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Bertrand Piccard : « D’ici sept ans, on volera en avion électrique »

Pour le pilote et concepteur de Solar impulse, la fusion de la technologie et des énergies renouvelables peut nous sauver du péril climatique. Et peut-être même nous permettre de continuer à prendre l’avion.

Le 02/01/2020 par Gérard Leclerc

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Le 26 juillet 2016, en atterrissant à Abou Dhabi à bord de Solar Impulse, il devenait le premier humain à boucler un tour du monde avec un avion entièrement propulsé à l’énergie solaire. Mais de cet exploit à la mutation d’un secteur tout entier, il y a un monde. À l’heure où prospèrent les mouvements issus du flygskam (« honte de prendre l’avion » en suédois) et où Greta Thunberg réhabilite les voyages transatlantiques à la voile, va-t-il falloir renoncer à ce moyen de transport pour parvenir à stopper le réchauffement climatique ? À quand des aéronefs permettant de réaliser des longs trajets sans plomber son bilan carbone ? Seront-ils accessibles à tous ? We Demain a mis à l’épreuve l’éternel optimisme de Bertrand Piccard.

 
We Demain : Le mouvement « flygskam », la « honte de prendre l’avion », né en Suède, prend de l’ampleur.  L’été dernier, le premier congrès des anti-avions s’est déroulé à Barcelone. Faut-il prendre cela au sérieux, et quelles leçons en tirer ?

Bertrand Piccard : C’est une vague de fond qui progresse, mais je trouve dangereux de se focaliser sur le seul sujet de l’avion alors que d’autres sont beaucoup plus préoccupants, sans qu’on en parle. Un exemple : les consultations en streaming sur internet de vidéos, pornographiques ou montrant des chats, représentent à elles seules l’équivalent de la moitié des émissions de gaz à effet de serre du trafic aérien ! [En 2018, les vidéos en ligne représentaient 300 millions de tonnes de C02 selon The shift project ; les avions, 918 millions de tonnes selon International Council on Clean Transportation (ICCT), ndlr.] Quant à l’industrie textile, c’est le double ! [1,2 milliard de tonnes de CO2 uniquement pour la production des textiles, selon la fondation Ellen MacArthur, ndlr.] Plutôt que de se focaliser sur l’avion, il faut repenser la façon aberrante dont fonctionne le monde, entre gaspillage et inefficacité, destruction des ressources naturelles et du capital humain.
 
Mais ne faut-il pas se résoudre à moins prendre l’avion ? Dans quels cas, et par quoi le remplacer ?

Il faut distinguer les mesures urgentes, faciles à mettre en place, et les autres à plus longue échéance. La première à prendre, c’est la compensation des émissions de carbone pour l’intégralité des vols. Air France vient de l’annoncer, spontanément, pour ses vols intérieurs. C’est donc possible. Les compagnies qui ne le feront pas vont scier la branche sur laquelle elles sont assises. Elles ne pourront résister à l’opinion publique, et se verront imposer des mesures beaucoup plus draconiennes. En France, des députés proposent déjà d’interdire les vols intérieurs quand il existe des liaisons ferroviaires. Les compagnies doivent mettre en œuvre rapidement cette compensation carbone pour toutes les destinations, quelle que soit la distance, en la répercutant sur le prix du billet. Le coût serait faible, de l’ordre de 5 euros pour un vol intérieur ou en Europe en classe économique.

Nous devons également renoncer à des vols qui sont insensés, comme partir faire ses courses à Barcelone avec une compagnie low cost, parce que c’est moins cher qu’aller en train dans une ville plus proche. C’est aberrant… Plus généralement, il faut se poser la question de moins prendre l’avion, comme on doit se la poser pour la voiture ou pour le chauffage des habitations. Mais l’important, c’est de rendre les transports moins polluants, plutôt qu’empêcher les gens de voyager, ce qui créera forcément des résistances.
 
Vous évoquiez les solutions à plus long terme : l’avion électrique en fait-il partie ? À quelle échéance ? Et avec quel type d’avion ?

Il existe déjà des avions de tourisme totalement électriques de deux à quatre places, avec deux heures d’autonomie et des batteries rechargeables en quarante minutes. Je pense que d’ici sept ans, on pourra voler sur des avions courts courriers électriques avec batteries, et transportant 50 personnes.

Vous n’évoquez pas les panneaux solaires sur les ailes des avions, comme sur Solar Impulse, l’appareil avec lequel vous avez effectué un tour du monde uniquement avec l’énergie solaire ?

Solar Impulse a réalisé le maximum de ce qu’il est possible de faire avec les technologies d’aujourd’hui : transporter une seule personne, à 45 km/h, avec une envergure d’ailes exceptionnelle. Il faudra beaucoup de temps et d’évolutions pour pouvoir commercialiser cette technologie et transporter plusieurs passagers.

Plutôt que des panneaux solaires sur les ailes, je crois beaucoup plus aux énergies renouvelables au sol pour produire l’électricité qui rechargera les batteries des avions : ce pourrait être le solaire dans les pays chauds, l’éolien en Europe, la géothermie en Islande…
 

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