À Langouët, village breton en guerre contre les pesticides

Entre deux appels téléphoniques, l’air fatigué, Daniel Cueff mordille nerveusement les branches de sa paire de lunettes noires. Ce mardi 20 août, le maire de Langouët (Ille-et-Vilaine), doit encore patienter deux jours avant de comparaître devant le tribunal administratif de Rennes, la capitale bretonne. La préfète d’Ille-et-Vilaine lui demande de casser l’arrêté municipal qu’il a pris le 18 mai dernier. Elle le juge illégal.

Ce document interdit l’épandage de pesticides à moins de 150 mètres des habitations de cette petite commune de 602 habitants, à vingt minutes dans le nord de Rennes, dont il est maire depuis vingt ans. Et l’édile de 64 ans tient bon. Il est le premier en France à aller jusqu’en justice pour ce type d’action qui pallie, d’après lui, « une carence de l’État » en matière de santé publique.

« Je suis maire alors je n’ai pas le droit de pleurer »

Si cette mesure écologique sans concession n’est pas la première prise par Daniel Cueff, aucune n’a jamais été autant médiatisée. Depuis le printemps, l’image du petit maire résistant a fait le tour des télés, radio et journaux nationaux.

Mais lui, invariablement, préfère mettre en avant son village, ses habitants ou les initiatives prises pour le soutenir. A 16 h 30 ce jour-là, cinq jeunes âgés de 11 à 15 ans arrivent à vélo dans le bourg. Ils pédalent depuis cinq jours d’Hennebont, dans le Morbihan, pour lui remettre le trophée Leaukaterre, du nom de leur association écologique.

« Cela me touche beaucoup », sourit l’élu dans son costume bleu nuit. « Je suis maire alors je n’ai pas le droit de pleurer. » « Si, si ! », répond d’une seule voix la douzaine de personnes installée sous les pins en face de la mairie, grignotant des gâteaux et sirotant du jus de pomme bio. « C’est vraiment bien comme initiative, vous ne trouvez pas ? », interroge Daniel Cueff en rentrant dans son bureau placardé de bois.

De la centrale de Plogoff au village breton

Derrière ce visage bonhomme presque apeuré, regard bleu clair, se cache une conviction écologique originelle. Dans les années 1970, lycéen à Quimper, il manifeste contre la construction de la centrale nucléaire de Plogoff : « J’étais très surpris de voir comment un État envisage de contraindre une population à ce qu’elle ne souhaite pas. »

Déjà, le futur professeur en sciences de l’éducation se révolte contre une institution centralisée qui n’écoute pas, selon lui, le local. Mais sa vie n’est pas tracée pour la politique. Il y rentre par hasard en 1999, à 44 ans, alors qu’il s’occupe d’une association qui aide des enfants de la rue, en Pologne. Il constitue une liste qui remporte la mairie de Langouët.

Première action de son mandat : interdire toute utilisation de produits phytosanitaires dans les espaces verts communaux. La seconde : la rénovation de l’école, chauffée au bois, en imposant uniquement des matériaux écologiques.
 

Mettre l’écologie sociale au coeur de la politique

L’équipe regorge d’idées mais manque de moyens. « Nous n’avons pu mettre en place la cantine 100 % bio qu’en 2003 puisque les agriculteurs bios n’étaient pas assez bien organisés », retrace le maire, qui faisait alors figure de pionnier.

« Daniel dit souvent qu’il y a vingt ans, il était précurseur mais vingt ans après, il l’est encore… Or cela devrait être la norme ! », complète David Thomas, coordinateur de son comité de soutien qui s’est lancé en juillet, fédérant plus d’une centaine de collectifs, élus et associations dont la liste grandit jour après jour.
 

« Il met réellement en application l’écologie sociale. »
Pour preuve, les deux éco-hameaux construits à Langouët en 2007 et en 2011 sont des logements sociaux : « Si on fait de l’écologie pour ceux qui en ont les moyens, ce n’est pas de l’écologie pour tous, assène Daniel Cueff. Et on sait que les personnes à faible revenu sont les plus impactées par le changement climatique. Quelle injustice ! Ici, on essaye de passer de 160 euros de chauffage par an à 0 euros dans les prochaines constructions. » Au moins deux nouveaux lots d’habitations vont sortir de terre en 2020.

Zéro carbone d’ici quinze ans

Panneaux solaires sur les bâtiments publics, voiture électrique en auto-partage, ferme en permaculture… La liste est longue.
L’objectif : que Langouët devienne un village zéro carbone, auto-suffisant en énergie et en alimentation d’ici une dizaine d’années. Et ce, même si dans cette bourgade du nord d’Ille-et-Vilaine, certains voient d’un mauvais œil ses partis pris. « Langouët était une terre réticente à l’écologie. C’est le premier endroit qui a subi la politique de remembrement en 1964 », rappelle le maire, conscient de ne pas faire l’unanimité. Car ici, l’agriculture conventionnelle reste prédominante et une mesure comme celle prise en mai contre les pesticides ne va pas dans son sens.

« Il n’a pas peur de se mouiller », sourit Jocelyne Perrier, l’une de ses adjointes, sur sa liste depuis le début. David Thomas confirme : « C’est quelqu’un d’entier qui ne fait pas de la politique pour se faire réélire. » Mais il arrive à rassembler autour de sa cause, autant dans sa commune que désormais partout en France. Plus de 600 personnes sont venues le soutenir devant le tribunal administratif ce jeudi 22 juillet. La décision est attendue pour la semaine du 26 août.

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