recherches dédiées au microbiome. Il devrait disposer d’un budget d’un demi-milliard de dollars provenant de fonds publics et privés.

La fondation du milliardaire américain Bill Gates s’est déjà engagée à hauteur de 100 millions de dollars. En France, une société de capital-risque, Seventure, mise 120 millions d’euros sur la recherche en association avec l’INRA, ce qui fait du pays le leader européen sur les microbiotes. Les géants de l’alimentaire, comme Nestlé, ou des cosmétiques, comme L’Oréal, sont aussi de la partie. Le microbiome est au cœur d’un bouleversement considérable sur la façon de se nourrir, de se soigner et de prendre soin de son corps : faire des bactéries nos alliées.

JOUR 29  : LA RADIO

Les yeux s’arrondissent et l’incrédulité se répand dans l’étroit studio d’enregistrement de RTL, où s’entassent une vingtaine de personnes. Je suis venu parler de mon dernier article sur les sex dolls japonaises (voir We Demain n° 16). Pendant un spot de pub, je leur ai fait part de mon abstinence savono-douchesque. Bientôt, ils font cercle autour de moi, et me reniflent abondamment, curieux de détecter la puanteur supposée. « Je ne sens qu’une odeur de cigarettes », déclare le producteur, franchement étonné. J’ai le plus grand mal à leur expliquer que je ne souffre ni de saponiphobie ni d’aquaphobie.

JOUR 30  : LE BILAN

Après la gêne des premiers jours, force est de constater que je ne ressens aucune différence entre ma vie d’avant et celle de ma période d’abstinence savonnière. Aucune irritation ou démangeaison ne sont venues perturber mes habitudes quotidiennes. De même, mes odeurs corporelles sont totalement insignifiantes en société.

À moins que je ne l’annonce, personne ne semble avoir remarqué ma renonciation aux rituels de la toilette. Je prends une première douche après un mois d’interruption. Le massage de l’eau est tonique. J’en sors ragaillardi, en pleine forme. Je viens de redécouvrir les vieilles leçons d’hygiène des Romains. Ils se rendaient aux thermes pour se rencontrer et bénéficier des bains de vapeur.

Mais ils n’allaient au contact de l’eau chaude qu’occasionnellement, et sans que ce soit une pratique quotidienne. Prendre une douche le matin est une habitude tellement ancrée qu’on le fait machinalement. Giulia Enders, qui a connu un beau succès de librairie avec son Charme discret de l’intestin (éd. Actes Sud, 2015) consacré au microbiome intestinal, recommande de se doucher tous les trois jours. Au bout d’un mois, pour ma part je continue dans le renoncement aux ablutions saponifères. À vrai dire, je ne comprends plus bien la nécessité de la douche, sauf pour son agréable massage hydrique, de temps en temps. 

A lire aussi :

  • J’ai testé : laver mon linge sans lessive

    J’ai testé : laver mon linge sans lessive

    Peut-on se passer de lessive ? Notre journaliste a testé la balle de lavage Les Gargouilles, une marque française qui plus est.
  • J’ai passé un mois sans smartphone ni réseaux sociaux (et j’ai survécu)

    J’ai passé un mois sans smartphone ni réseaux sociaux (et j’ai survécu)

    RÉCIT. Se couper des écrans pour re-découvrir les charmes de la vie déconnectée : Cyrielle Marlet, lectrice de We Demain, a profité de l'été pour tenter l'expérience. Elle a passé un mois sans smartphone, ni plateforme de streaming, ni réseaux sociaux.
  • J’ai testé : le parc d’aventure 100% réalité virtuelle

    J’ai testé : le parc d’aventure 100% réalité virtuelle

    Partager la publication "J’ai testé : le parc d’aventure 100% réalité virtuelle" FacebookLinkedInTwitterPartager...E-mail Oubliez les files d’attente interminables dans le froid, les téléphones oubliés qui valdinguent dans les airs au premier virage, et les barbe à papas hors de prix. Ici vous pouvez enchaîner les loopings en montagnes russes (presque) sans bouger de votre siège. Installé dans un …