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Pesticides : deux cartes choc qui révèlent votre exposition selon où vous habitez

L’air que vous respirez, l’eau que vous buvez, les terres que vous cultivez… Quelle est votre véritable exposition aux pesticides ? Deux cartes interactives, mises au point par des associations environnementales, lèvent enfin le voile sur cette réalité invisible. Des outils précieux pour mesurer l’impact de ces substances chimiques sur votre santé et celle de votre territoire.

Le 27/02/2025 par Florence Santrot
pesticides vignes
Pulvérisation préventive de pesticides contre les ravageurs dans une parcelle viticole de Beaune, dans le département de la Côte d'Or. Crédit : Danuta Hyniewska / stock.adobe.com.
Pulvérisation préventive de pesticides contre les ravageurs dans une parcelle viticole de Beaune, dans le département de la Côte d'Or. Crédit : Danuta Hyniewska / stock.adobe.com.

La France est l’un des plus gros consommateurs de pesticides en Europe, avec l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie, selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). En 2022, elle était même sur la plus haute marche du podium, avec 68 539 tonnes de substances actives vendues, devant l’Espagne (56 353 tonnes) et l’Allemagne (48 169 tonnes). Un chiffre colossal qui s’explique par le poids du secteur agricole dans l’économie nationale, mais aussi par la dépendance des cultures aux intrants chimiques.

Les fruits et légumes (pomme, pêche, pomme de terre, maïs…) et la vigne sont les principales cultures concernées, affichant des Indices de Fréquence de Traitement (IFT) parmi les plus élevés. En d’autres termes, ces parcelles reçoivent plusieurs applications de pesticides chaque année, parfois jusqu’à 20 traitements annuels pour certaines vignes. Conséquence directe : un niveau d’exposition inquiétant pour les agriculteurs, mais aussi pour les riverains des zones rurales.

92 % des Français ont des traces de pesticides

Depuis 2006, Santé publique France réalise des études de biosurveillance. Selon l’organisme institutionnel, 92 % des Français ont des traces de pesticides dans leur organisme, dont des perturbateurs endocriniens comme le chlorpyrifos ou le glyphosate. Il précise : “Des substances chimiques telles que des pyréthrinoïdes ont été détectées chez la totalité des femmes enceintes, des pesticides organophosphorés ont été quantifiés chez la quasi-totalité de la population générale.”

On trouve donc dans nos organismes des substances associées à des troubles neurologiques, des cancers ou encore à des malformations congénitales. Mais comment savoir si vous êtes concerné ? Deux outils cartographiques apportent enfin des réponses précises : la carte Adonis, développée par l’association Solagro, et Géophyto, conçue par Générations Futures.

La carte Adonis : un baromètre des pesticides à l’échelle communale

Créée par l’association Solagro, la carte Adonis, disponible via le site TousExposes.fr, est un outil unique en son genre. Elle permet d’accéder aux données de l’Indice de Fréquence de Traitement (IFT) pour chaque commune française. L’IFT mesure le nombre moyen d’applications de pesticides par hectare et par an. Un indicateur précieux pour évaluer la pression chimique exercée sur un territoire donné.

En consultant cette carte interactive, on découvre que certaines régions se distinguent par une utilisation massive de pesticides. Sans surprise, les zones viticoles (Bordeaux, Champagne, Bourgogne) et céréalières (Beauce, Picardie) figurent en tête des territoires les plus exposés. À l’inverse, les zones de polyculture-élevage (Bretagne, Massif Central) affichent des niveaux plus modérés.

Adonis ne se limite pas à une simple visualisation. L’outil permet aussi de comparer les pratiques agricoles entre communes voisines et d’observer les tendances d’évolution sur plusieurs années. Une manière d’évaluer l’impact des politiques publiques, comme l’interdiction progressive de certaines substances ou l’adoption de pratiques alternatives.

Géophyto : une base de données pour scruter l’usage des pesticides par code postal

Si Adonis donne une vision macro de l’exposition aux pesticides, Géophyto entre dans le détail… et avec une approche un peu différente. Conçu par l’ONG Générations Futures, cet outil s’appuie sur la Banque Nationale des Ventes de Produits Phytopharmaceutiques (BNV-D). Il permet donc de connaître, code postal par code postal, les quantités de pesticides achetées et les substances utilisées.

Concrètement, en entrant votre code postal, vous obtenez une liste des produits phytosanitaires achetés localement depuis 2015. Herbicides, fongicides, insecticides… Le site identifie même les molécules classées comme cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction.

Cette transparence a permis de révéler des disparités frappantes. Certains départements, comme la Marne ou la Gironde, affichent des niveaux de ventes record, confirmant leur dépendance aux pesticides. À l’inverse, des zones plus diversifiées, comme l’Ariège ou la Haute-Loire, se démarquent par des usages plus faibles.

Pourquoi ces cartes changent la donne

L’accès à ces données n’est pas anodin. Il permet aux citoyens de s’informer sur leur exposition aux pesticides et d’agir en conséquence. Plusieurs collectivités ont d’ailleurs déjà utilisé ces cartes pour renforcer leurs politiques environnementales.

À Rennes, la municipalité a instauré une charte des bonnes pratiques pour réduire l’usage des phytosanitaires à proximité des écoles et des crèches. Dans le Sud-Ouest, des groupes de riverains se mobilisent pour interdire les épandages à moins de 150 mètres des habitations.

Les professionnels de santé s’en emparent aussi. Des études ont déjà montré une corrélation entre certaines zones fortement exposées et des taux anormalement élevés de cancers pédiatriques ou de maladies neurodégénératives. Des données qui pourraient servir à ajuster les recommandations de prévention et les suivis médicaux.

Une mobilisation encore insuffisante

Malgré ces avancées, les cartes Adonis et Géophyto restent encore méconnues du grand public. Et elle ne plaît pas à certains professionnels. Beaucoup d’agriculteurs dénoncent une stigmatisation de leur profession, soulignant qu’ils respectent les doses autorisées et que certaines substances alternatives sont moins efficaces.

D’un autre côté, les associations environnementales estiment que la réglementation reste trop laxiste. La France autorise encore plusieurs pesticides interdits ailleurs en Europe, comme le S-métolachlore, un herbicide suspecté de perturber le développement embryonnaire.

À l’échelle politique, les réformes se font attendre. Le plan Écophyto, lancé en 2008 pour réduire de moitié l’usage des pesticides, a été un échec cuisant. Depuis son lancement, la consommation de pesticides n’a pas baissé, voire a augmenté pour certaines cultures.

Vers une agriculture sans pesticides ?

La France peut-elle vivre sans pesticides ? De plus en plus d’exploitations basculent vers l’agroécologie, avec des résultats encourageants. L’INRAE a démontré que certaines cultures pouvaient réduire leur usage de 30 à 50 % sans baisse significative des rendements. Des alternatives émergent également, comme le biocontrôle (utilisation d’insectes auxiliaires) ou la robotisation des cultures, qui permet de désherber sans produits chimiques. Autre solution : l’agriculture de précision qui permet, grâce à une connaissance détaillée de sols d’une exploitation, de n’utiliser que la dose suffisante au bon endroit. Des pistes prometteuses mais encore marginales face à l’ampleur du défi.

En attendant, les cartes Adonis et Géophyto permettent d’exercer une veille citoyenne sur l’usage des pesticides en France. Un premier pas essentiel pour exiger plus de transparence et encourager un modèle agricole plus respectueux de la santé et de l’environnement.

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