On a (re)découvert Belleville grâce aux « greeters »

Rendez-vous est pris avec Claude et Winsome, une touriste australienne, devant la mairie du XXème arrondissement. Claude, pétillante septuagénaire, va nous faire visiter son quartier, celui dans lequel elle vit depuis plus de vingt ans. Ce matin elle est un peu fatiguée. Les canalisations de sa cuisine ont lâché, elle a passé la nuit à écoper. Nous nous retrouvons quand même à 10h, Winsome n’est pas encore là.

Du lien social grâce au tourisme

Voici déjà quelques années que les greeters (les « hôtes » en français), œuvrent pour un tourisme alternatif et participatif. Mais avec un budget vacances en baisse constante, les balades gratuites séduisent de plus en plus. La branche parisienne du mouvement, « Parisiens d’un jour », a enregistré une augmentation de 20 % des visites en 2013 ! À Paris, les 400 bénévoles réalisent presque 3 000 visites thématisées par an, avec des touristes – de l’étranger ou de province – désireux de rencontrer de « vrais » Parisiens. Claude, DRH retraitée, en propose une dizaine par an, toujours en petit comité.

Nous attendons toujours la touriste australienne. Après presque une heure passée à faire connaissance, nous décidons à regret de partir sans elle. Claude et Winsome avaient pourtant beaucoup échangé par mail. Un prérequis chez les « greeters ». « Je leur parle de moi, j’essaye d’en savoir un peu sur eux… » Ces échanges préalables permettent au guide d’un jour de cerner les attentes du touriste et de lui proposer une visite personnalisée. L’Australienne de 60 ans, par exemple, voulait faire un tour sur le marché de Belgrand. D’où l’heure matinale du rendez-vous. En l’absence de l’Australienne, nous zappons le marché et embrayons sur la rue des Pyrénées. 

Mon quartier, ma rue

Claude sort de petites fiches Bristol et commence son cours sur l’histoire de Paris. On s’arrête, on repart. En longeant les échoppes, Claude raconte le choc culturel que provoquent chez les étrangers les commerces alimentaires parisiens, surtout chez les Américains. « Chez eux, tout est aseptisé. Quand ils passent devant cette boucherie, cette fromagerie, dont les vitrines sont ouvertes sur l’extérieur, ils sont choqués ! » On quitte très vite l’artère principale pour s’engouffrer dans celle où habite Claude, la rue Villiers de L’Isle-Adam. « Mon challenge avec les visiteurs, c’est d’avoir brisé la glace avant d’arriver devant chez moi. »

Notre guide est une native de l’Est parisien. Elle en apprécie la mixité ethnique et sociale et le dynamisme culturel. « C’est un quartier très solidaire, se réjouit-elle. J’en ai signé des pétitions ici ! » Sur le trajet, on s’arrête devant le groupement d’immeubles de la fondation Lebaudy. Le gardien de ces logements sociaux privés nous apostrophe. Tous deux parlent avec émotion de Madame Lebaudy, veuve fortunée qui a consacré toute sa richesse à la construction d’habitats pour les plus modestes.

Claude voudrait nous montrer un atelier-logement typique du quartier : le XXème a accueilli de nombreuses petites industries, transformées pour la plupart en habitations ou en ateliers d’artistes. Notre guide repère une grille qui semble ouverte. Elle se précipite, pousse la porte… Fermée. Dommage, cela faisait longtemps que Claude voulait voir ce qu’il y a derrière. On se contente de jeter un œil à travers les clôtures, derrière lesquelles de nombreuses maisons sont en travaux : « Avant c’était modeste mais maintenant cela se vend à prix d’or, constate Claude. Ils réhabilitent les maisons et installent des canalisations qui ne fuient pas ! » ironise la retraitée adepte du Tai Chi, qu’elle pratique dans une salle associative qu’elle nous invite à visiter. S’ils planifient leurs balades, les « greeters » laissent toujours une place à l’improvisation, comme lors d’une balade entre amis.

« Balades affectives »

Plus nous avançons, plus nous basculons vers le tutoiement. Claude n’hésite d’ailleurs pas à nous présenter comme des amies lorsqu’elle insiste pour nous faire entrer au bar « la Bellevilloise », privatisé le jour de notre visite. « Mon amie et moi on se fera discrètes » essaye-t-elle, sans succès. Nous engageons néanmoins la conversation avec les hôtesses d’accueil. L’une d’entre elles découvre le quartier et ne se fait pas prier pour livrer ses impressions à notre guide : « Pour moi, le XXème, ça craignait. Alors que là, j’ai vu des rues où l’on a l’impression d’être en province, dans les rues d’un village ». Pour Claude, mi-amusée, mi-agacé, c’est là tous le sens du travail des « greeters » : « emmener les gens hors des sentiers battus pour qu’ils modifient leur perception des quartiers ». 

Nous arrivons sur les hauteurs de Belleville. La visite se termine après presque quatre heures de déambulation. Claude cherche sur son téléphone l’itinéraire idéal pour que je puisse rentrer chez moi. Ce sera le métro de Menilmontant. Adepte des « balades affectives », elle décide donc de me raccompagner et me distille, sur le chemin, quelques anecdotes de plus, sur le street-art notamment. La touriste australienne se manifeste enfin… Elle s’était pointée devant la mauvaise mairie. Heureusement, il lui reste deux jours dans la capitale pour rencontrer Claude ou un autre des centaines de « greeters » qui arpenteront Paris cet été.

Elisabeth Denys  
Journaliste web / We Demain  
@ElissaDen

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