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Comment les sciences sociales viennent au secours de la paix en Colombie

RÉCIT. Par Ahmed et Karine Benabadji, fondateurs du projet Open-Villages.

Le 05/10/2016 par WeDemain
RÉCIT. Par Ahmed et Karine Benabadji, fondateurs du projet Open-Villages.
RÉCIT. Par Ahmed et Karine Benabadji, fondateurs du projet Open-Villages.

Le 1er septembre 2015, Ahmed, Karine et leur cinq enfants se sont envolés de Paris pour un tour du monde d’un an, à la découverte de villages qui ont fait le choix de l’autonomie et du développement durable. Ce mois-ci, plongée dans la campagne colombienne, où les habitants se sont majoritairement prononcés pour l’accord de paix signé par le gouvernement avec la guérilla. 

Les Colombiens ont-ils voté non à la paix ? Si l’on regarde les résultats avec précision, on se rend compte que l’on est loin du plébiscite pour les positions bellicistes de l’ancien président Uribe. Ils n’ont été que 38 % à aller voter (ce qui en soi est problématique pour un référendum de ce cet importance) et l’écart de voix entre les oui et les non est très faible (quelques dizaines de milliers de suffrages).

Mais encore plus révélatrice est l’analyse du vote par région. Car c’est dans les régions du centre et les zones urbaines, qui n’ont vécu le conflit que par l’intermédiaire des médias et des discours politiques diabolisant l’insurrection, que le non l’a emporté.

En revanche, dans les régions agricoles et paysannes qui ont vécu les horreurs de la guerre, le oui à la paix avec les FARCs a remporté une victoire écrasante. C’est le cas de la région de Cauca (68 % des votes pour le oui), où nous avons passé plusieurs jours dans un Open Village en devenir.

Maria Teresa, de la violence à la paix

« C’est là-haut que mon neveu a été assassiné, sans doute par des membres des forces spéciales », nous dit Maria-Teresa, le regard levé vers la magnifique cascade qui, à quelques mètres de nous, dévale la roche sur près de 50 mètres.« Ma famille ne vient plus ici mais j’aime le calme et la sérénité qui se dégagent de cet endroit malgré ce qui s’y est passé ».

La chute d’eau située à quelques centaines de mètres de la maison de notre hôte à Popayán, la capitale régionale, a vu et subi bien des violences ; celles des militaires qui ont y établi un camp pour repousser les infiltrations meurtrières des guérilleros des FARCS mais aussi celles d’entrepreneurs peu scrupuleux qui ont voulu faire rapidement fortune en défigurant la nature, un en y exploitant une carrière illégale, un autre en y important, pour engraisser plus vite ses bêtes d’élevage, une variété d’herbe africaine dont la croissance exubérante a fini par mettre en danger l’écosystème local, sanctuaire il y a encore peu pour plusieurs espèces de colibris.

Ce petit bout de nature en bordure de la ville est finalement à l’image de la Colombie, un pays en guerre depuis des décennies et qui a connu toutes les violences, celles des bandes criminelles, celles des narco trafiquants et de la police durant la « sale guerre », celles des guérillas et de l’armée, celles enfin des révoltes paysannes contre les grands propriétaires et leurs supplétifs paramilitaires.

Et pourtant, du Nord au Sud, de Carthagène à la frontière équatorienne, à Bogota comme à Cali et Medellin, nous avons rencontré un peuple chaleureux, accueillant, extraordinairement serviable.

« Nous autres Colombiens, nous sommes comme cela, nous avons deux visages », nous a aussi expliqué Maria-Teresa. Elle sait de quoi elle parle : cette anthropologue a travaillé pendant des années à la direction des grands parcs nationaux de Colombie, sillonnant le pays et ses campagnes les plus reculées avant de prendre sa retraite. Aujourd’hui, elle s’est mise au service de l’après-guerre.

Un modèle de développement post-conflit

Dans cette nouvelle ère qui s’ouvre, il semble bien que si le gouvernement colombien entend mettre les communes paysannes au centre de ses préoccupations, c’est tout d’abord pour lutter contre la culture de la coca qui a financé les groupes armés. C’est d’ailleurs dans l’espoir que le soutien de l’État et des bailleurs de fonds étrangers finira par bientôt se concrétiser que Maria-Teresa s’est engagée dans plusieurs projets de reconstruction sociale.

Elle a ainsi constitué un groupe de citadins qui ont décidé de développer la culture d’une plante amazonienne, le Sacha Inchi que les qualités organoleptiques rendent très recherchée. On dit qu’elle aurait des propriétés supérieures à l’huile d’olive avec une plus grande versatilité.
 
Plus ambitieux encore, le projet d’éco-village de la Viuda à une quinzaine de kilomètres au Nord de Popayàn vise à doter une communauté rurale de ressources durables fondées sur un tourisme écologique et solidaire. Ce projet s’est construit sur plusieurs années avec une méthodologie directement inspirée des sciences sociales et avec le soutien actif d’enseignants-chercheurs et d’étudiants de l’université en géographie, en anthropologie et en économie du tourisme.

La méthode employée par l’équipe de chercheurs et par les habitants de La Viuda a notamment consisté en un inventaire détaillé des patrimoines naturels, artisanaux, culturels de la communauté pour construire une offre qui puisse attirer des visiteurs en quête d’expériences authentiques tout en assurant la préservation du patrimoine local.

L’espoir par la société civile

Nous avions déjà vu ce curieux mariage entre anthropologie et écotourisme dans le Yucatan au Mexique, où un anthropologue français de l’université de Merida travaille avec un village maya pour développer une offre de tourisme culturel appuyée sur un magnifique site archéologique et sur les savoir-faire artisanaux des habitants.

En Colombie, Maria Teresa n’est pas la seule à œuvrer ainsi pour la pacification de son pays. Ils sont nombreux à préparer la nouvelle Colombie, enfin débarrassée de son « mauvais côté ». Ainsi, le maire de La Merced, joli village perché au-dessus des nuages dans la région caféière, entend revivifier l’économie locale en encourageant la création de petites unités de transformation pour les cafeteros de sa communauté. Cet ancien médecin de campagne qui a décidé de dédier sa mandature à l’amélioration du bien-vivre de ses concitoyens n’attend que l’accord du gouvernement pour financer les nombreux projets qui encombrent son bureau.     
 
La veille de notre départ pour le Pérou, nous avons dîné avec un groupe de femmes, activistes, artistes et anthropologues. Certaines d’entre elles avaient animé le jour même des ateliers sur la violence pour les femmes. Elles rendaient compte au reste du groupe du sentiment de peur qui habitait encore les esprits même en l’absence de tout danger. Il faudra sans doute encore longtemps avant que l’angoisse ne quitte les Colombiens, cette « peur sans objet » qui se traduit parfois dans les urnes par des choix incompréhensibles.

Ahmed et Karine Benabadji, fondateurs du projet Open-Villages. 

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