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Clonage : pourquoi nous ne reverrons jamais le mammouth

Le mammouth laineux a disparu de la Sibérie à la fin du Pléistocène. Dix-mille ans plus tard, en mai 2013, une équipe scientifique russe menant des recherches sur l’île de Maly Lyakhovsky a découvert une carcasse de ce mastodonte, non pas momifiée, mais parfaitement congelée. Et, fait incroyable, du sang liquide s’est répandu lors de son exhumation.

Cette nouvelle a fait le tour de la planète et renaître l’espoir chez certains scientifiques de pouvoir cloner cette espèce disparue. Parmi eux, le docteur Hwang Woo-suk et son entreprise de biotechnologies SOOAM. Ce chercheur coréen a connu une renommée mondiale en 2005 en annonçant avoir réussi à cloner un embryon humain. Il s’est avéré que ses données étaient montées de toutes pièces, ce qui lui a valu six mois de prison.

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Mais le docteur Hwang n’a pas dit son dernier mot. Aujourd’hui à la tête d’un florissant business de clonage de chiens (comptez tout de même 100 000 dollars pour revoir Médor), il a annoncé vouloir être le premier à réussir le clonage d’un mammouth. Son entreprise s’est alliée à l’université russe de Yakustsk, où est étudié le mammouth congelé, prénommé Buttercup – du nom d’une petite fleur jaune retrouvée dans son estomac.

Leurs analyses n’ont, certes, pas permis de découvrir de cellule intacte, mais des chaînes d’ADN presque complètes auraient été extraites. Prochain objectif de Hwang : recréer un ADN complet pour ensuite l’insérer dans un ovule énucléé d’éléphante, afin de lui faire porter un embryon de mammouth.

Un scénario qui laisse sceptique le biologiste français Jacques Testart (1), à qui on doit le premier bébé éprouvette, contacté par We Demain : « Même si le docteur Hwang trouvait, à partir de suffisamment d’échantillons, toutes les parties de l’ADN de ce mammouth, il faudrait encore arriver à les remettre dans l’ordre. » Un véritable puzzle aux millions de possibilités, d’autant plus compliqué à compléter que les scientifiques ne connaissent pas la fonction de chaque gène du mammouth et que son génome n’a été que partiellement séquencé.

LA MUTAGENÈSE : 100 % DE HASARD

Une autre piste avancée par les mêmes chercheurs coréens serait de faire muter des gènes d’éléphants pour recréer les parties manquantes, voire de faire muter un embryon d’éléphant pour qu’il développe des caractéristiques physiques du mammouth. Or selon Jacques Testart, « la mutagenèse relève du hasard. Cela nécessite d’exposer l’ADN à des stress physiques comme le froid, les radiations, et de regarder ce qui se passe. C’est possible avec les végétaux, car on peut les multiplier facilement, mais pas avec des animaux : ce serait trop cruel et cela demanderait un nombre infini d’essais. »

Et si, par le plus grand des hasard, les chercheurs coréens parvenaient tout de même à recréer un ADN complet et à l’introduire dans un ovule d’éléphante, il n’est pas sûr que cette nouvelle cellule survivrait et parviendrait à s’implanter dans l’utérus. De toute façon, cet embryon n’aurait que peu de choses à voir avec un mammouth : « On connaît désormais l’importance des facteurs épigénétiques : au sein du cytoplasme de la cellule hôte, il existe des mitochondries et de l’ARN qui codent également les caractéristiques de l’individu, en plus de son ADN. » En clair, la bestiole serait une chimère mi-éléphant, mi-mammouth.

2,5 MÈTRES DE L’ORIFICE VAGINAL À L’UTÉRUS

D’autant qu’aucun scientifique n’a encore réussi à cloner un éléphant. La raison est purement pratique : l’animal n’ovule que tous les cinq à six ans et son cycle est assez difficile à détecter. Autre problème, la taille de l’animal : « il faudrait avoir le bras long pour introduire l’embryon puisque l’utérus est à deux mètres cinquante de l’orifice vaginal ! »

Pour le généticien, tout cet emballement médiatique autour du clonage de mammouth ne sert finalement qu’aux chercheurs en quête de subvention. « On s’intéresse au mammouth car il nous est sympathique, mais pas aux insectes disparus. Finalement, le pire serait qu’ils y arrivent, car cela délégitimerait la lutte contre l’extinction des espèces. Savez-vous d’ailleurs que le poulpe, si menacé, est peut être l’animal le plus intelligent sur terre ? » (lire l’article consacré à cet animal dans We Demain numéro 7)

Nos rêves d’enfant sont donc définitivement envolés : il n’y aura jamais de bébé mammouth gambadant en liberté dans les plaines. Dommage, car il existait un endroit parfait pour les recevoir : Pléistocène Park, une réserve naturelle en Sibérie où cohabitent déjà bisons, bœufs musqués et autres rennes, dans des steppes dignes de l’âge de glace.

(1) Derniers livres parus : L’Humanitude au pouvoir. Comment les citoyens peuvent décider du bien commun, Seuil, 2015. Faire des enfants demain, Seuil, 2014.

Jean-Jacques Valette
Journaliste à We Demain

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