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Anne-Fleur Goll : « Nous sommes des garde-fous du greenwashing »

Son discours vibrant pour sensibiliser au dérèglement climatique lors de la cérémonie de remise de diplômes à HEC a marqué les esprits. Depuis, Anne-Fleur Goll poursuit son engagement environnemental.

Le 08/07/2022 par Florence Santrot
Anne-Fleur Goll
Anne-Fleur Golll, dîplomée de HEC, en plein discours le
Anne-Fleur Golll, dîplomée de HEC, en plein discours le

Elle a 25 ans et déjà une vraie conscience de l’urgence climatique. Anne-Fleur Goll s’est fait remarquer lors de son discours à la cérémonie de remise des diplômes d’HEC le 9 juin 2022. Une prise de parole qui s’inscrit dans la lignée de celle de huit étudiants d’Agro Paris Tech qui, fin avril, avaient appelé leurs camarades à « bifurquer » et refuser de travailler pour une « agro-industrie qui mène une guerre au vivant »

Un « appel à déserter » qui a inspiré d’autres jeunes étudiants fraîchement diplômés à s’exprimer pour sensibiliser aux enjeux climatiques. Des discours filmés, relayés sur Internet et visionnés plusieurs centaines de milliers de fois sur les réseaux sociaux, les plateformes vidéo, etc. Celui d’Anne-Fleur Goll ne fait pas exception. Pour WE DEMAIN, elle revient sur son allocution, ses conséquences et sur son engagement écologique au sein de Deloitte, cabinet d’audit et de consulting.

WE DEMAIN : Quelle est la genèse de votre discours pour la cérémonie de remise de diplômes à HEC ?

Anne-Fleur Goll : J’ai clairement été inspirée par le speech des étudiants d’Agro Paris Tech. Je voulais moi aussi parler des sujets de l’écologie et de comment, nous, jeunes diplômés, pouvons faire bouger les lignes. J’ai donc contacté l’administration d’HEC pour les prévenir et mes camarades d’HEC Transition, le club d’alumni sur les sujets de transitions. L’administration m’a répondu de manière très positive avec pour seuls impératifs que le discours soit individuel et en anglais. Avec l’aide de cinq-six autres camarades d’HEC Transition, je me suis donc lancée dans la rédaction de mon texte.

La réaction positive d’HEC vous a surpris ?

Non car l’école est en pleine démarche de revue de tous ses cours pour prendre en compte l’urgence climatique. À compter de la rentrée prochaine, tous les nouveaux entrants auront un cours de 18 heures sur les limites planétaires (climat, biodiversité, ressources en eau…) mais aussi sur les modèles économiques sous-jacents (décroissance, économie du donut, etc.). HEC a aussi entamé une revue des cours existants (finance, marketing…) à l’aune de ces sujets, en collaboration avec les professeurs et les élèves et les anciens élèves via HEC Transition. C’est sans doute en raison de ce travail de fond que mon allocution est moins critique sur la formation que l’on a reçue. La nôtre était grandement insuffisante sur les questions environnementales, certes, mais dès la rentrée prochaine ce sera mieux. Et pas seulement pour ceux qui suivent le master de développement durable, ce sera pour tout le monde et en cherchant à aller au fond des choses.

Votre discours est en effet assez différent de celui d’Agro Paris Tech…

En effet, nous n’avons pas les mêmes expériences, pas les mêmes envies pour la suite, pas les mêmes études et mon discours ne s’adresse pas aux mêmes personnes. Mais ce qui compte, c’est qu’on a le même but. Que ce soit Agro Paris Tech, Polytechnique, Sciences Po… notre but à tous, quelle que soit la méthode et la manière dont on choisit de l’aborder, c’est de faire en sorte qu’on puisse vivre dans une société qui prend en compte, dans son fonctionnement, les limites planétaires. Ça, certains le poussent en dehors du système, d’autres le tirent depuis l’intérieur, et c’est complémentaire ! L’important est d’être dans l’action, que ce soit en sortant complètement du système pour inventer des nouveaux modèles, en dénonçant, en entrant en politique, dans la vie associative ou encore en alertant au sein de sa propre entreprise. Pour moi, qu’il y ait autant de discours, cela donne énormément de force. On n’est pas seuls. Nous souhaitons un changement radical, sans compromis et avec une même conviction d’aller au bout.

Vous avez été étonnée de la réaction de l’assemblée au terme de votre discours ?

J’ai vraiment été très surprise qu’il y ait une standing ovation. Je ne m’y attendais pas du tout. Les gens vraiment engagés de ma promo, je les connais. On est quinze ! Je ne pensais pas que mon discours allait avoir autant de résonance auprès de gens que je connais et qui ne sont pas très engagés. Mais cela les a fait réfléchir. Ils m’ont dit après que ça avait mis des mots sur un malaise qu’ils avaient. C’est vraiment une grande fierté. Et puis ensuite, l’écho médiatique que cela a eu en dehors d’HEC, ce n’était pas du tout mon objectif. Moi je voulais avant tout m’adresser à mes camarades qui, par définition, vont avoir des postes à responsabilité. Donc le pouvoir et la responsabilité d’agir.

Vous êtes consultants climat pour le cabinet Deloitte. En travaillant pour des clients qui sont de grands groupes, à l’empreinte carbone XXL, vous n’avez pas peur de servir d’alibi ?

Absolument pas. Je travaille pour Deloitte Sustainability, donc la branche dédiée au développement durable. C’est un département de 200 personnes très engagées et dont le cœur des missions est justement d’intégrer les limites planétaires dans les processus des entreprises en apportant cette expertise. Nous sommes là comme garde-fou du greenwashing, pour pousser au maximum les entreprises à aller plus loin, leur apporter une expertise sur certaines thématiques et les alerter quand elles prennent une décision qui n’est pas pertinente.

Comment les alertez-vous sur ce greenwashing ?

Déjà, en les formant sur ce qu’est le greenwashing. Il faut apprendre à le détecter. Quand c’est une communication volontairement mensongère, c’est plus simple. Mais dans 90 % des cas, ça vient surtout d’une méconnaissance des ordres de grandeur. Le greenwashing, c’est communiquer sur des actions qui peuvent aller dans le bon sens mais qui, au regard du reste, sont négligeables. Par exemple, une chaîne de restaurant qui retire tous les plastiques à usage unique, c’est bien. Mais ça ne peut pas être le coeur d’une communication écolo si 80 % de son bilan carbone est sur la viande de boeuf. Il faut donner les bonnes informations au consommateur pour qu’il puisse faire ses choix de manière informée. Et c’est notre rôle en tant que consultant de pousser les entreprises à agir sur leurs plus gros leviers de réduction d’impact, et pas que sur les aspects marginaux.

À titre personnel, avez-vous eu un moment précis qui a déclenché votre engagement écologique ?

Il n’y a pas eu un déclic particulier mais plutôt une prise de conscience globale en 2018 suite à plusieurs événements. Les prises de position de Jean-Marc Jancovici, la démission de Nicolas Hulot… et puis j’ai fait mon année de césure et j’ai donc été pour la première fois intégrée dans le monde professionnel. C’est là que j’ai réalisé qu’on passait beaucoup de temps au travail donc qu’il fallait bien choisir son job ! J’ai donc décidé que je voulais avoir un impact positif pour la planète. Quitte à passer 9 heures par jour au bureau, autant que ce soit sur une thématique qui me passionne. Et plus on se renseigne sur ces sujets, plus cela a des conséquences sur ses choix de vie. Je ne prends plus l’avion, je consomme principalement de la seconde main, je mange très peu de viande…

Vous aviez besoin d’un métier qui fait sens ?

Tout n’est pas rose. Parfois, on se rend compte qu’on a moins d’impact qu’on ne le pensait. Je ne comprends pas trop ce concept de « métiers qui font sens ». Pour moi, c’est juste faire un métier aligné avec la science. Le modèle actuel n’est pas soutenable pour la planète. Ce n’est donc que du bon sens, il n’y a rien d’extrême là-dedans.

Vous soutenez donc la sobriété et la décroissance ?

Absolument. Il faut beaucoup moins consommer, c’est une évidence. On ne pourra jamais être dans une économie circulaire totale. On confond souvent la décroissance avec la récession. Ce n’est pas ça. C’est un schéma choisi où on ne va plus chercher l’expansion absolue mais chercher à conserver ce qu’on a tout en rétablissant la stabilité des écosystèmes. Il faut adopter de nouveaux indicateurs de prospérité durable aux côtés de ceux qu’on a déjà, comme le PIB. Ils existent, à nous de les mettre en avant.

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