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Amiral Vandier : « Elon Musk est en train de privatiser l’espace »

Qui mieux que l’Amiral Vandier, Major Général des Armées, pourrait nous parler de géopolitique en 2050 ? Dans le cadre de we are_ DEMAIN, il nous livre son analyse.

Le 12/11/2023 par Florence Santrot
Amiral Vandier
Major général des Armées, l'Amiral Pierre Vandier est le n°2 des armées. Crédit : Florence Santrot.
Major général des Armées, l'Amiral Pierre Vandier est le n°2 des armées. Crédit : Florence Santrot.

Guerres entre l’Ukraine et la Russie, entre Israël et le Hamas, tensions entre les États-Unis et la Chine, invasion azerbaïdjanaise dans le Haut-Karabakh… au regard de la situation géopolitique actuelle, qui pourrait prédire l’avenir ? Et encore plus en 2050 ? C’est pourtant le défi relevé par le Major général des Armées, l’Amiral Pierre Vandier, lors de l’événement 2050, we are_ DEMAIN.

À la fois pilote de chasse et marin, il a commandé deux bateaux de surface furtifs, le porte-avion Charles-de-Gaulle. Engagé dans des actions de guerre à de nombreuses reprises, il a aussi été à la tête de la première flottille de Rafales. De par son expérience, il est parfaitement à même de nous parler de l’avenir du maritime et de l’espace en 2050. Mais aussi d’Internet. Quel est le rapport ? Il s’agit de trois espaces communs sans frontière. Les trois derniers « far west » à notre disposition, et qui sont intimement interconnectés. Trois far west qui attirent les convoitises, que ce soit de la part des États que d’entreprises privées.

Quelle géopolitique en 2050 ?

Si on se projette dans un quart de siècle, joue-t-on à se faire peur ? Pour l’Amiral, « il faut se conscientiser. Le but c’est pas de se faire peur, c’est de regarder les choses et ensuite de pouvoir agir. Ensuite, il faut comprendre que si on veut changer les choses, il faut soi-même faire quelque chose en ce sens tous les jours. C’est de la responsabilité de chacun. »

L’Amiral Pierre Vandier dresse le constat de la situation actuelle : « Ce que l’on observe actuellement, c’est un retour très violent de la conflictualité. On pensait que l’interdépendance économique des États dissuaderait la guerre. Que le désarmement aiderait. Que les quelques conflits n’étaient que temporaires et seraient vite effacés pour revenir à la normale. Mais ce n’est pas le cas. L’Ukraine dans 10 ans ne sera pas l’Ukraine des années 2000, c’est sûr. Nous sommes entrés dans un autre cycle géopolique. Et les externalités négatives de notre développement nous reviennent à la figure. »

« Nous sommes entrés dans un autre cycle géopolique. Et les externalités négatives de notre développement nous reviennent à la figure. »

Amiral Pierre Vandier

« Réécrire l’Histoire ne permet pas de construire un monde en paix »

Par « externalités négatives », l’Amiral évoque notamment le réchauffement climatique, la raréfaction des ressources, les difficultés sur le plan social… « Nos sociétés centrées sur l’individu ont provoqué une fragilisation du bien commun. En plus de cela, il y a des pays – les empires contrariés – qui sont en train d’essayer de réécrire l’Histoire. La Chine, la Turquie, la Russie, l’Iran… sont des pays génocidaires. Ils ont tué des milliers de gens mais ils font croire que ce n’est pas le cas. »

« Le premier acte du déclenchement de la guerre en Ukraine, c’est la dissolution de l’ONG Memorial, le 28 décembre 2020. C’est ça le début de la guerre. C’est dire ‘l’Holodomor n’a pas existé’. De même, la doctrine maritime « Mavi Vatan » de la Turquie [la « patrie bleue », qui passe par des revendications maritimes d’Ankara en Méditerranée orientale, NDLR] est un concept qui revient à avant 1923. On ne peut pas construire un monde en paix dans ces conditions.« 

3 espaces communs, 3 grands far west

Dans ces espaces, celui qui s’y installe en devient le propriétaire. Il s’agit de l’espace maritime (la partie territorialisée est extrêmement faible), l’espace exo-atmosphérique et l’espace numérique immatériel. « Ces trois ‘global commons’ ont des caractéristiques comparables en ce sens que ce sont trois espaces isotropes – sans frontière – et trois espaces où la technologie est centrale. Ce sont des espaces où les grands acteurs essaient d’imposer une forme de domination. Par exemple, aujourd’hui, Elon Musk est en train de devenir le propriétaire de la basse couche de l’espace. Il est en train de privatiser l’espace », précise l’Amiral Vandier.

« Dans le numérique, c’est l’offre qui crée la loi. Quand un Google, par exemple, possède les plus gros serveurs du monde, tout le monde utilise vos services. Et puis un jour, Google décide de faire payer le stockage auparavant illimité. Il devient alors très difficile de s’en défaire. Aujourd’hui, le chiffre d’affaires de Google est supérieur au PIB de la Suède. Il devient de plus en plus difficile d’agir contre ces monstres qui se créent. »

Quel avenir pour ces espaces communs ?

Selon le Major général des Armées, ce mouvement va se poursuivre d’ici 2050. Nous serons régulièrement mis devant le fait accompli. Ainsi, la Chine a construit illégalement un réseau de bases maritimes en mer de Chine en coulant du béton sur des récifs. Toujours dans le domaine maritime, il pointe du doigt le gigantisme des cargos et l’accroissement du trafic maritime. « Tous les jours en Europe, arrive de Chine l’équivalent d’une ligne continue de camions qui relie Brest à Berlin. Tous les jours. »

« Tous les jours en Europe, arrive de Chine l’équivalent d’une ligne continue de camions qui relie Brest à Berlin. »

Amiral Pierre Vandier

Un niveau d’insécurité croissant

Le niveau d’insécurité ne devrait cesser d’augmenter dans les années à venir. La compétition va devenir de plus en plus féroce entre les acteurs. Et la compétition est du tous contre tous. Ils profitent de l’affaiblissement général de certains États pour tenter de conquérir tout ce qu’ils peuvent dans l’un des trois espaces communs. « En 2050, ce sera trop tard. C’est aujourd’hui qu’il faut agir car cela va extrêmement vite. »

En revanche, s’il est d’accord sur le fait que les types de combats sur les terrains de guerre vont évoluer, il ne s’agira pas d’une révolution totale. « La guerre va changer de visage mais pas totalement d’outils. Ce n’est pas parce que vous avez maintenant des drones que vous n’avez plus besoin d’avions de chasse. »

Anticiper sera la clé pour les décennies à venir

Loin de dire que c’est déjà trop tard, qu’on ne peut plus rien faire, l’Amiral Pierre Vandier estime qu’il est encore temps d’agir. Mais pas n’importe comment. « Il y a encore un véritable avantage à ceux qui prennent l’initiative. Mais à une condition : ne pas être dans le réactif permanent. Il faut avoir un plan, un agenda. Je l’ai constaté durant notre groupe de travail pendant le Covid. Il était surnommé Barjavel… Pendant 3 mois, on a imaginé les ‘worst case scenarios’. »

« Chaque semaine, on essayait d’imaginer le pire qui pourrait advenir dans les jours suivants et on mettait en place des stratégies pour contrecarrer ces hypothèses. Nous nous sommes aperçus au bilan que nous avions toujours un coup d’avance la semaine d’après. Ce que je veux dire par là, c’est que le pire n’est jamais certain mais qu’il est utile de s’y préparer. »

Dans les pays anglo-saxons, il y a une expression : « Those who rule the waves, rule the world ». Ceux qui gouvernent les vagues, gouvernent le monde. Et l’Amiral Vandier de conclure : « ces trois espaces sont porteurs du meilleur comme du pire. Une chose est sûre, on peut essayer de se projeter en 2050, cela ne se passera jamais comme on l’avait imaginé. Mais si on décide d’agir maintenant, individuellement comme collectivement, on a une carte à jouer. »

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